Cancer : des médicaments innovants et efficaces mais toujours plus chers
50.000 euros par an et par patient : c'est le prix moyen d’une thérapie ciblée, c’est-à-dire qui s’attaque uniquement aux cellules cancéreuses. Selon les résultats du dernier Observatoire cancer Institut Curie, ces nouveaux traitements sont efficaces, mais leur coût, cinq à dix fois supérieur à celui d’une chimiothérapie classique, menace l’égalité d’accès aux soins. Entretien avec le Pr Thierry Philip, président de l’Institut Curie à Paris.
- Selon votre étude, 96% des Français sous-estiment le prix des nouvelles molécules. Comment expliquer cette méconnaissance ?
Pr T. Philip : "Les Français ne paient pas donc ils ne se rendent pas compte du prix des choses. Dans cette enquête, c’est plein de paradoxes. Les Français sont attachés au système de la Sécurité sociale. Ils sont attachés à l’égalité et ils ont peur que l’innovation rompe ce principe d’égalité. Et puis, quand on les interroge plus profondément, on a des tas de surprises. Ils ne connaissent pas le plan Cancer. Ils ne se rendent pas compte qu’investir sur la prévention pourrait économiser justement des médicaments. Et puis, ils se trompent complètement sur le prix des médicaments."
- Jusqu’à quand la Sécurité sociale pourra-t-elle prendre en charge ces traitements innovants ?
Pr T. Philip : "Pour l’instant, il n’y a pas de problème. En 2000, le coût du cancer était de 15 milliards d’euros, celui des médicaments 1 milliard. En 2017, c’est 16,5 milliards d’euros donc ce n’est pas énorme pour la première cause de mortalité. C’est une augmentation modérée. Seulement, les médicaments sont passés de 1 à 3 milliards d’euros. Et si on continue comme ça, on va augmenter de 1 milliard d’euros tous les ans. Donc, il n’y a pas le feu aujourd’hui. Mais, si on projette à 2025, on s’aperçoit qu’on sera alors à 40% de l’augmentation des coûts de l’Assurance Maladie. L’Assurance Maladie c’est 200 milliards d’euros. On ne peut pas avoir 40% d’augmentation des coûts sur les traitements du cancer. C’est pour ça qu’on a fait une enquête, pour voir si la société se rendait compte de ce problème. On a un ministre de la Santé très compétent sur le sujet donc c’est le moment de réunir les politiques, les médecins, les malades et évidemment les industriels. On n’est pas en guerre du tout avec l’industrie, on veut travailler avec eux."
- Pour justifier le prix des médicaments innovants, les laboratoires évoquent le coût de la recherche. Est-ce une raison valable ?
Pr T. Philip : "Pas tout à fait. De plus en plus, les industriels déconcentrent en quelque sorte le coût de la recherche dans les hôpitaux publics, dans la recherche publique… Il y a le crédit impôt recherche. En fait une partie de cette recherche, on la paye déjà avec nos impôts. Donc, on ne va pas payer deux fois. On demande la transparence. Je pense qu’il faut mettre tout le monde autour de la table. Les malades sont parfaitement capables de comprendre un certain nombre de choses. Tout le monde comprend qu’on a besoin des industriels. Pourquoi cela coûte moins cher dans un autre pays européen ? Pourquoi cela ne coûte pas cher du tout en Afrique ? On nous explique qu’on est riche et que c’est à nous de payer. Mais, on veut savoir ce qu’on paye."
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