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Burn out : Gilles Vernet, le trader devenu maître d'école à mi-temps

Epuisé, rincé par son premier métier, cet ancien trader a choisi il y a quinze ans une reconversion assez atypique. 

Article rédigé par Anne Brigaudeau
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5min
Gilles Vernet photographié dans sa classe, le 31 mai 2011. (LA CLAIRIERE PRODUCTIONS)

A 30 ans et des poussières, son existence a bifurqué. Mercenaire de la finance, Gilles Vernet a fui son métier et un salaire en or pour devenir prof des écoles à mi-temps dans le 19e arrondissement parisien. Alors que le documentaire réalisé par Jacques Cotta, Dans le secret du burn out, diffusé mardi soir dans la case "Infrarouge" sur France 2, montre tant de vies brisées, l'ancien trader, lui, témoigne d'un basculement professionnel réussi.

Les marchés, un monde "totalement mutilant"

Au tournant des années 2000, Gilles Vernet travaille comme trader chez Indosuez, puis comme gestionnaire de fonds dans les prestigieuses banques UBS et JP Morgan. Son terrain quotidien ? Les marchés financiers. Un univers "très excitant", se souvient-il. "Il vous donne la fausse impression d'être maître du monde. Vous placez l'argent, vous gagnez de l'argent, et vous croyez que vous avez tout compris..."

Un enivrement qui se paie au prix fort. Chez Indosuez, le trader arrive à 7 heures à son bureau parisien, et ne repart pas avant 22h30, l'heure de la fermeture du Nasdaq, la bourse des valeurs technologiques américaines. Chez UBS et JP Morgan, il voyage davantage, mais ne voit de Londres, New York ou Shanghai que des hôtels de luxe et des bureaux climatisés. "Un rythme de travail frénétique, se souvient-il, même si ça a encore empiré depuis, avec le flux des mails et des SMS."

Les marchés, c'est un monde qu'on ne peut pas lâcher une minute puisqu'en une minute, on peut perdre beaucoup d'argent. C'est un monde totalement mutilant, qui prend l'essentiel de votre vie.

Gilles Vernet, ancien trader

à francetv info

"Je ne voulais plus nager en pleine contradiction"

Avec cette vie "incandescente", où le moral suit les hauts et les bas boursiers, Gilles Vernet commence à perdre ses cheveux. "Construire une famille me paraissait impossible. Même construire une vie de couple, c'était délicat", raconte-t-il aujourd'hui. A force de fréquenter des quasi-milliardaires obsédés par l'argent, le trader finit par s'interroger sur le sens à donner à sa vie.

Ces gens extrêmement riches ne profitaient pas de l'argent. Ils en étaient esclaves. Ça m'a vacciné : je me suis dit, je ne veux pas en arriver là.

Gilles Vernet, ancien trader

à francetv info

Il prend parallèlement conscience des enjeux environnementaux et climatiques, et de l'absurdité à chercher un développement exponentiel dans une planète finie.  "Or la finance se nourrit de la croissance. Je ne voulais plus nager en pleine contradiction, martèle-t-il. Ça a donné les rampes de la fusée qui allait changer ma vie. Rajoutons qu'on était en 2001 et que la finance, avec le 11 Septembre, a été touchée de plein fouet. J'ai pensé : 'on change de paradigme'".

"Tu vas voir mourir ta mère sans pouvoir l'accompagner"

Il a fallu un choc supplémentaire, plus intime, pour franchir le pas.  "J'étais fils unique, et ma mère était atteinte d'une maladie incurable. Je me suis dit : 'elle va partir et tu ne pourras même pas passer du temps avec elle'. Ça a créé le déclic. La confrontation à la mort, par rapport à cette course folle qu'on mène tous, est assez radicale. Elle vous place face à l'absurdité, et vous renvoie par un effet miroir à votre propre vie. Face à la peine, j'ai eu un grand besoin de sens."

Rincé par son métier de trader, épuisé par les cadences infernales, ce surdoué en mathématiques passe le concours de maître d'école, "pour voir". A l'arrivée, un coup de foudre pour un métier "à l'exact opposé" du précédent. "Quand vous transmettez quelque chose en maths ou en histoire à des CM2, et que vous lisez dans le regard de l'enfant que quelque chose se produit, le sentiment d'être réellement utile est totalement concret."

Et s'il voit ce qu'il peut y avoir de "sclérosant" dans le métier de professeur des écoles, Gilles Vernet assure qu'"il suffit d'un moment de grâce dans la journée – c'est fou ce que les enfants peuvent apprendre à cet âge-là ! – pour vous faire oublier toutes les avanies."

Le passage sans regret à un métier "bourré de sens"

L'ancien trader l'assure : il est passé sans regret aucun d'une profession où "il y avait beaucoup d'argent et pas de sens", à une autre "bourrée de sens" et mal payée, mais où il lui reste le temps de faire "des choses en parallèle".

Et comment quantifier le bonheur de pouvoir s'occuper de sa fille de 10 ans et de son garçon de 4 ans ? "Il était hors de question pour moi, quand j'étais dans la finance, d'avoir des enfants et de passer à côté d'eux, comme ces parents que j'ai vus, happés par leur succès professionnel."

On oublie que ce qu'on peut principalement donner aux enfants, c'est du temps. De l'amour, et du temps.

Gilles Vernet, ancien trader

à francetv info

Devenu un militant de la décroissance, Gilles Vernet avoue aussi se demander "comment ralentir dans un monde en pleine accélération sans être décroché, marginalisé". Sur cette recherche du bon rythme, il a réalisé un documentaire, Tout s'accélère, au cinéma en avril. Il y laisse ses élèves de CM2 poser aux experts les questions les plus pertinentes sur cette vitesse qui nous enferme.

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