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Traitements anti-vieillesse : la cure de Jouvence est-elle pour bientôt ?

Francetv info a interrogé Hugo Aguilaniu, biologiste et généticien. Selon lui, des traitements limitant les risques de maladies seront disponibles d'ici dix à quinze ans, permettant d'augmenter l'espérance de vie.

Article rédigé par Louis San - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Nous gagnons déjà trois mois d’espérance de vie chaque année. Mais d’après les spécialistes, cela n’est rien comparé à ce qui est sur le point d’être réalisé. (ANTONIO SABA / CULTURA CREATIVE / AFP)

Alors que Google et les transhumanistes souhaitent annihiler la mort, de nombreux scientifiques à travers le monde cherchent des moyens de ralentir le vieillissement. En réalité, cela fait déjà bien longtemps que nous faisons reculer la mort : nous gagnons déjà trois mois d’espérance de vie chaque année. Mais d’après les spécialistes, cela n’est rien comparé à ce qui est sur le point d’être réalisé.

Francetv info a interrogé Hugo Aguilaniu, biologiste et généticien, chercheur au Centre national de la recherche scientifique et à l'Ecole nationale supérieure de Lyon. Spécialiste de la génétique du vieillissement, il a réussi à multiplier par seize l'espérance de vie d'un petit ver.

Francetv info : On entend de plus en plus parler de l'arrivée prochaine de traitements anti-vieillesse. Est-ce un fantasme ou une réalité ?

Hugo Aguilaniu : Ce secteur de recherche est en pleine effervescence depuis une vingtaine d'années et les choses vont assez vite. Revenons sur deux découvertes pour nous faire une idée. En 1993, l'Américaine Cynthia Kenyon [de l'université de San Francisco, en Californie, aux Etats-Unis], a découvert le premier gène capable de prolonger la vie d'un animal. Elle a travaillé sur des vers nématodes, qui font 1 millimètre de long, disposent de 1 100 cellules et dont l'espérance de vie s'élève à 17 jours. Elle a découvert qu'une mutation d'un gène appelé DAF-2 permettait de multiplier par deux sa durée de vie. C'est comme si l'on faisait vivre un homme 160 ans.

En 2009, des chercheurs  de l’université de Washington [Etats-Unis] sont parvenus à augmenter la durée de vie d'une souris grâce à une molécule découverte sur l'île de Pâques : la rapamycine. Elle inhibe l'effet d'une protéine appelée mTOR. On savait que la mise en sourdine des effets de mTOR prolongeait la vie de la levure ou des vers. Mais cela n'avait pas encore été montré sur des mammifères.

Depuis, des médicaments contenant la rapamycine ou d'autres inhibiteurs de mTOR ont été autorisés par les autorités de santé. Mais pour d'autres utilisations que le traitement anti-vieillesse, pour éviter les rejets de greffe, par exemple.

Dans combien de temps les premiers traitements anti-vieillesse seront-ils disponibles ?

C'est pour bientôt : d'ici dix ou quinze ans. Mais il faut être clair. Ils ne seront pas vendus comme des traitements capables de prolonger la vie. Car pour qu'ils soient vendus et présentés ainsi, ils doivent être testés dans ce sens, et cela prendrait par définition très longtemps. Or aucun laboratoire n'est prêt à investir assez d'argent pour vendre une molécule qui sera commercialisable, en gros, dans cent ans.

La nuance, c'est que ces traitements peuvent réduire la probabilité d'apparition de maladies liées au vieillissement comme les cancers ou les maladies neurodégénératives, comme la maladie d'Alzheimer ou la maladie de Parkinson. Pour cela, les tests sont plus courts. Les laboratoires joueront aussi sur une ambiguïté : "Nous n'avons pas montré que ces traitements avaient un effet sur la longévité de la vie chez l'homme, mais nous avons montré qu'ils en avaient un chez d'autres organismes, alors peut-être en ont-ils également chez lui." 

Concrètement, il ne s'agit pas de cure de jouvence. Ces traitements ne feront pas rajeunir. Une personne de 60 ans ne va pas soudainement avoir 40 ans. Voici ce qu'il va se passer : si, à 60 ans, cette personne a normalement un risque de développer un cancer qui s'élève à 2 sur 10, en prenant un traitement, ce risque va tomber à 0,5 sur 10.

Comment agissent ces traitements ?

Il y existe plusieurs voies. Par exemple, nous avons découvert que manger moins prolongeait l'espérance de vie. Quand vous donnez moins de nourriture à votre corps, vous le soumettez à un stress. Paradoxalement, la réponse à ce stress fait que votre corps sera finalement plus résistant face à l'apparition de maladies liées au vieillissement. Pour le dire autrement, lorsque nous mangeons moins, notre métabolisme enclenche une réponse qui nous rend plus fort. Un traitement se fondant sur ce principe pourrait être un comprimé ou une gélule avec une molécule faisant croire à notre organisme qu'il est en situation de restriction calorique.

Mais il y a un problème avec cette voie : elle affecte la fertilité. Cet effet secondaire est lié au principe même du traitement : en manque de nourriture, les organismes tendent à privilégier la survie à la reproduction.

De tels effets secondaires sont-ils inévitables ?

Impossible à dire pour l'instant car les traitements ne sont pas encore au point. Jusqu'à présent, c'était la course. La première découverte majeure a été une telle surprise qu'il y a eu une véritable euphorie. Lors de la phase de recherche, les effets néfastes ont été négligés, ce qui est plutôt normal.

Maintenant qu'il s'agit de mettre au point des traitements commercialisables, les laboratoires se penchent sur des moyens de contourner ces effets négatifs. Mais il existe un ratio bénéfice-effet néfaste pour tout médicament.

On imagine que ces médicaments vont coûter très cher...

Pas forcément. Le prix d'un médicament dépend du coût des molécules synthétisées et rien n'indique pour l'instant qu'elles seront difficiles à fabriquer. Il est beaucoup trop tôt pour dire quoi que ce soit à ce sujet.

Il est très probable que les Occidentaux soient les premiers à bénéficier des traitements anti-vieillesse. Les régions du monde qui sont pauvres et qui manquent déjà de médicaments ne vont pas en profiter.

Quels sont les autres problèmes, selon vous, posés par ces traitements ?

Certaines personnes ont un patrimoine génétique qui présente plus de risques que d'autres de développer des cancers ou des maladies liées au vieillissement. Les traitements anti-vieillesse permettraient de prévenir ces troubles ou de réduire les probabilités de les contracter. Mais comment prescrire ? Comment agir ? Allons-nous faire de grandes campagnes de dépistage ? Les industriels se frottent les mains car ils ne joueront plus sur la maladie, mais sur la crainte de la maladie liée à la vieillesse. Or tout le monde vieillit.

De plus, si l'on parle de prévention, il faudrait revoir la façon dont nous pensons la façon dont nous nous soignons. En Occident, nous allons voir le médecin lorsque nous sommes malades alors que dans certaines régions du monde, comme en Chine, nous allons voir le médecin lorsque nous sommes en forme. On le paye pour avoir des conseils et éviter de tomber malade. C'est toute notre relation à la médecine qu'il faut mettre en question avec ces traitements qui arrivent.

Mais surtout, pour moi, il est plus important d'améliorer la qualité de vie que la durée de vie. Actuellement, en fin de vie, il y a une période variant entre cinq et quinze ans qui est très désagréable, où on ne peut plus vraiment bouger, où l'on n'est plus vraiment autonome, où notre esprit peut être défaillant. C'est une vraie souffrance. Alors avant de vouloir rallonger la vie coûte que coûte et faire des centenaires, je pense qu'il faut une meilleure fin de vie, et qu'il faut d'abord traiter les maladies liées à la vieillesse.

Des chercheurs français de l'Insep estiment "qu'il existe une barrière biologique à la progression de l'espérance de vie". Selon eux, l'homme ne peut pas vivre 150 ou 200 ans. Qu'en pensez-vous ?

C'est de la spéculation. Je travaille sur le vieillissement depuis plusieurs années et je constate que toutes les hypothèses qui existaient lorsque j'ai commencé tombent une à une. Je n'ai aucun élément tangible me permettant de m'avancer sur ce sujet. C'est peut-être vrai, je suis certain que ces chercheurs ont des résultats tout à fait passionnants, mais je me méfie de ce genre d'idées.

Par exemple, dans nos laboratoires, un petit ver parvient à vivre 300 jours alors qu'il a une espérance de vie initiale de 19 jours. Elle est multipliée par 16, une chose inimaginable il y a encore quelques années. 

La Terre pourrait compter 15 milliards d'habitants d'ici à 2100. Est-ce une bonne chose de prolonger la vie et d'augmenter la taille de la population alors que la planète risque de ne pas avoir assez de ressources pour tout le monde ?

Il ne faut pas s'inquiéter : nous finissons bien par mourir de quelque chose. Et il faut faire attention à ce discours mettant en garde contre le rallongement de la vie car cela revient en quelque sorte à rejeter la science. Car finalement, nous ne faisons que nous intéresser au problème du moment : les maladies liées au vieillissement.

Il y a une centaine d'années, la mortalité des enfants était très élevée. La moitié d'entre eux mourraient avant l'âge de 10 ans. Les antibiotiques ont permis de mettre fin à cela, avec de grandes conséquences démographiques.

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