Immunothérapies contre le cancer : un coup de pouce de l'aspirine ?
Stratégie thérapeutique aussi prometteuse que balbutiante, l'immunothérapie - qui consiste à forcer l’action du système immunitaire d’un patient contre des cellules cancéreuses - pourrait trouver un allié inattendu dans la bonne vieille aspirine.
Les cellules cancéreuses ne sont pas des corps étrangers à l'organisme. Quand bien même le système immunitaire détecterait leur comportement anormal, ces cellules expriment des signaux très forts qui interdisent aux différents agents de l'immunité de faire leur office.
Des travaux réalisés au début des années 2000 avaient révélé que, dans certaines cellules cancéreuses (cancers du poumon, du sein, de l’intestin), des structures cellulaires nommées COX-1 et COX-2[1] étaient présentes en nombres anormaux. Ces structures sont connues pour produire une molécule du nom de prostaglandine E2 (ou PGE2) - très connue des biologistes, car elle aide à la coordination des interventions immunitaires. Elle a en effet le pouvoir d’attirer certaines cellules immunitaires sur des sites lésés, tout en inhibant l’activité de certains lymphocytes destructeurs de cellules.
Une cellule exprimant beaucoup de COX tempère donc sans mal les agressions de ces lymphocytes…
Au cours de travaux in vitro sur des mélanomes de souris, l’équipe du chercheur britannique Caetano Reis e Sousa a utilisé une technologie récente d’édition des gènes (méthode CRISPR) pour supprimer les gènes codant pour COX-1 et COX-2. Comme ils l’espéraient, incapables de produire PGE2, les cellules modifiées ne parvenaient plus à freiner l’attaque des lymphocytes destructeurs de cellules…
Selon les données publiées ce 3 septembre dans la revue Cell, ces observations auraient été confirmées après transplantation des tumeurs modifiées chez des souris. Des résultats analogues auraient également été obtenus avec des souches cancéreuses issues de cancers du sein et de l’intestin.
Comment inhiber COX ?
Réduire l’expression des structures COX in vivo, dans une tumeur, semble une autre paire de manches. Mais il existe un inhibiteur bien connu des COX : l’acide acétylsalicylique, c’est-à-dire l’aspirine. C’est en fait son mode d’action le mieux étudié : en réduisant la production de PGE2 dans l’hypothalamus, l’aspirine entraîne une diminution de la fièvre.
Mais, malheureusement, la biologie est plus complexe que cela, et ajouter de l’aspirine à l’alimentation de souris atteintes de cancer n’a jamais guéri aucune d’entre elles. Toutefois, dans une série d’expériences, l’équipe a eu l’idée d’utiliser des traitements d’immunothérapie avec une légère adjonction d’aspirine. Les premiers résultats obtenus suggèrent que ce complément a bel et bien renforcé l’action du traitement.
Les résultats obtenus par les Britanniques font écho à des observations analogues publiées courant avril dans la revue Laboratory Investigation, qui avaient conclu que l’adjonction d’aspirine à une chimiothérapie interrompaient, chez la souris, la croissance de certaines tumeurs.
Dans les deux cas, les chercheurs se veulent très prudents, et ignorent si ces résultats peuvent être généralisés à l’homme. Ceci est d’autant plus vrai que l’aspirine a beaucoup d’effets secondaires chez les rongeurs (malformations, effets toxiques…) qui ne sont pas observés chez l’homme.
Les scientifiques ignorent encore si prendre régulièrement de l'aspirine en complément d'un traitement anticancéreux est une bonne idée, pour notre espèce. Ce médicament pouvant entraîner des effets secondaires graves chez certains patients (saignements, problèmes de coagulation, troubles cardiaques), il convient d'éviter l'automédication. Quelles que soient les stratégies complémentaires qu'un malade envisage d'employer, il doit en parler avec son cancérologue, surtout si leur efficacité est spéculative ou mise en doute par la recherche.
Source : Cyclooxygenase-Dependent Tumor Growth through Evasion of Immunity. C. Reis de Sousa et coll. Cell. 2015 doi: http://dx.doi.org/10.1016/j.cell.2015.08.015
[1] Pour "cyclo-oxygénase".
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