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Nouveaux traitements contre Alzheimer : pourquoi ce grand pas pour la recherche n'aidera pas tous les malades

De façon inédite, deux médicaments ont prouvé leur efficacité pour ralentir le déclin cognitif. Pas encore autorisés en France, ils s'accompagnent de risques non négligeables et sont réservés à un traitement très précoce.
Article rédigé par Louis Boy
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Une pensionnaire d'un appartement en colocation spécialisé dans l'accueil de malades d'Alzheimer, à Zillisheim (Haut-Rhin), le 6 juillet 2022. (VINCENT VOEGTLIN / L'ALSACE / MAXPPP)

C'est, après le cancer, la maladie la plus crainte par les Français, qui l'expriment sondage après sondage. Alzheimer fait peur, car elle prive les malades de leurs souvenirs, mais aussi parce qu'il n'existe presque pas de traitements : quelques médicaments pour atténuer les symptômes, à l'efficacité discutée, déremboursés en France depuis 2018, et rien pour contrer le développement de la maladie. Jusqu'à une lueur d'espoir venue des Etats-Unis. Les autorités sanitaires américaines ont autorisé en janvier le lecanemab, dont les essais montrent qu'il ralentit le déclin cognitif des patients. Elles pourraient donner leur feu vert à un second traitement, le donanemab, après d'autres résultats publiés le 17 juillet.

"On voit enfin qu'on peut arriver à faire quelque chose contre Alzheimer, alors qu'il n'y avait rien eu de positif en vingt ans", se réjouit Philippe Amouyel, directeur général de la Fondation Alzheimer. La recherche avait surtout avancé sur la compréhension de la maladie. On s'accorde aujourd'hui sur le rôle central de deux protéines : la béta-amyloïde, qui s'accumule autour des neurones, et la tau, qui s'agrège à l'intérieur de ceux-ci.

Ces nouveaux traitements, des anticorps monoclonaux injectés par intraveineuse, sont les premiers à montrer des effets sur la maladie en ciblant les protéines béta-amyloïdes. Jusque-là, on parvenait à en éliminer une grande partie sans bénéfice pour le patient, nourrissant un vif débat scientifique sur l'intérêt de poursuivre dans cette voie. Pour Bruno Dubois, ancien directeur de l'Institut de la mémoire et de la maladie d'Alzheimer à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris, le succès des deux médicaments "valide l'hypothèse sous-jacente sur laquelle on travaille depuis 2000".

Gagner des mois de vie normale avant le déclin

"Mais les symptômes ne s'améliorent que très peu", ajoute d'emblée le neurologue. Ces deux médicaments permettent de ralentir le développement de la maladie d'Alzheimer, pas de recouvrer les facultés mentales perdues. Lors des essais cliniques du lecanemab (commercialisé sous le nom Leqembi) et du donanemab, l'état des participants était évalué selon un score de gravité de la maladie. Au terme des 18 mois de suivi, la hausse du score était moins importante de 27% chez les personnes ayant reçu le lecanemab par rapport au groupe ayant reçu un placebo. Il avait malgré tout augmenté. "En moyenne, les malades d'Alzheimer peuvent vivre six ans de façon autonome après leur diagnostic", rappelle Philippe Amouyel. Si les bénéfices du traitement se maintiennent dans la durée, ce qui reste à étudier, "cela reviendrait à gagner 19 mois où ils peuvent rester chez eux, où ils reconnaissent encore leurs enfants, peuvent avoir des échanges..."

Sur la même durée, l'écart mesuré était même de 35% dans l'essai clinique du donanemab, mais le sous-groupe de patients observés était à un stade plus précoce de la maladie, compliquant la comparaison. L'étude, publiée dans la revue Journal of the American Medical Association, offre un autre motif d'espoir : dans ce groupe, les patients recevant le médicament étaient plus nombreux que dans le groupe placebo à ne constater aucune dégradation en un an d'essai (47% contre 29%). Enfin, l'effet apparaît comme persistant chez des patients ayant arrêté le traitement en cours.

Un risque qui impose la prudence

Mais la clé de cette efficacité n'est ni la molécule choisie, ni le fait de cibler les protéines béta-amyloïdes. "Ce qui change, c'est de traiter plus tôt des patients mieux sélectionnés", explique Maï Panchal, directrice générale et scientifique de la Fondation Vaincre Alzheimer. Les progrès de la recherche permettent de diagnostiquer plus tôt et plus finement. Ainsi, le donanemab a été testé sur des patients présentant une "déficience cognitive légère", et le sous-groupe sur lequel ce médicament montre les résultats les plus notables a été choisi pour son taux "faible ou moyen" de protéine tau, l'autre responsable d'Alzheimer. "Ce sont des gens qui consultent parce qu'ils perdent souvent leurs lunettes", pas des malades ayant totalement perdu la mémoire, résume Philippe Amouyel, qui situe aux années 2010 la prise de conscience du besoin de traiter Alzheimer plus en amont, les lésions de patients très touchés s'avérant irréparables.

Le bénéfice de ces traitements est-il si évident pour des patients encore peu affectés ? "Ce sont des personnes qui ont encore une espérance de vie avec une certaine qualité", pointe Bruno Dubois. Les traiter les exposerait "au risque d'effets secondaires" et leur imposerait des examens réguliers. Les essais du lecanemab et du donanemab montrent en effet un risque nettement accru d'hémorragies cérébrales ou d'œdèmes. Trois décès "liés au traitement" sont ainsi rapportés parmi les 853 patients traités au donanemab, et 13% d'entre eux ont cessé de prendre le médicament du fait des effets secondaires. La surveillance de ce risque suppose par ailleurs des examens cérébraux réguliers, pénibles et coûteux. Pour un effet qui ne relève pas du miracle, insiste Bruno Dubois.

"Les patients doivent accepter qu'en prenant ces médicaments, ils ne vont pas guérir, mais évolueront simplement moins sévèrement".

Bruno Dubois, ancien directeur de l'Institut de la mémoire et de la maladie d'Alzheimer

à franceinfo

Le neurologue, qui a joué un rôle clé dans le développement des diagnostics précoces, envisage qu'il soit possible à terme de traiter "des sujets pas encore symptomatiques" chez qui on observerait déjà des lésions caractéristiques, qui peuvent s'accumuler des années avant les premières pertes de mémoire. "Mais la présence d'effets secondaires nous impose la prudence", pour éviter de faire courir un risque à des personnes qui pourraient ne jamais développer un Alzheimer grave. Certains malades sont par ailleurs exclus d'emblée : c'est le cas des personnes traitées avec des anticoagulants, et aussi des porteurs du gène ApoE4, qui augmente fortement la probabilité de développer la maladie d'Alzheimer, mais aussi les effets secondaires des médicaments. En France, 300 000 patients pourraient être éligibles à ces nouveaux traitements, s'ils étaient autorisés, estimaient trois chercheurs dans un article publié en avril dans la Revue neurologique, alors qu'Alzheimer toucherait plus d'un million de personnes dans le pays.

Des traitements complémentaires encore à l'étude

Pour changer la réalité des malades, ces deux médicaments ne suffiront pas. "On sait que la maladie est multifactorielle et qu'il va falloir trouver des multithérapies", à l'image de la trithérapie développée pour neutraliser le VIH, explique Maï Panchal. Des traitements en développement tentent de cibler la protéine tau, directement responsable des symptômes d'Alzheimer, ce qui laisse espérer un effet sur les malades avancés. Mais pour cela, il faut trouver des anticorps capables de pénétrer dans les neurones, où elle s'accumule. "Cela va prendre davantage de temps", explique la directrice générale et scientifique de la Fondation Vaincre Alzheimer.

D'autres essais évaluent l'efficacité de médicaments qui luttent contre l'accumulation de protéines dans les vaisseaux sanguins cérébraux ou encore contre l'inflammation du cerveau en réaction à la maladie, qui pourrait aussi provoquer des symptômes. Les résultats positifs du lecanemab et du donanemab font espérer "un regain d'intérêt pour Alzheimer de la part de l'industrie pharmaceutique, qui s'était désengagée", souligne Philippe Amouyel.

Pour autant, leur mise sur le marché en Europe n'est pas acquise. Elle dépend de l'accord de l'Agence européenne des médicaments (EMA), qui a reçu une demande d'autorisation des laboratoires Eisai et Biogen pour le lecanemab, en janvier, mais pas encore d'Eli Lilly au sujet du donanemab. Si ces traitements obtiennent un feu vert, ils devront ensuite avoir celui de l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) pour être prescrits en France. Outre la balance bénéfice-risque, les deux instances doivent prendre en considération le prix de ces thérapies. Aux Etats-Unis, un an de traitement au lecanemab est évalué à un peu moins de 24 000 euros par son fabricant. Sans intégrer au calcul la logistique et le personnel nécessaires pour des injections tous les 15 jours et le suivi étroit des effets secondaires.

Des espoirs qu'il faut parfois tempérer

L'EMA s'est déjà montrée plus sévère que son équivalent américain. En 2021, elle a refusé la mise sur le marché de l'aducanumab, un traitement similaire, vendu aux Etats-Unis depuis juin de la même année. L'un des deux essais menés par son fabricant, Biogen, était positif, mais le second ne montrait aucune efficacité malgré des effets secondaires importants. Son autorisation outre-Atlantique a suscité une controverse et, deux ans plus tard, "il a tellement mauvaise presse qu'il est peu prescrit", résume Philippe Amouyel. Le praticien estime que l'agence américaine n'a pas su résister aux attentes, compréhensibles, des médecins et des associations de malades.

"Il y a eu des pressions énormes. Il faut comprendre les médecins : ils ont besoin d'avoir quelque chose à proposer aux patients, et ils n'ont rien à part du social."

Philippe Amouyel, directeur général de la Fondation Alzheimer

à franceinfo

Depuis les résultats encourageants du lecanemab et du donanemab, Philippe Amouyel reçoit des courriers pleins d'espoir qu'il doit souvent décevoir. "L'attente est si forte qu'on est obligés d'y mettre un frein", confie aussi Benoît Durand, directeur délégué de France Alzheimer, la principale association de familles de malades, France Alzheimer. Refuser aux malades l'accès à ces traitements créerait "une grosse déception", prévient-il, convaincu que beaucoup accepteraient le risque d'effets secondaires. En attendant, il tente d'apaiser l'impatience des proches des malades en phase avancée : "Malheureusement, ça ne va pas concerner la personne que vous accompagnez. Mais peut-être que la génération suivante aura enfin un traitement pour ne pas vivre ce que vous avez vécu."

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