Déserts médicaux : "Il vaut mieux un médecin qui change tous les ans que pas de médecin du tout"
Après 37 ans d’exercice, le docteur Patrick Laine aimerait pouvoir prendre sa retraite. Mais sans successeur, le départ lui paraît impossible. Ce médecin généraliste de Saulnot, en Haute-Saône, cherche un remplaçant depuis 2016 : "J’ai commencé par publier une annonce sur Le Bon Coin, ce qui a conduit à un buzz médiatique mais aucun candidat ne s’est manifesté" retrace-t-il.
Malheureusement, la situation du docteur Laine n’est pas une exception : "Le nombre de généralistes a chuté de 10% depuis 2007 et cela ne va pas s’arranger : on estime qu’il y aura un quart de généralistes en moins en 2025 par rapport à 2007." Et pour cause : "Aujourd’hui, la moyenne d’âge des généralistes est de 52 ans et 25% d’entre eux ont plus de 60 ans." Les médecins vieillissent, partent à la retraite et lorsqu'ils exerçaient dans des territoires sous dotés médicalement, ils ne sont pas remplacés par les jeunes médecins "qui ont peur de l’isolement professionnel, de l’éloignement avec les spécialistes et de la fragilisation de leur équilibre familial" témoigne le docteur Laine. "En parallèle le problème est aussi une défection du secteur libéral, auquel les jeunes médecins préfèrent le confort et la sécurité d’un emploi salarié en hôpital ou en Ehpad par exemple " ajoute le généraliste.
Conséquence ? Avec le départ des soignants âgés non remplacés, "ce sont des pans entiers de la population française qui se retrouvent sans médecin." A son échelle, Patrick Laine s’inquiète pour sa patientèle : "Je suis dans l’expectative de ne pas laisser mes patients dans un profond désarroi. Je suis moins inquiet pour les patients jeunes qui ont une voiture et se déplaceront pour consulter mais pour les plus âgés, isolés et reculés, ce n’est pas le cas. Certains patients me disent même espérer qu’ils partiront avant moi." Fatigué par les années d’exercice, le docteur Laine espère "qu’une étoile va briller et que des jeunes viendront, d’autant qu’il y a de la place pour deux médecins dans le cabinet".
Une pétition pour faire pression sur les politiques
Mais aujourd’hui, ne voyant aucune amélioration de la situation et ayant repoussé son départ semestre après semestre, le docteur Laine a décidé de lancer une pétition ouverte à tous qu’il perçoit comme "l’aboutissement d’un combat contre les territoires sous dotés médicalement, que l’Etat a lui-même bien souvent déserté en fermant les structures publiques".
Que demande-t-il dans cette pétition ? La création d’une obligation de s’installer pendant un an dans les territoires sous dotés pour les jeunes médecins généralistes nouvellement inscrits à l’Ordre des médecins, avant leur libre installation. Car selon ce généraliste, "il vaut mieux un médecin qui change tous les ans plutôt que pas de médecin du tout !"
Une idée qui n’a pas pour vocation de "servir [ses] intérêts mais bien ceux des patients qui connaissent des problèmes d’accès inégal aux soins" appuie-t-il. "Personnellement, la pétition ne m’apportera rien. Je fais cela parce que je suis un jusqu’au-boutiste dans ma démarche" ajoute le docteur Laine.
Au fil des années, plusieurs raisons se sont en effet accumulées jusqu’à pousser le docteur Laine a créer cette pétition : "Le Plan Ma santé 2022, qui ne s’attaque ni à la garantie d’un accès équitable aux soins ni à la souffrance des territoires sous dotés, les initiatives parlementaires sur l’installation des médecins qui ont toujours été retoquées, malgré une opinion favorable de la population envers de telles mesures coercitives" liste ainsi le généraliste.
La portée de cette pétition n’est donc pas personnelle mais bien politique : "il faut qu’il y ait un maximum de gens qui se positionne pour que cette pression d’opinion puisse remonter vers les chambres parlementaires et vers l’exécutif", espère le médecin.
Fibre optique, maisons de santé et télémédecine
Mais pas question pour le docteur Laine d’obliger les jeunes médecins à travailler sur ces territoires sous-médicalisés sans y apporter de modifications. Dans le texte de sa pétition, il rappelle l’importance d’une politique d’aménagement du territoire avec notamment l’installation de la fibre optique "nécessaire à la télémédecine" mais aussi la mise en place de services de base pour améliorer l’attractivité et le dynamisme de ces zones frappées par "la disparition de nombreux services de proximité".
Le médecin généraliste évoque aussi l’importance d’un renforcement de la présence médicale au moyen de maisons de santé multidisciplinaires, de centres de santé municipaux salariés ou encore de consultations délocalisées et de télémédecine.
Déserts médicaux : que dit la loi Santé ?
Quelles réponses le gouvernement apporte-t-il de son côté au problème de la désertification médicale ? Plusieurs pistes sont envisagées par le projet de loi Santé : une suppression du numerus clausus pour augmenter de 20% le nombre de médecins formés, l’installation de 400 médecins salariés dans les déserts médicaux ou encore l’attribution d’une bourse pour les jeunes médecins qui s’engagent à exercer dans les zones sous-médicalisées.
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