Cet article date de plus de neuf ans.

Joseph Meister, premier vacciné de l'Histoire

Il y a 130 ans, rue d'Ulm à Paris, se déroule ce qu'on présentera plus tard comme l'une des plus grandes avancées de la médecine… L'histoire d'une rencontre entre un jeune écolier alsacien et un génie des sciences, qui mènera à la première vaccination.
Article rédigé par La rédaction d'Allodocteurs.fr
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
 

Joseph Meister a 9 ans quand il se fait mordre par un chien. Dans son petit village alsacien, tous le considèrent comme déjà mort : l'animal est enragé. Le diagnostic posé, la mère de Joseph croit son fils condamné. "Le vétérinaire qui a autopsié le chien lui explique qu'il a entendu parler d'un scientifique à Paris qui travaille sur un vaccin contre la rage : Louis Pasteur. La mère décide alors de tenter sa chance", explique Elisabeth Liber, historienne conférencière au Musée Pasteur, à Paris. Le voyage s'engage donc vers la capitale, en compagnie du maître du chien, lui aussi mordu. Tous trois débarquent ainsi à Paris, le 6 juillet 1885, sans adresse en poche…

"Il leur fut très compliqué de trouver Louis Pasteur. Après avoir fait le tour de plusieurs hôpitaux, les trois trouvent finalement le scientifique dans son laboratoire de l'Ecole Normale Supérieure, rue d'Ulm" souligne Elisabeth Liber. A la vue du jeune garçon, Pasteur hésite… Jamais jusqu'alors, il n'a fait d'expérience chez l'homme.

Joseph Meister, l'année de sa vaccination en 1885

La rage, une maladie effrayante qui frappe les esprits

Retour cinq ans plus tôt. Louis Pasteur, chimiste originaire du Jura, travaille à l'élaboration d'un vaccin contre la rage. Après avoir, avec succès, mis au point des vaccins contre le choléra des poules et la maladie du charbon (anthrax en anglais), le chercheur veut s'atteler à l'homme. "A la fin de sa vie, Pasteur commençait à être faible. Il voulait alors laisser une trace dans l'humanité, et donc mettre au point un vaccin pour l'homme. Plusieurs choix de maladies se sont proposés à lui, mais il choisit la rage", souligne Elisabeth Liber.

La rage car cette maladie frappe l'imaginaire collectif de l'époque. Elle évoque des visions légendaires de malades furieux, attachés, hurlant et bavant. A l'agonie… "On ne peut méconnaître que de ce point de vue cette maladie était bien choisie", écrit en 1896 Emile Duclaux(1), biologiste et contemporain de Pasteur, qui lui succéda à la tête de l'Institut Pasteur.

"Il était facile de prévoir qu'une victoire sur la rage n'en compterait pas moins pour une grande victoire", ajoute-t-il encore. Autre avantage de la rage, et pas des moindres : c'est une maladie vétérinaire. Pasteur pouvait donc facilement mener des expérimentations sur les chiens, sans passer par la case humaine. Le virus possède également un temps d'incubation très lent : il faut de quelques jours à plusieurs mois avant que le malade ressentent les premiers symptômes. Grâce à ce temps de latence, Pasteur songe alors à développer un vaccin post-exposition : guérisseur et non protecteur.

Des expériences chez les chiens aux tests sur l'homme

Aux prémices de ses expérimentations, le chimiste n'a jamais observé le virus de la rage, qui sera finalement découvert un siècle plus tard en 1962(2). Mais le scientifique remarque que la maladie touche directement le cerveau animal. En greffant un encéphale de chien rabique à un animal sain, Pasteur rend presque immédiatement ce dernier malade.

Partant de ce principe, il cultive des moelles de lapins rabiques. D'expériences en expériences, il obtient un virus stable au temps d'incubation d'exactement six jours.

Reste alors au chercheur à créer un virus atténué, qui produit une réaction immunitaire de défense, sans les dégâts de la maladie. Pour cela, il utilise le même procédé qu'il a mis au point pour son vaccin contre le choléra des poules : le virus est "vieilli" au contact de l'oxygène. Composé de cerveau de lapin rabique, le vaccin contre la rage est né !

Ses tests  de vaccination sur les chiens sont une réussite. "Avant Joseph Meister, Pasteur aurait fait d'autres expériences sur des hommes. Mais nous n'en avons aucune trace", indique Elisabeth Liber.

Le chercheur de 63 ans alors aurait même envisagé d'être son propre cobaye, avant l'arrivée fortuite du jeune Joseph. "Monsieur Pasteur était très ému", expliqua bien plus tard Joseph Meister.

"La mort de cet enfant paraissait inévitable"

Le 6 juillet 1885, vers 20 heures, Pasteur examine le jeune alsacien.

"Joseph Meister, amené par sa mère, de Steige, (…) son père garçon boulanger, 9 ans depuis le 21 février dernier, fortement mordu au doigt médium de la main droite, aux cuisses et à la jambe par le même chien rabique qui a déchiré son pantalon l'a terrassé, et l'aurait dévoré sans l'arrivée d'un maçon muni de deux barres de fer qui a frappé le chien", écrit-il le jour même dans son carnet, ajoutant que "la mort de cet enfant paraissant inévitable, je me décidais, non sans de vives et cruelles inquiétudes, on doit bien le penser, à tenter sur Joseph Meister la méthode qui m'avait constamment réussie sur des chiens." (3)

L'enfant reçoit treize injections, étalées sur dix jours. Il survit.

Trois mois plus tard, Pasteur réitère l'expérience sur un jeune berger, Jean-Baptiste Jupille. "La santé de Jupille ne laisse également rien à désirer" explique-t-il alors. Fort de son succès, il présente ses résultats, restés confidentiels jusque là, à l'Académie des sciences, le 26 octobre 1885. " La prophylaxie de la rage après morsure est fondée. Il y a lieu de créer un établissement vaccinal contre la rage " conclut-il son discours. 

"Georges Clémenceau qui était à l'époque président du conseil mais aussi médecin lui donne officieusement le feu vert pour continuer ses vaccinations" précise Elisabeth Liber. Les malades rabiques affluent de toute la France. En quelques mois, 350 personnes sont vaccinées, avec succès. L'institut Pasteur est créé, chargé de développer d'autres vaccins, contre la typhoïde notamment. Rapidement, Louis Pasteur est surnommé le "bienfaiteur de l'humanité".

Les chemins croisés de deux hommes liés pour toujours

Après ce jour de juillet 1885, Pasteur et Meister n'ont jamais perdu contact. . "Quand Joseph est rentré chez lui en Alsace, Pasteur lui a demandé de lui écrire tous les jours, pour savoir comment il allait" explique Elisabeth Liber. Adulte et sans emploi, Meister est engagé par Pasteur comme gardien de l'Institut. Un poste également offert à Jean-Baptiste Jupille, par le scientifique qui décède en 1895.

Le destin de Joseph prendra une tournure tragique en 1940, quand il se donne la mort après l'entrée des nazis dans la capitale. Pensant sa femme et ses filles déportées, "il allume le gaz" soutient Elisabeth Liber, qui précise que Joseph "était très dépressif à la fin de sa vie". Une version plus romanesque de l'histoire circule dans la culture populaire, expliquant que Joseph se serait tiré une balle pour empêcher aux allemands de rentrer dans le tombeau de Pasteur. Un récit qui tient d'un mythe galvaudé depuis des années (4). "C'est un raccourci" ajoute Elisabeth Liber.  

Joseph Meister est enterré au cimetière de Bagneux, en région parisienne. Sur sa tombe une seule inscription, qui résume ce que l'Histoire gardera de lui : "Ici repose Joseph Meister, premier vacciné contre la rage par Pasteur, le 6 juillet 1885".

---

(1) "Pasteur, histoire d'un esprit " – Emile Duclaux

(2) À l'époque les microscopes n'étaient pas assez performants. Il fallut attendre l'invention du microscope électronique pour observer le virus de la rage de la famille des Rhabdoviridae et du genre Lyssavirus

(3) "Ecrits scientifiques et médicaux" – Louis Pasteur

(4) A lire, le décryptage de la mort de Meister publié dans Nature : History: Great myths die hard. H. Dufour et S. Carroll. Nature, octobre 2013.

 

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.