Gynécologues médicaux : une pénurie inquiétante
En postant, le 10 janvier dernier, un message sur Facebook, le Dr Anne Noblot, gynécologue médicale à Dunkerque, dans le Nord, ne s’imaginait probablement pas que celui-ci serait partagé plus de 25.000 fois. Son message relatait la visite d’une jeune femme de 20 ans "sous pilule depuis 5 ans et suivie par son médecin généraliste qui la [voyait] tous les 3 mois pour renouveler son ordonnance de contraception". Selon la médecin, cette patiente, qui fumait un paquet de cigarette par jour, n’avait jamais eu d'examen gynécologique, était sous contraception orale depuis 5 ans "avec pour tout suivi une prise de tension artérielle trimestrielle". Pourtant, à l’examen, le Dr Noblot diagnostique "un nodule mammaire de 3cm de diamètre facilement palpable et [un] herpès génital qui a été catalogué « mycose » sans contrôle clinique et traité comme telle."
"Dix-sept ans de vide total"
Si la gynécologue semble plus qu’agacée par l’absence de suivi approprié de cette jeune femme, elle se déclare surtout "en colère, et triste aussi". Car la profession de gynécologue médicale est en bien mauvaise posture : en 1987, la France a cessé de former des gynécologues médicaux, une spécialité non reconnue au niveau européen, alors même que ce sont eux qui effectuent, en France, le suivi gynécologique des femmes tout au long de leur vie. Seuls des gynécologues-obstétriciens ont continué à être formés, spécialisés dans les actes chirurgicaux, la surveillance des grossesses à risque et les accouchements.
En 2003, un décret a rétabli la spécialité, après des années de combat mené notamment par le Comité de défense de la gynécologie médicale (CDGM), créé en 1997 par des femmes et des gynécologues. "Au terme de 7 années de pétitions et d’actions, nous sommes parvenus à rétablir la spécialité", indique Marie Stagliano, coprésidente du CDGM. "Mais cela correspond à 17 ans de vide total dans la formation des gynécologues médicaux", ajoute-t-elle. Qui plus est, lors du rétablissement de la spécialité seulement 20 internes étaient formés chaque année, alors qu’ils étaient 130 jusqu’en 1986. "La pénurie de gynécologues médicaux est dramatique", estime la coprésidente. En France métropolitaine, notamment, sept départements ne disposent d’aucun gynécologue médical.
Risques de diagnostics tardifs
Si, en 2018, 82 postes d’internes en gynécologie médicale ont été ouverts, " c’est encore très peu suffisant par rapport à l’âge moyen des gynécologues médicaux, dont beaucoup vont prochainement partir en retraite", souligne le Dr Pia De Reilhac, présidente de la fédération nationale des collèges de gynécologie médicale. "L’exemple relaté par le Dr Noblot n’est malheureusement pas le seul, il y en a beaucoup d’autres du fait de cette pénurie de gynécologues médicaux", déplore-t-elle. "Des milliers de femmes vont se retrouver sans suivi gynécologique, avec comme conséquences prévisibles des diagnostics établis tardivement, le survenue de complications et des chances de guérison diminuées en cas de pathologie", ajoute Marie Stagliano.
Un levier pour l’émancipation des femmes
La situation des jeunes femmes alerte également la coprésidente du CDGM : "si ma génération a grandi avec la gynécologie médicale, les jeunes générations consultent peu, voire ne savent pas que cette spécialité existe, ce qui est dramatique ". Or, "la gynécologie médicale, une spécificité française, a été créée dans les années trente pour que la femme puisse bénéficier d’un suivi tout au long de sa vie de femme et non uniquement lors des grossesses ou des accouchements", ajoute-t-elle. C’est également auprès du gynécologue médical que les femmes peuvent bénéficier d’une éducation à la sexualité, d’informations sur la contraception et sur les infections sexuellement transmissibles. "La gynécologie médicale a toujours accompagné les femmes dans leur émancipation", souligne Marie Stagliano.
"Les polémiques sur les violences obstétricales ont peut être également fait un peu peur à certaines jeunes femmes qui osent moins se rendre chez un gynécologue", estime le Dr Pia De Reilhac. "Or, il est capital qu’elles puissent s’y rendre régulièrement, si ce n’est pas tous les ans, au minimum tous les 3 ans", ajoute-t-elle, pour un examen gynécologique complet.
Une question de santé publique
"Cela fait 20 ans que nous alertons les pouvoirs publics sur la pénurie de gynécologues médicaux", indique Marie Stagliano. "Nous avons perdu des années et il faut désormais une réponse adaptée à ce problème qui engage la santé des femmes, avec un nombre suffisant d’internes formés chaque année", ajoute-t-elle. "Il faut que les pouvoirs publics prennent ce problème à bras le corps, c’est une question de santé publique et une question de volonté politique", conclut-elle.
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