Certains patients sont juste venus récupérer leur dossier médical. "On est en 2017 et il faut que je vienne avec une clé USB, relève Guy Kegel, le sourire amer. Regardez, je l'ai achetée 9 euros. A 59 ans, je vais maintenant courir dans la nature." Lui et les autres doivent désormais dégoter un nouveau médecin traitant. Et c'est loin d'être évident. "Dans un village voisin, des médecins ont déjà refoulé des gens d'ici, et même des enfants. Ils disent qu'ils n'ont plus de place", raconte Denis. Salarié dans une entreprise allemande, il mise beaucoup sur son médecin du travail. "Avec le départ du docteur, c'est certain, nos conditions de vie vont se dégrader", souffle-t-il.
Jean-Claude Courte, 66 ans, loue les locaux – qui regroupent cabinet et habitation – à la mairie, depuis le 1er janvier 1978. Par deux fois, il s'est associé avec un confrère dans une société civile professionnelle (SCP). La moitié de la patientèle, des honoraires, et la possibilité de prendre des congés. Bref, "que du bonheur". Pendant sept ans, il a trouvé une remplaçante pour ses vacances. Puis d'autres, quelques semaines, ici et là. Et puis, patatras. A Noël, le dernier a jeté l'éponge. Pour continuer, Jean-Claude Courte aurait dû tirer une croix sur ses congés. "J'aimerais que les habitants comprennent que je ne peux pas faire autrement, insiste-t-il, presque coupable. Je veux partir la tête haute. Si je continue quelques semaines de plus, je risque de faire un burn-out."
Au fil des ans, l'ouïe du docteur a diminué, mais sa volonté n'a jamais failli. Gynécologie, pédiatrie, petite chirurgie... Un médecin de campagne touche à tout. Ses interventions lui ont même valu le surnom de Wunnedoktor, "le médecin des plaies". Sur les coups de 10 heures, c'est au tour de Guy Kegel. Le médecin saisit sa clé USB, charge le dossier, signe quelques ordonnances pour des médicaments. Le silence est pesant. "Vous savez docteur, vous avez fait votre job, finit par lâcher le patient. On part en transhumance, mais on n'a plus de berger." Dans la salle d'attente, Jérôme Lenninger enrage contre les pouvoirs publics. Cet exploitant agricole de 30 ans a le sentiment d'être délaissé, voire oublié.
Si demain, on met une bête malade dehors, toutes les associations animales vont nous dénoncer aussitôt. Et ici, il y a pléthore de vétérinaires qui se tirent la bourre. En revanche, nous, les humains, on n'a pas de médecin. On sera moins bien soignés que les bêtes. Il n'y a pas un problème ?
Jérôme Lenninger, agriculteur