Levothyrox et secret des affaires : "Il est peut-être temps que les autorités reprennent ça en main"
Edouard Perrin, journaliste et président du collectif "Informer n'est pas un délit" était invité sur franceinfo samedi. Il réagissait à la première application, controversée, de la loi sur le secret des affaires validée en juillet dernier par le Conseil constitutionnel et qui concerne le dossier du Levothyrox.
"Il est peut-être temps que les autorités et les parlementaires se demandent si effectivement c'est bien l'esprit de la loi qu'ils ont votée qui est appliqué aujourd'hui", a déclaré samedi 29 septembre sur franceinfo Edouard Perrin, journaliste et président du collectif "Informer n'est pas un délit" qui rassemble plusieurs journalistes, tous médias confondus. Il réagissait à la première application de la loi sur le secret des affaires validée en juillet dernier par le Conseil constitutionnel et qui concerne le dossier du Levothyrox, un médicament dont le changement de formule en France en 2017 est accusé de provoquer des effets indésirables chez plusieurs dizaines de milliers de patients malades de la thyroïde.
Alors que l'avocat Emmanuel Ludot, qui défend des dizaines de patients qui ont porté plainte pour tromperie et mise en danger de la vie d'autrui, a demandé en avril dernier un document pour constituer son dossier, l'ANSM a mis plus de cinq mois à lui envoyer ce document où manquent plusieurs informations et invoque aujourd'hui - la loi étant passée en juillet - le secret des affaires pour ne pas les communiquer.
franceinfo : Comment une loi votée fin juillet peut-elle ainsi être utilisée pour cacher des choses aux citoyens ? On pourrait croire que l'évolution de la société amène à davantage de transparence ?
Edouard Perrin : Non, absolument pas et c'est d'ailleurs ce qu'on a dénoncé avec le collectif et d'autres associations depuis plus de trois ans maintenant. Le débat n'est donc pas nouveau et nous avions dénoncé les risques potentiels de ce texte que l'on voit, là, clairement, en application. Il y a un texte invoqué par une administration publique, l'ANSM, pour empêcher la révélation d'informations concernant un médicament et en provenance d'une entreprise, au public. Il faut savoir que ce texte avait été présenté à de nombreuses reprises comme une arme pour les entreprises, pour se défendre contre l'espionnage industriel. Nous avions dit au rapporteur de la loi "très bien, vous voulez lutter contre l'espionnage industriel, vous devriez limiter le champ d'application de ce texte aux seules entreprises entre elles, celles qui sont en concurrence afin effectivement d'éviter qu'elles puissent s'espionner" et ça nous avait été refusé. On vient pourtant que dans le dossier du Levothyrox on coche toutes les mauvaises cases : le texte est utilisé par une agence publique pour empêcher la divulgation d'informations au public sur un sujet d'intérêt majeur, la santé.
Le lieu de production ou le lieu de l'entreprise qui fabrique le principe actif du médicament ont été supprimés du dossier, la ministre de la Santé est-elle coincée par cette loi ou peut-elle contraindre l'ANSM ?
Je ne suis pas la ministre de la Santé mais je voudrais rappeler que face aux alertes que nous avions soulevées lors de l'adoption de ce texte, on nous avait répliqué qu'un comité de suivi, en quelques sortes, suivrait l'application de ce texte. Je reprends donc les autorités et les parlementaires au mot et je leur dis que c'est peut-être le moment de réveiller ce comité de suivi, il est peut-être temps que les autorités et les parlementaires reprennent ça en main et se demandent si effectivement c'est bien l'esprit de la loi qu'ils ont votée qui est appliqué aujourd'hui.
Cette loi peut-elle priver le grand public d'informations essentielles ?
Cette loi est une arme dissuasive pour tous ceux, pas seulement les journalistes mais aussi les lanceurs d'alerte, les sources, qui voudraient révéler des informations d'intérêt public et qui en seraient empêchés parce que ce texte poursuit et punit la publication de secrets des affaires mais pas seulement la publication. Ça veut dire que si on obtient un secret des affaires vous pouvez être poursuivi avant même de l'avoir rendu public. C'est tout le danger de ce texte.
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