"Aberration" ou "nécessaire arbitrage" : l'éventualité d'un déremboursement de l'homéopathie n'est pas près de faire retomber la fièvre
La Haute Autorité de Santé (HAS) a émis une recommandation "défavorable" au maintien du remboursement des produits homéopathiques par l'assurance maladie. Quelles conséquences pour la sécurité sociale, les médecins, les patients ?
Après avoir étudié 1 200 produits homéopathiques, la HAS, dans un avis préliminaire d'évaluation la Commission de transparence, estime que ces derniers offrent un "service médical rendu insuffisant". Elle demande donc qu'ils ne soient désormais plus du tout remboursés.
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franceinfo s'est tourné vers des médecins et des spécialistes. Non pas pour trancher le débat sur l'efficacité de l'homéopathie, mais pour évaluer les conséquences d'un déremboursement.
Sur quels critères s'est basée la HAS ?
Daniel Scimeca, médecin généraliste et homéopathe, président de la Fédération française des sociétés d'homéopathie (FFSH), est vent debout contre la Haute autorité. Un "service médical rendu insuffisant" selon la HAS. Une affirmation qui fait bondir Daniel Scimeca, qui met en cause la méthode de la HAS. Il invoque d'autres travaux : "Les études montrent le contraire : on ne peut plus, en 2019, dire que le médicament homéopathique est un placebo. L'avis est totalement aberrant. La Haute autorité n'a pas pu étudier 1 200 médicaments, ça n'est pas possible en trois mois, il faut d'habitude un an pour un seul médicament." Pour lui, les traitements homéopathiques sont "efficients" et les études "suffisantes".
Mathias Wargon, médecin urgentiste de l'hôpital Delafontaine à Saint-Denis, est d'un tout autre avis. "L'homéopathie repose sur le principe de similitude et des hautes dilutions. Ces principes de similitude et de hautes dilutions sont à la physique et à la médecine ce que la terre plate est à l'astronomie. Ça ne veut rien dire, ça ne repose sur rien. Ça repose sur les élucubrations d'un monsieur qui a fait de la médecine il y a plus de 200 ans, à un moment où on ne connaissait pas les microbes, les virus, à un moment où on ne connaissait pas la physiologie humaine…"
Christian Lehmann, médecin généraliste, est signataire d'un appel de 124 professionnels de la santé contre les "médecines alternatives". Autant dire qu'il ne fait pas partie des supporters de l'homéopathie, "un procédé qui date d'il y a 250 ans qui va à l'encontre de tout ce qu'on sait de la physique, de la chimie, etc." Mais pour lui, le critère principal qui a guidé le choix de la HAS n'est pas là. "C'est un rappel à la loi, estime-t-il. Il y a un code de la santé publique en France : vous n'avez pas le droit, si vous êtes médecin, de promouvoir un remède ou un procédé illusoire ou insuffisamment éprouvé". Christian Lehmann estime que ce ne sont pas les produits homéopathiques en tant que tel qui posent problème mais leur diffusion via les médecins. "On ne peut pas se cacher derrière son diplôme de médecin pour promouvoir ce type de produit. Qu'ensuite ces produits soient en vente, si les gens ont envie d'y croire, c'est très bien. S'ils pensent que ça leur fait du bien, il n'y a pas de problème."
Quel impact économique ?
La HAS appuie sa recommandation sur un bénéfice économique. "Aberrant", estime Daniel Scimeca : "Il n'y a aucun bénéfice économique. C'est le médicament le moins cher et le plus sûr." Pour Frédéric Bizard, économiste, professeur à Sciences Po et spécialiste des questions de santé, "l'enjeu économique est relativement faible. Ça représente 0,7% des dépenses de médicament et moins de 0,1% des dépenses de l'assurance maladie; ça ne va rien changer à l'équilibre général".
Si le coût est somme toute faible comparé à l'ensemble des dépenses de santé, pourquoi ne pas maintenir le remboursement, au titre de l'effet placebo ? "On ne paie pas un effet placebo 126 millions d'euros pour les seuls médicaments dans un pays où ne rembourse pas les lunettes, le dentaire, l'audition, balaie Christian Lehmann. La réalité, c'est que l'homéopathie perd 10% de son chiffre d'affaires chaque année parce que les médecins sont formés à ce qu'on appelle l''evidence based medicine', c’est-à-dire la médecine basée sur les preuves".
Ce sont donc les laboratoires qui auraient du souci à se faire. Boiron, le leader mondial du secteur, basé à Lyon, argue que si l'homéopathie n'était plus remboursée, 1 000 emplois seraient directement menacés. Pourtant, Frédéric Bizard est confiant pour la santé des laboratoires. "Ce qu'on a constaté en 2011, comme en 2004, c'est que les déremboursements partiels n'ont pas entraîné de baisse de chiffre d'affaires pour les laboratoires. Donc, je pense que l'impact sur l'emploi sera quasi nul et celui pour l'assurance maladie sera faible". D'autant que pour eux, l'avenir et le développement passe par l'étranger.
François Chast, pharmacien des hôpitaux et président honoraire de l'Académie de pharmacie, n'est pas plus inquiet. "Les laboratoires ont déjà un grand nombre de médicaments qui ne sont pas remboursés parce qu'ils font de la publicité. Il y en a un dont on voit le nom s'afficher dans les abribus de France et de Navarre tous les mois d'octobre au moment où on annonce une épidémie de grippe. Il n'est pas remboursé et il représente la majeure partie du chiffre d'affaires du laboratoire en question. Les laboratoires sont prêts."
Pour Frédéric Bizard, se focaliser sur l'homéopathie est un leurre. "Il n'est pas nécessaire de faire de l'homéopathie-bashing, en revanche on peut s'étonner : vous avez des centaines de médicaments, qui sont comme l'homéopathie, remboursés à 30%, certains à 15%, car eux aussi ont un service médical rendu faible. Et ça, ça représente quelques milliards d'euros. Pourquoi tout d'un coup l'homéopathie est visée et pas les autres?" L'enjeu est ailleurs, et ce déremboursement pourrait en annoncer d'autres. "Ça peut être le début d'un déremboursement, enfin, de médicaments à faible service médical rendu. Non pas pour faire faire des économies à l'assurance maladie mais pour permettre le financement de médicaments à très forte valeur ajoutée mais qui peuvent coûter très cher."
Quel impact pour les patients ?
Comme l'impact économique, les conséquences pour les patients sont pour l'heure "difficiles à anticiper" reconnaît Frédéric Bizard. "L'homéopathie représente actuellement un coût inférieur à deux euros pour les patients, rappelle-t-il. Par conséquent, je ne suis pas sûr que ce déremboursement devienne un obstacle financier pour accéder à ces médicaments. Après, on peut se demander si les laboratoires ne vont pas augmenter leurs prix."
Les défenseurs de l'homéopathie sont très mobilisés et défendent un usage répandu. "Un Français sur deux est très attaché au traitement homéopathique", rappelle Daniel Scimeca. Pour lui, les grands perdants seront les patients. "Ils vont en partie se reporter vers des médicaments qui vont à la fois coûter plus cher et qui d'autre part vont entraîner des frais induits, c’est-à-dire des effets secondaires, donc il n'y aura aucun bénéfice économique. Et surtout un inconvénient en termes de démocratie. Un Français sur deux se déclare satisfait de ce type de médicament, et on dit qu'il n'y a pas de service médical rendu ?" Il compte bien demander à la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, de ne pas appliquer cette recommandation de la HAS. Une pétition nationale en ce sens, intitulée "Mon homéo, mon choix", a d'ailleurs été lancée "avec les patients" et a déjà presque recueilli "430 000 signatures", revendique le médecin.
Les habitudes de certains patients pourraient changer, mais à l'échelle de la collectivité et de notre rapport à la santé, tout n'est qu'une question "d'arbitrage", défend Fédéric Bizard. "Etant un pays riche on s'est permis de rembourser beaucoup de produits et prestations qui ont un service médical rendu faible. Il faut arriver à distinguer ce qui peut être pris en charge par la collectivité aujourd'hui, où l'argent public est rare. Un médicament déremboursé, ce n'est pas qu'il devient inutile, c'est que d'autres produits sont considérés plus utiles."
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