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Burn-out des médecins : "Nous ne sommes pas des prestataires de services"

Le succès du post Facebook de Madeleine Lhote, médecin généraliste, sur son burn-out révèle la souffrance de toute une profession.

Article rédigé par La rédaction d'Allodocteurs.fr
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Selon l'association SPS, un quart des soignants auraient déjà eu des pensées suicidaires du fait de leur travail. (FOTOLIA)

"Il n’y a pas que moi qui suis en burn-out je le crains, c’est tout le système qui l’est." Madeleine Lhote, 35 ans, est médecin généraliste en maison de santé pluridisciplinaire à Paris depuis 2014. Dans un texte intitulé "SOS d’un médecin en détresse" qu’elle a publié en février 2019 sur sa page Facebook, elle raconte son épuisement professionnel. Partagée plus de 150 fois sur le réseau social, reproduite intégralement dans Le Quotidien du médecin et sur le site du syndicat de médecins Union française pour une médecine libre (UFML), cette tribune a connu un fort retentissement auprès des professionnels de santé.

Depuis plusieurs mois, la généraliste a "l’impression d’avoir explosé et de ne plus pouvoir exercer correctement [son] métier". Elle témoigne : "Il ne m’est plus possible pour l’instant d’aider, d’écouter, d’être psychiquement présente pour mes patients." Arrêtée depuis mi-janvier, elle n’a pas encore repris le travail. "Objectivement, je ne pense pas être en état de recommencer à travailler aujourd’hui", nous confie-t-elle.

"C'est au généraliste d'endosser de plus en plus de casquettes"

Comment en est-elle arrivée à une telle situation de souffrance ? Elle évoque en premier lieu une multiplication des tâches et du nombre de patients : "Comme les médecins scolaires, les PMI, les gynécologues et les pédiatres se raréfient, c'est au généraliste d'endosser de plus en plus de casquettes : celle de médecin, de confident, d’avocat, d’assistante sociale…" Un poids trop lourd à porter pour une seule personne et dont les patients payent les conséquences, car un soignant qui souffre est un soignant qui soigne moins bien. "Il faut que chacun comprenne ce qui se cache derrière les salles d’attente surpeuplées et les médecins en retard. Nous ne pouvons pas faire toujours tout 'en urgence', 'juste' une ordonnance, 'juste' jeter un coup d'œil. Il nous est impossible de travailler à la va-vite car c’est toute notre responsabilité de soignant qui s’exprime. Nous ne sommes pas des prestataires de service", martèle encore la généraliste.

Mais que faire pour sortir de cette impasse ? "Nous demandons juste qu’on nous donne les moyens de soigner correctement sans que cela altère notre santé, ce qui pourrait mettre en péril celle des patients", explique Madeleine Lhote. C’est pourquoi, "en tant que premiers concernés, les patients doivent nous aider à sauver la santé", affirme la généraliste, qui en appelle à l'engagement politique de chacun pour défendre un système de santé plus juste face aux pouvoirs publics. "Parce qu’ils ont le droit d’être soignés, et que ce droit doit rester inaliénable, que ce soit en ville ou à l’hôpital, ils doivent nous aider à se battre pour que la France reste ce pays où on a la chance de pouvoir être soigné correctement sans distinction de moyens ou de couleur de peau", ajoute-t-elle.

Un soignant sur deux en burn-out ou en dépression

C'est pour faire bouger ces lignes que Madeleine Lhote a rédigé son témoignage. Initialement, son texte avait un but thérapeutique : "J’avais un besoin d’abord égoïste d’écrire. J’ai mis dans ces lignes beaucoup de moi-même, d’inquiétude et d’appel à l’aide." L'ambition militante a ensuite découlé de cette tribune : "J’ai transmis ce texte à monsieur Macron et à madame Buzyn, mais sans franchement espérer de réponse car il ne s’agit que d’une goutte d’eau dans l’océan", reconnaît-elle. "Les retours des soignants que j’ai eus sont cependant encourageants et confirment que ce combat mérite d’être mené", et ce de façon urgente car "la situation est telle que nombre de mes jeunes collègues de 35 ans ont déjà vécu un burn-out ou s’y dirigent tout droit", déplore-t-elle.

Le docteur Eric Henry, président de l’association Soins aux professionnels en santé (SPS), dans laquelle des soignants écoutent et orientent d’autres soignants en souffrance, est lui aussi témoin de ce phénomène : "Depuis la mise en place en novembre 2016 de notre plateforme téléphonique d’écoute et de soutien, plus de 3 000 soignants ont composé le numéro vert*", rapporte-t-il. Fait notable, "les médecins qui appellent sont plus jeunes que la moyenne nationale : 47 ans contre 55 ans", constate le docteur Henry, ce qui atteste d’une souffrance avérée chez les jeunes soignants.

Actuellement, selon une étude de l'association SPS menée en 2015, un soignant sur deux serait en burn-out ou en dépression et la parole se libérerait en particulier parmi la jeune génération. "Mon interprétation personnelle est la suivante : quand j’étais jeune médecin, je subissais exactement la même chose, mais tandis que la règle était alors 'marche ou crève', aujourd’hui on ose dire qu’on n’accepte pas de vivre dans ces conditions-là", avance Eric Henry.

Les soignants doivent prendre soin les uns des autres

Comment diminuer efficacement le nombre de soignants en souffrance ? Le principal levier serait, selon Madeleine Lhote, la confraternité entre professionnels de santé. "Il faut que tous les soignants prennent conscience de la fragilité du système de santé et qu’ils prennent soin les uns des autres." Ce qui est malheureusement encore loin de la réalité : "J’ai l’impression que tout le monde dénigre ses confrères et ses consœurs. Les généralistes critiquent les spécialistes, le secteur 1 critique le secteur 2 qui critique le secteur 3, l’hôpital critique la ville et inversement."

Une lueur d’espoir est cependant portée par l’association SPS. Madeleine Lhote, contactée par Eric Henry à la suite de la publication de son "SOS", a participé à une journée de soins et d'écoute au sein de cette structure. "Après des exposés sur les données de santé préoccupantes des soignants, j’ai participé à des ateliers individuels à la fois théoriques et pratiques menés par des interlocuteurs à l'écoute, empathiques et qualifiés", raconte-t-elle à l’issue de cette expérience. Des activités concrètes portant sur la nutrition, le sommeil, la méditation ou encore l'autodéfense y sont proposées aux soignants en souffrance. "Je participerai encore probablement à cette journée le mois prochain", ajoute-t-elle, félicitant l’engagement de l’association qu’elle considère comme "une chance" pour tous les soignants.

Un risque de suicide

Au quotidien, pour une aide concrète la plus efficace possible, les psychologues de l’association SPS écoutent et orientent les soignants qui les contactent. Derrière ces souffrances se tapit aussi le risque de suicide. C'est pourquoi les interlocuteurs classent en différentes catégories les situations de mal-être, selon leur urgence : anxiété, puis dépression, épuisement professionnel, idées suicidaires et enfin suicide imminent. "Nous différencions ainsi la dépression de l’épuisement professionnel. Ce dernier associe une dépersonnalisation, des confits personnels et professionnels, un désintéressement pour le travail et une intense fatigue", détaille Eric Henry.

Autre différence notable entre ces deux maux : le risque de suicide. "Dans la dépression, le suicide est organisé, planifié, alors qu’il peut survenir de façon inattendue, sans préméditation, dans le cadre d’un épuisement professionnel", selon le médecin. Un scénario tristement commun puisque, selon l'association SPS, un quart des soignants auraient déjà eu des pensées suicidaires du fait de leur travail.

* Plateforme téléphonique nationale de l’association SPS, entretiens anonymes et gratuits, 24 h/24, 7 j/7 : 0 805 23 23 36.

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