Touchers rectaux et vaginaux sans consentement : "J'étais un peu gênée, mais je l'ai fait parce que je devais apprendre"
Francetv info a recueilli les témoignages de deux étudiants en médecine et d'un docteur qui ont été amenés à effectuer ces gestes pendant leur carrière.
Des touchers rectaux ou vaginaux pratiqués par des étudiants en médecine sans le consentement des patients, sous anesthésie générale. Le procédé, révélé dans une tribune en février, avait provoqué un tollé. Et il n'est pas si marginal : un tiers des touchers réalisés par les externes en médecine le sont sans l'accord du patient, selon un rapport remis à la ministre de la Santé, Marisol Touraine, mardi 27 octobre.
"J'ai bien sûr dû réaliser des touchers pelviens ou rectaux, mais dans 95% des cas, les patients étaient éveillés et consentants, témoigne Martin*, un interne en médecine contacté par francetv info. Je n'ai effectué ce type de geste au bloc qu'une seule fois, lors d'une coloscopie sous anesthésie générale."
"On ne peut pas expliquer l'intervention dans le moindre détail"
Le patient était-il au courant que Martin, alors externe, allait réaliser un toucher rectal ? "Non, répond l'étudiant. C'était supervisé par un médecin, qui voulait repérer une tumeur par palpation avant la coloscopie. Il m'a proposé d'effectuer le geste pour me montrer comment faire et que je puisse sentir la tumeur."
Selon Martin, les chirurgiens ne demandent pas le consentement des patients parce qu'ils "ne peuvent pas expliquer l'intervention dans le moindre détail". "Les médecins ignorent la plupart du temps si un externe sera présent pendant l'intervention ou le type de geste qu'il sera amené à réaliser... On ne va pas commencer à demander l'autorisation pour chaque étape !", estime l'interne.
Une pratique de "vieux médecin"
Cette pratique est toutefois de moins en moins courante, selon Laura*, externe en médecine. "Ce sont généralement les vieux médecins qui demandent aux étudiants de pratiquer des touchers rectaux ou pelviens alors que le patient n'a pas donné son accord", explique-t-elle à francetv info. L'étudiante n'a d'ailleurs jamais eu à effectuer ce type de geste au bloc.
"Avant, la médecine était basée sur un modèle patriarcal : le chirurgien faisait un peu ce qu'il voulait parce qu'il savait mieux que le patient ce qui était bon pour lui, confirme Martin. Il ne se posait pas trop de questions, le but était juste d'apprendre quelque chose à l'étudiant."
"Je l'ai fait parce que je devais apprendre"
"A mon époque, c'était très courant, abonde Morgane*, médecin généraliste qui a effectué son externat en 2005. On m'a même raconté que certains étudiants ont dû effectuer des touchers rectaux sur des patients pendant une opération de l'appendicite, alors que ça n'avait aucune utilité dans le cadre de l'intervention."
Morgane a dû pratiquer ce type de gestes au bloc à cinq reprises durant son externat. "C'était toujours dans le cadre d'interventions en chirurgie urologique ou gynécologique, précise la docteure, contactée par francetv info. Les patients venaient, par exemple, pour une opération de la prostate, qui impliquait forcément un toucher rectal."
Morgane a toutefois eu l'impression de recevoir une "injonction" de son enseignant au moment d'effectuer l'examen. "Sur le coup, j'étais un peu gênée, mais je l'ai fait parce que je devais apprendre, avoue-t-elle. C'est l'unique occasion dans ma carrière où j'ai eu la possibilité de sentir une tumeur de la prostate au toucher rectal, une expérience importante pour un médecin."
Les médecins doivent mieux informer les patients
Que pensent-ils de la tribune publiée en février, qui reprochait un manque d'éthique de la part des médecins ? "Ces gestes ne devraient pas se faire sans l'accord du patient, mais tout est fait dans l'optique de l'aider", estime Laura. "Ce n'est pas gratuit, ça reste un geste médical, ajoute Martin. On n'a à aucun moment l'impression de pénétrer dans l'intimité du patient."
Les deux étudiants en médecine et le docteur s'accordent toutefois sur le fait que cette pratique devrait cesser. "Ça m'étonne que ça se fasse encore, alors que c'est passible de poursuites judiciaires, confie Laura. D'autant que la plupart des patients sont d'accord lorsqu'on leur pose la question avant l'intervention !" "Les rapports avec les patients ont changé : maintenant, on discute beaucoup plus avec eux, les gens devraient être au courant de ce qui va se passer", estime Martin.
La communication est d'ailleurs le principal point sur lequel les médecins doivent progresser, selon Morgane. "En tant que généraliste, je dois souvent réexpliquer les interventions aux patients mal informés, affirme le médecin. Il faudrait simplement leur rappeler qu'ils sont dans un hôpital universitaire, que des externes et des internes sont présents et qu'ils pourraient être amenés à effectuer les touchers pelviens et rectaux." Et rappeler aussi aux patients qu'ils ont "le droit de refuser".
* Tous les prénoms ont été modifiés.
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