: Vrai ou faux Santé : le gouvernement va-t-il vraiment débloquer 32 milliards d'euros, comme l'a promis Gabriel Attal ?
Des milliards d'euros pour préserver "un trésor national". Quatre jours après sa nomination comme Premier ministre, Gabriel Attal s'est rendu au centre hospitalier universitaire de Dijon, samedi 13 janvier, en compagnie de Catherine Vautrin, la nouvelle ministre de la Santé. Au cours de cette visite, le nouveau locataire de Matignon a promis "32 milliards d'euros supplémentaires" pour le système de santé, mis à mal par des années de restrictions budgétaires et la crise sanitaire. Ce montant concernera aussi bien l'hôpital que la médecine de ville, a précisé son entourage à franceinfo.
Que signifie cette annonce ? Est-ce que le secteur de la santé va bénéficier de ces 32 milliards d'euros supplémentaires ? Pas vraiment. Tout d'abord, il faut noter que ce montant, qui peut sembler très important, ne concernera pas seulement l'année 2024, mais "les cinq ans à venir", a précisé le chef du gouvernement, soit finalement 6,4 milliards d'euros par an. Une "goutte d'eau dans l'océan", estime l'économiste Jean-Paul Domin, spécialiste du secteur de la santé.
"Pour moderniser le système hospitalier, il faudrait, selon certaines estimations, plutôt 180 milliards d'euros sur dix ans, soit environ 18 milliards par an."
Jean-Paul Domin, économisteà franceinfo
Ensuite, Matignon a précisé qu'en réalité, il s'agissait de "la hausse du budget de la branche maladie qui a été adoptée dans la dernière loi de financement de la Sécurité sociale" (PLFSS) au mois de décembre 2023, après un nouveau recours au 49.3 d'Elisabeth Borne. En d'autres termes, cela signifie que le chiffre ne correspond pas à une annonce nouvelle, mais à un rappel de l'évolution des dépenses de santé, appelée objectif national de dépenses d'assurance-maladie (Ondam), comprenant l'hôpital et la médecine de ville.
Une hausse insuffisante
De quoi agacer les professionnels de santé, qui dénoncent une annonce trompeuse. "Cela donne une très mauvaise impression aux soignants", tance ainsi Arnaud Chiche, fondateur du collectif Santé en danger, contacté par franceinfo. "On se dit que c'est soit un coup de com, soit une méconnaissance de ses dossiers." Même son de cloche du côté du syndicat Force ouvrière, qui interpelle les services ministériels sur les mécanismes budgétaires "obscurs" que le gouvernement entend mettre en œuvre. "Ce qu'on veut, c'est du dialogue social, le détail des investissements, une feuille de route claire", abonde Jean-François Cibien, président de l'intersyndicale Action praticiens hôpital.
Outre l'effet d'annonce, les professionnels regrettent le manque de moyens accordés au système de santé. Car si l'objectif national de dépenses d'assurance-maladie a bien été revu à la hausse ces dernières années, puisqu'il représentera 8,7% du PIB en 2024 contre 8,2% avant la crise sanitaire, d'après le site Vie-publique.fr, cette progression reste insuffisante pour couvrir l'intégralité de la hausse des dépenses du système de santé. Dans le budget de la Sécu adopté en décembre, le gouvernement se base sur une augmentation de l'Ondam à un niveau de 3,2% en 2024, alors qu'elle devrait atteindre 4,6%, selon le site spécialisé APM-News. Ce qui veut dire que l'évolution des dépenses de santé réelle devrait dépasser celle estimée dans le texte de loi.
L'inflation augmente davantage
"Ce n'est pas parce qu'il y a une augmentation du budget de la santé qu'on va pouvoir acheter plus de choses", analyse l'économiste Nicolas Da Silva, également spécialiste du secteur de la santé. Car cette hausse n'inclut ni l'inflation, ni les besoins de soins des patients qui augmentent à cause du vieillissement de la population. C'est pourquoi le syndicat d'anesthésistes SNPHAR-E regrette dans un communiqué qu'il est "d'ores et déjà admis que cette hausse programmée du budget de la santé sera insuffisante".
"Il faudrait donc relever le budget plus vite que cette simple hausse naturelle des prix, afin de couvrir tous ces frais."
Nicolas Da Silva, économisteà franceinfo
Ainsi, l'annonce du déblocage de 32 milliards d'euros représente une hausse de "seulement" de 13% du budget sur cinq ans. "Mais on n'est pas sûrs que cela corresponde à l'inflation sur cette période, avance l'économiste. Rien que sur deux ans, l'agence statistique européenne Eurostat évalue la hausse des prix à 10%." "Pour l'hôpital, l'enjeu, c'est de financer à leur juste niveau l'investissement, les revalorisations salariales et l'inflation", a commenté Arnaud Robinet, le président de la Fédération hospitalière de France, sur le réseau social X.
"Le système de santé a surtout besoin d'une réforme", réclame Mathias Wargon, chef des urgences de l'hôpital Delafontaine à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), sur franceinfo. Mais cette refonte en profondeur, demandée à plusieurs reprises, notamment en 2019 et à l'issue de la crise sanitaire, se fait attendre. A défaut, Arnaud Robinet plaide en faveur d'une "loi de programmation sur cinq ans" élaborée avec "l'ensemble des acteurs du monde de la santé", citant en exemple "la Défense nationale où on se donne des objectifs, on se donne les moyens". Selon lui, "la situation est extrêmement grave. Elle est même urgente".
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