Vaccin contre le cancer du poumon : les propos trompeurs de Jean-Luc Mélenchon
Jeudi 27 septembre, Jean-Luc Mélenchon a fait devant l'Assemblée une déclaration remarquée :
"Si vous cherchez un vaccin contre le cancer du poumon, allez à Cuba, il existe, les Cubains sont d'ailleurs prêts à commercer avec nous, mais ils ne veulent pas vendre leur procédé à Sanofi, ce qui se comprend; ils préfèreraient le faire dans une relation de coopération sincère où l'on chercherait d'abord à guérir des gens ou prévenir la maladie avant que de réaliser des profits".
Trois jours plus tard, sur le plateau de "Dimanche en politique" sur France 3, le chef de file de La France Insoumise s’est vu objecter qu'un tel vaccin "n’existait pas". "S'il n'y a pas de vaccin et que j'ai parlé trop vite, je retire ma phrase", a-t-il déclaré, sans chercher à plus se justifier.
@JLMelenchon revient sur ses propos tenus à l'@AssembleeNat sur un prétendu vaccin contre le cancer du poumon mis au point à Cuba. #Dimpol pic.twitter.com/W7RFNgpU8O
— DimancheEnPolitique (@DimPolitique) 30 septembre 2018
Un "vaccin" ? Oui, mais un vaccin thérapeutique
Les propos de Jean-Luc Mélenchon à l’Assemblée posent problème car il sont à la fois incomplets et ambiguës.
Sans précision, le mot "vaccin" pourrait en effet laisser accroire l’existence d’un vaccin préventif (qui réduit le risque de développer la maladie). L’ensemble de la déclaration peut, en outre, être sujette à d’autres interprétations hâtives. Sans plus de précisions, on imaginera volontiers qu’un tel traitement a démontré son efficacité et sa sécurité – et ce, pour toutes formes de cancers pulmonaires. De même, on pourrait croire que le "vaccin cubain" est regardé avec un mélange de mépris et de convoitise par de nombreux pays autrefois en froid diplomatique avec Cuba.
Or, le médicament auquel M. Mélenchon faisait référence dans sa harangue – le CIMAva, développé à Cuba au début des années 1990 – est ce que l’on nomme parfois un vaccin thérapeutique, c’est à dire un traitement administré à des patients déjà atteints d’une maladie en vue de stimuler leur système immunitaire (autrement dit, il s’agit d’un traitement d’immunothérapie).
Le CIMAvax est d’ores et déjà autorisé comme traitement de deuxième ligne (c’est-à-dire administrée lorsque les résultats d’un premier protocole thérapeutique sont jugés insuffisants, ou en cas de récidivie) à Cuba. C'est également le cas dans quelques pays qui ont signé des accords de partenariat avec ce pays, tels que le Venezuela et le Pérou [1].
Voir également : Cancer du poumon : en quoi consiste l'immunothérapie ?
Un traitement très prometteur... pour certains cancers du poumon seulement !
Le CIMAvax n’a, par ailleurs, qu’un champ d’application limité, puisque l’efficacité alléguée par les chercheurs cubains ne concernerait qu’un type de cancer du poumon (les cancers « non à petites cellules »), et uniquement lorsque ceux-ci sont très avancés.
Les essais cliniques menés par les inventeurs du CIMAvax [2] portent sur l’adjonction de ce traitement aux protocoles de chimiothérapie existants. Des études menées sur de petites cohortes de patients suggèrent que CIMAvax pourrait retarder de sept mois, en moyenne, le décès des patients.
D’autres adjuvants développés hors de Cuba permettent d’obtenir des résultats analogues. Si l’efficacité et la sécurité du CIMAvax venaient à se confirmer, il pourrait rejoindre l’arsenal des cancérologues, qui pourraient proposer le traitement cubain à des patients qui supportent moins bien les immunothérapies déjà existantes.
Voir également : Cancers du poumon non à petites cellules : essais concluants pour deux nouvelles molécules
Une évaluation en partenariat avec les États-Unis
Lorsqu’un tel traitement est développé, plusieurs études sont nécessaires afin de s’assurer de la validité des premiers résultats (régulièrement, des résultats initiaux enthousiasmants se révèlent être des faux positifs). En outre, il faut s’assurer du profil du sécurité de traitement du médicament : si celui-ci est efficace aux prix de nombreux effets secondaires, la balance bénéfice/risque peut être remise en question.
Dans le cas du CIMAvax, des études de sécurité ont bien été menées à Cuba [3], sur quelques centaines de patients sains sur plusieurs semaines. Les données déjà recueillies sont rassurantes concernant ce critère d’évaluation. Les autorités sanitaires des États-Unis, très intéressées par les résultats collectés à La Havane, ont initié en 2016 des travaux destinés à valider la sûreté et l’efficacité du traitement, en étroite collaboration avec les chercheurs cubains [4]. D'autres pays, comme la Serbie, ont également lancés des essais cliniques afin de confirmer l'intérêt du traitement.
S’il existe de vraies raisons d’être optimiste sur l’intérêt de ce traitement d’immunothérapie made in Cuba, il convient de médiatiser les informations qui lui sont relatives avec prudence, afin de ne pas créer de faux espoirs de "guérison miracle" auprès des patients.
la rédaction d'Allodocteurs.fr
[1] Sur ce sujet, voir notamment :
- E. Rijavec, et al. "Role of immunotherapy in the treatment of advanced non-small-cell lung cancer". Future Oncol, 2014. n°10, p.79-90. doi:10.2217/fon.13.145
- E. Neninger, et al. "Combining an EGF-based cancer vaccine with chemotherapy in advanced nonsmall cell lung cancer". J Immunother 2009. n°32, pp.92-99. doi:10.1097/CJI.0b013e31818fe167
[2] Divers médias ont déjà "mis la charrue avant les bœufs" en manquant de précautions sur le CIMAvax. Aux États-Unis, un média comme la Fox a ainsi présenter ce traitement comme une révolution… suscitant l’agacement de certains journalistes scientifiques !
[3] Voir notamment : I.D. Monteiro, et al. "Immunotherapy with checkpoint inhibitors for lung cancer: novel agents, biomarkers and paradigms". Future Oncol 2016, n°12, pp.551-564. doi:10.2217/fon.15.309
[4] P.C. Rodríguez PC, et al. "Clinical development and perspectives of CIMAvax EGF, Cuban vaccine for non-small-cell lung cancer therapy." MEDICC Rev. 2010. n°12, p.17–23.
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