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Vrai ou faux La campagne de vaccination contre la variole du singe est-elle trop lente pour contrôler l'épidémie, comme l'affirme Sandrine Rousseau ?

La députée EELV estime que les mesures prises par le ministère de la Santé pour la vaccination du public cible, soit environ 250 000 personnes, sont insuffisantes en France. Un constat partagé par les associations et les praticiens.

Article rédigé par Quang Pham
France Télévisions
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Un centre de vaccination contre la variole du singe à Paris, le 26 juillet 2022. (MAGALI COHEN / HANS LUCAS)

L'inquiétude monte au sein des associations et chez les praticiens, mais aussi chez les élus de l'opposition : la campagne de vaccination contre la variole du singe patinerait, ne permettant pas de contrôler l'épidémie. Le ministre de la Santé, François Braun, se veut pourtant rassurant : "Nous avons vacciné plus de 30 000 personnes et le rythme de vaccination s'accélère, avec plus de 2 000 vaccinations par jour", a-t-il déclaré mercredi 10 août sur RTL, 

Bien trop peu pour Sandrine Rousseau, qui a réagi sur Twitter après les propos du ministre, chiffres à l'appui : "La cible, rien que sur Paris, est 150 000 personnes à vacciner. Plus on tarde moins l’épidémie est sous contrôle." La députée EELV a-t-elle raison de donner l'alerte ?

"Il y a un problème majeur de capacité vaccinale" confirme Gilles Pialoux, chef du service des maladies infectieuses et tropicales à l’hôpital Tenon, à Paris. "Vous avez 10 000 vaccinations par semaine. Or la population cible est de 250 000 personnes" en France, souligne-t-il, reprenant les chiffres de la Haute Autorité de santé. Dans ces conditions, "la fin de la vaccination n'interviendra pas avant la fin de l’année, ce n'est pas acceptable".

La France ne manque pas de doses de vaccin

De plus en plus de personnes sont désormais éligibles au vaccin : depuis le 8 juillet, les groupes les plus exposés, à savoir "les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes et les personnes trans qui sont multipartenaires, les personnes en situation de prostitution et les professionnels exerçant dans les lieux de consommation sexuelle", peuvent recevoir leur injection.

Pour Gilles Pialoux, le chiffre de 150 000 personnes éligibles à la vaccination sur la seule ville de Paris, avancé par Sandrine Rousseau, paraît vraisemblable. Il est corrélé à la taille importante de la population HSH (hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes) en région parisienne, l'un des principaux publics à risque face au virus de la variole du singe.

Comment expliquer une telle lenteur de la campagne vaccinale ? Les praticiens écartent déjà certains facteurs. "Il n'y a pas de problème de doses. Le ministère de la Santé et la Direction générale de la santé nous tranquillisent sur ce point : la France est bien dotée," relate Gilles Pialoux.

"On n'a pas d'informations précises sur le nombre de doses, qui est classé secret défense", nuance toutefois Yannick Simonin, virologue et enseignant chercheur à l'Inserm de l'université de Montpellier. Le vaccin utilisé contre le virus de la variole du singe (ou monkeypox, en anglais) est en effet celui de la variole, un virus considéré comme une arme biologique couverte par le secret militaire. Et si aucune pénurie n'a été évoquée en France, le virologue fait remarquer qu'aux "Etats-Unis et au Royaume-Uni, des problèmes d'approvisionnement ont déjà été signalés".

"Un vrai problème de bras"

En France, "le vrai problème est un problème de bras, de centres et de dynamique de vaccination", soupire Gilles Pialoux. A l'hôpital Bichat, l'infectiologue Nathan Peiffer Smadja constate un manque de personnel pour vacciner. "En tant que centre hospitalier de maladies infectieuses, nous avons pris cette nouvelle activité de vaccination et de dépistage du monkeypox à effectifs constants. Globalement, un cinquième du service y a été affecté."

Interrogée par franceinfo, Sandrine Rousseau déplore quant à elle "qu'il n'existe qu'un seul centre de vaccination sur Paris" alors que la campagne de vaccination a débuté il y a plus d'un mois. "Je suis allée visiter ce centre [qui ne dispose] que de trois cabines de vaccination. Seulement 150 personnes y sont traitées par jour, ce qui est très très faible", regrette la députée. Outre ce centre ouvert par la ville de Paris, la capitale compte au total 21 points de vaccination, dans des hôpitaux ou des centres de santé. Et selon le professeur Pialoux, environ 4 500 personnes ont été vaccinées en Ile-de-France.

Autre problème soulevé également par la députée : le ciblage des campagnes de prévention qui n'atteignent pas les populations précaires comme "les mineurs et la prostitution masculine". Un manquement relevé aussi par le professeur Pialoux : "Il y a toute une population qu'on voit peu à l'hôpital, par exemple les travailleurs et travailleuses du sexe".

Contacté par franceinfo, le ministère de la Santé déclare travailler à une expérimentation avec les pharmacies pour augmenter les capacités de vaccination. Depuis le 9 août, cinq officines sont autorisées à vacciner leurs clients, selon un arrêté paru au Journal officiel. L'objectif de l'expérimentation, qui doit durer une quinzaine de jours, vise notamment à tester la logistique d'un vaccin anti-variole qui doit être maintenu à -80°C puis, une fois décongelé, ne peut être conservé que pendant quinze jours dans les réfrigérateurs. De son côté, la Direction générale de la santé (DGS), contactée par franceinfo, rappelle que "la France est l’un des seuls pays au monde à avoir ouvert une vaccination préventive" et qu’un arrêté pris par le ministre de la Santé le 26 juillet a élargi la liste des personnes qui peuvent effectuer cette vaccination aux médecins et aux infirmiers retraités, ainsi qu’aux étudiants en santé, ce "qui devrait permettre d’augmenter encore le nombre de plages de vaccination ouvertes en cette période estivale".

Entre 300 et 400 cas recensés par semaine depuis début juillet

La réponse gouvernementale ne convainc pourtant pas totalement les praticiens. "Il ne faut pas faire tout peser sur l'hôpital et les pharmaciens. Pour augmenter la capacité [de vaccination], il va falloir passer par les vaccinodromes," juge Gilles Pialoux. "Les pharmaciens sont une bonne alternative", concède l'infectiologue, qui critique toutefois "un système d'ultra précaution avec une étape expérimentale dont on n'a pas besoin." Selon lui, les officines maîtrisent déjà "la chaîne du froid" qu'elles ont mis en place pour les vaccins à ARN contre le Covid, "pas plus contraignants" que ceux pour la variole.

Or le temps est précieux dans la lutte contre la pandémie. Le nombre de patients atteints par la variole du singe reste modeste au regard de la population totale, avec 2 673 cas recensés au 11 août au niveau national, selon Santé publique France. Après une explosion du nombre de cas au printemps, le nombre de contaminations semble se stabiliser entre 300 et 400 cas par semaine depuis début juillet.

Nombre de cas confirmés de variole du singe en France, entre mai et août 2022. (SANTE PUBLIQUE FRANCE)

Toutefois, "si on laisse le virus de la variole du singe circuler, il risque de se diffuser plus largement vers les personnes les plus fragiles, avertit Yannick SimoninIl est donc impératif d'avoir une campagne vaccinale la plus rapide possible pour éviter sa diffusion dans la population générale."

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