Grippe aviaire : pourquoi les trois cas humains aux Etats-Unis nécessitent "une vigilance élevée" des autorités sanitaires
Les épidémiologistes et virologues du monde entier ont les yeux rivés sur les Etats-Unis en ce printemps. L'objet de ces inquiétudes ? La grippe aviaire. Une troisième personne y a en effet contracté la grippe A H5N1, en lien avec une épidémie de ce virus chez les vaches. Il s'agit d'un employé travaillant dans une exploitation dans l'Etat du Michigan, ont précisé les autorités sanitaires américaines, jeudi 30 mai. La tension est grande car, parmi les menaces identifiées par les autorités sanitaires du globe, celle d'une pandémie passant par un virus aviaire est en haut de la liste. Franceinfo revient sur la situation et sur les éventuels risques.
Trois infections humaines dans trois exploitations différentes
Le premier cas humain de grippe aviaire en lien avec une épidémie chez les bovins remonte au 1er avril, au Texas, dans le sud des Etats-Unis. Le deuxième cas a été détecté dans le Michigan, dans le nord des Etats-Unis, le 22 mai. Le troisième a été annoncé huit jours plus tard, dans le même Etat, mais dans une exploitation différente. Les Centres de prévention et de lutte contre les maladies (CDC) n'ont pas découvert à ce stade de lien direct entre ces trois cas.
Tous ces malades travaillent dans des exploitations où se trouvent des bovins et aucun ne portait d'équipement de protection. "Ils étaient en contact très étroit toute la journée avec eux", souligne auprès de franceinfo Guillaume Fournié, vétérinaire et chercheur en épidémiologie à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae).
Des symptômes variables
Les deux premiers patients ont seulement présenté des symptômes oculaires bénins. Pour le deuxième, l'infection est survenue "après un jet de lait dans les yeux", a précisé la responsable sanitaire du Michigan. La troisième personne, elle, a présenté des symptômes "plus typiques" d'une maladie respiratoire, notamment de la toux, mais sans fièvre, ont précisé les CDC. Soignée à l'oséltamivir, un antiviral, elle s'est isolée à son domicile et "ses symptômes sont en voie d'amélioration", ont ajouté les CDC. Ses proches n'ont pas développé de symptômes.
Pour éviter d'autres cas, les personnes exposées à des animaux malades ou potentiellement infectés doivent prendre quelques précautions. Par exemple, éviter les contacts "rapprochés, prolongés et sans protection" avec les bêtes ainsi qu'avec leurs excréments, ou encore avec le lait cru, ont prévenu les autorités sanitaires américaines.
L'agence américaine des médicaments a fait savoir que le lait vendu en magasin aux Etats-Unis était "sûr", le processus de pasteurisation étant "efficace" pour tuer le virus de la grippe aviaire. Chauffer le lait cru à de hautes températures, comme le fait la pasteurisation, détruit quasiment toute trace du virus après quelques secondes et tout le pathogène après plusieurs minutes, ont confirmé des chercheurs dans une étude publiée dans le New England Journal of Medicine. Selon une enquête menée récemment à l'échelle des Etats-Unis, l'ensemble des échantillons de lait pasteurisé ne contenaient pas de virus à l'état viable. Néanmoins, le virus à l'état inactif, c'est-à-dire dans l'incapacité de se propager, a été découvert dans environ 20% des échantillons.
Des bovins jusqu'à présent épargnés
Le virus en cause est un virus aviaire de type A, et du sous-type H5N1. On parle d'influenza aviaire lorsque des animaux sont infectés, et de grippe aviaire lorsque des humains sont concernés, comme l'explique l'Agence nationale de sécurité sanitaire, de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses).
Cette famille de virus H5N1 est bien connue depuis une vingtaine d'années. Mais Guillaume Fournié rapporte que la communauté scientifique a été surprise en constatant la configuration de la transmission aux Etats-Unis et l'implication de bovins. Le virus H5N1, qui circule principalement chez les oiseaux sauvages, infecte généralement l'homme en passant par des oiseaux domestiques puis une nouvelle espèce hôte. Les porcs ont déjà joué par le passé le rôle d'intermédiaires permettant le franchissement de la barrière des espèces, mais les scientifiques ignorent s'ils sont impliqués dans la circulation actuelle du virus aux Etats-Unis.
"Nous ne nous attendions pas à ce que ce virus puisse atteindre des bovins. C'est la première fois que l'on identifie l'influenza A chez eux", remarque Guillaume Fournié. Pourtant, "le catalogue d'espèces touchées était important", avec notamment des chevaux ou des chiens.
"Ce qui est vraiment inquiétant, c'est quand nous voyons de nouvelles espèces de mammifères infectées et qui peuvent se transmettre le virus entre elles."
Guillaume Fournié, chercheur en épidémiologie à l'Inraeà franceinfo
Cette épidémie qui touche les troupeaux bovins a été rencontrée pour l'instant dans neuf Etats américains (Michigan, Ohio, Idaho, Dakota du Sud, Caroline du Nord, Kansas, Connecticut, Nouveau-Mexique et Texas). Guillaume Fournié évoque la nécessité de maintenir une "vigilance élevée" "pour continuer à surveiller la circulation" et "mieux appréhender le niveau de contamination des élevages sur le territoire des Etats-Unis".
Une transmission entre humains pas constatée à ce stade
"Il n'y a pas d'indication de transmission de personne à personne du virus" de la grippe A H5N1 "à l'heure qu'il est", ont souligné les CDC. Dès la mi-avril, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) avait fait part de son "énorme inquiétude" face à la propagation croissante de la grippe aviaire à de nouvelles espèces. En France, le Comité de veille et d'anticipation des risques sanitaires (Covars) se montre rassurant sur le risque pandémique, tout en recommandant une surveillance renforcée.
"La communauté scientifique, les autorités sanitaires, les services de santé et les services vétérinaires regardent ces récents événements de très près."
Guillaume Fournié, chercheur en épidémiologie à l'Inraeà franceinfo
"Le virus H5N1 est fortement surveillé par l'OMS parce que l'on redoute une mortalité relativement importante comme cela a été observé par le passé lorsqu'il a été transmis à l'homme", a ajouté auprès de franceinfo Thibaut Crepin, chercheur du CNRS à l'Institut de biologie structurale. Depuis l'épisode de Hong Kong en 1997 (18 cas, six morts), au cours duquel a été constatée une épidémie de grippe aviaire avec les premiers cas de contamination directe de l'oiseau à l'homme, les cas de grippe H5N1 (donc touchant des humains) s'élèvent à un peu plus de 850, dans 16 pays, avec un taux de létalité supérieur à 50%, a exposé en 2022 Michel Bublot, vétérinaire et virologue, lors d'une conférence au Musée de sciences biologiques.
Si le risque pandémique est "faible" à l'heure actuelle, la possibilité d'une transmission entre humains inquiète. La probabilité d'une pandémie impliquant un virus aviaire est "proche de 100%", avaient expliqué des scientifiques à franceinfo en 2023. Cette menace ne faiblit pas, selon les spécialistes interrogés en juin 2024, ce qui justifie la surveillance étroite en cours. Autrement dit, les experts s'attendent à une nouvelle pandémie, mais ne savent pas quand et où elle va émerger.
Tous les continents potentiellement concernés
L'épidémie qui touche les Etats-Unis est relativement limitée à ce stade. Toutefois, "il ne faut pas minimiser la situation", appuie Thibaut Crepin. Sans oublier que "la distance géographique n'est plus une barrière" et qu'il serait trompeur de se croire à l'abri de notre côté de l'Atlantique, met en garde Guillaume Fournié.
Si les oiseaux sauvages qui ont infecté les bovins américains migrent principalement entre l'Amérique du Nord et l'Amérique du Sud, il existe des "zones de chevauchement" entre les différents couloirs de migrations, résume-t-il. Ces oiseaux ont pu se retrouver dans des zones de rassemblement avec d'autres volatiles, venus d'ailleurs, en route pour le continent européen. Ces aires de croisement sont propices à des échanges, permettant aux virus de circuler et de conquérir de nouveaux territoires.
"L'implication des oiseaux sauvages dans l'épidémiologie de ce virus change la donne et nous pouvons nous attendre maintenant à des épidémies importantes partout dans le monde."
Guillaume Fournié, chercheur en épidémiologie à l'Inraeà franceinfo
La communauté scientifique a beau posséder un certain "pouvoir prédictif", elle peut être prise de court par les "capacités évolutives" des virus, reconnaît volontiers Guillaume Fournié. "Il est important de rester humble et de continuer à surveiller leur évolution, sans être alarmiste."
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