Histoire de la médecine : la découverte des barbituriques
Il existe plusieurs versions de l'origine du mot "barbiturique" et leur invention est une histoire qui illustre, à la fois une découverte et une façon dont on donne des noms aux médicaments. Elle mélange des prix nobels de chimie et des noms de médicaments assez poétiques.
Un composé de "barba" et d'"urique"
Le premier protagoniste de cette découverte est, Von Baeyer, un chimiste allemand qui reçut le prix Nobel de Chimie en 1905 pour la découverte de l’indigo artificiel, un colorant majeur qui lança toute l’industrie des colorants synthétiques qui fit la fortune et la puissance de l’industrie chimique allemande.
La justification était "en reconnaissance de ses services à l'avancement de la chimie organique de l'industrie chimique, à travers son travail sur les teintures organiques et les composés hydroaromatiques".
En 1864 il synthétise l’acide barbiturique et le nomme ainsi car c’est un dérivé de l’urée (le déchet que nous produisons qui s’élimine dans les urines). Comme il l’a découvert le jour de la Sainte Barbara il nomme ce composé en associant "barba" et "urique" pour former "barbiturique".
Il teste sur lui-même cet acide barbiturique mais ne lui trouve pas d’activité. Cette substance sera pourtant le chef de file de nombreux médicaments : les barbituriques.
Un produit peut en cacher un autre
Cet acide barbiturique était inactif et il faudra attendre 1902-1903, que deux autres chimistes allemands des laboratoire Bayer, qui n'ont rien à voir avec von Baeyer, laboratoire qui étudiait à l’époque des dérivés de cet acide barbiturique, se servent de ce produit de base pour en découvrir un autre.
Ces chimistes se nommaient Von Mering et Emil Fischer.
Ils ont un air de famille mais n’étaient pourtant pas de la même famille, c’était le look prussien de l’époque pour les professeurs. Emil Fischer reçut le prix Nobel en 1902 pour ses travaux sur la synthèse asymétrique.
Ils obtiennent le dérivé diéthyle de l’acide barbiturique et s’aperçoivent que ce composé calme et endort remarquablement. Ils le dénomment poétiquement Véronal car l’un d’eux aimait beaucoup la ville italienne de Vérone, ville qu’il trouvait calme et pacifique. Ce Véronal sera le premier somnifère commercialisé au monde.
En 1912, ce même laboratoire créé le Phénobarbital qu’il présente comme somnifère et le dénomme Luminal ®.
Le Phénobarbital aux diverses propriétés
Souvent une propriété thérapeutique majeure apparait de façon inattendue à la suite d'un concours de circonstances fortuites et très souvent dans le cadre d'une recherche concernant un autre sujet, on appelle cela la sérendipité, comme la pénicilline par exemple et comme le Phénobarbital qui se révèle en posséder d'autres.
Durant la première guerre mondiale, un psychiatre allemand, qui travaillait dans un hôpital psychiatrique à Freiburg, Alfred Hauptmann, est très ennuyé par ses patients épileptiques (qui alors étaient pris en charge comme des malades mentaux….) qui le réveillent toutes les nuits du fait de leurs crises.
Le gardénal, une découverte d'abord passée inaperçue
Il cherche alors à les faire dormir et essaye un peu au hasard tous les somnifères qui étaient alors disponibles comme le Chloral, le Véronal et aussi le Phénobarbital. Surprise, il constate que le Phénobarbital calme les crises d’épilepsie même durant la journée et à des doses qui ne font pas dormir.
Il publie cette découverte après la guerre dans une revue médicale allemande obscure. Du fait du contexte (la littérature allemande était alors peu lue suite à la défaite), la découverte passe inaperçue.
Il faut attendre les années 1923-1924 pour que le laboratoire anglais Winthrop retrouve cet article et commercialise, comme antiépileptique, le Phénobarbital qui s’appelait alors Luminal et le dénomme Gardénal (qui garde).
Le Gardénal et les barbituriques sont-ils toujours utilisés ?
Le Phénobarbital garde toujours un place utile comme antiépileptique même si d’autres composés sont maintenant de plus en plus utilisés comme la fameuse Dépakine qui a défrayé la chronique de par ses effets toxiques pour le fœtus, comme d’ailleurs d’autres antiepileptiques anciens, voire récents.
Les barbituriques ont donné beaucoup de médicaments très importants. Outre le Phénobarbital, on utilise des barbituriques d’action très rapide en anesthésie comme le Pentobarbital ou le Thiopental. Malheureusement, ces produits ont aussi une mauvaise réputation et aujourd'hui, ils sont réservés à des usages particuliers. Ils sont beaucoup moins prescrits en raison de leurs effets indésirables, du risque d'abus, et de l'arrivée sur le marché de molécules aux effets similaires mais sans les effets délétères des barbituriques.
Ils ont souvent été utilisés dans les tentatives de suicide. La recherche des barbituriques dans le sang était un classique lors des gardes.
Ils sont aussi utilisés dans les cocktails qu'on injecte pour exécuter les condammés à mort dans certains états des Etats-Unis et aussi comme sérum de vérité pour faire parler des inculpés dans certaines dictatures sud-américaines et autres. Le KGB, et l'ex-URSS, en a été un grand utilisateur comme nous le rappelle le film de Costa Gavras, l’aveu avec Yves Montand.
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