: Vidéo Coronavirus : des enseignants font cours via les réseaux sociaux pour faire face aux surcharges de connexions des sites officiels
Pour assurer la continuité pédagogique lors du confinement lié à l'épidémie de Covid-19, des professeurs ont recours à des solutions originales… mais sur lesquelles l'Education nationale s'interroge.
Discuter avec ses élèves sur Snapchat ? Elle n'y aurait jamais pensé il y a une semaine, mais c'est désormais une habitude quotidienne pour Clara*, professeure d'histoire-géographie et de français dans un lycée professionnel du Val-de-Marne. Depuis la fermeture des établissements scolaires en raison de l'épidémie de coronavirus Covid-19, lundi 16 mars, la jeune femme de 28 ans doit assurer ses cours à distance.
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Mais, comme de nombreux autres profs, Clara a du mal à accéder à son espace numériques de travail (ENT) et au dispositif du Centre national d'enseignement à distance (Cned) "Ma classe à la maison", recommandés par l'Education nationale pour assurer la continuité pédagogique. En cause : une surcharge de connexions sur ces plateformes ; parfois même une absence de transmission par les établissements des codes nécessaires pour s'y connecter.
"On ne va pas dire 'ça ne marche pas, donc vous ne travaillez pas'"
Pour ne pas perdre le contact avec ses élèves, Clara a donc investi les réseaux sociaux, une idée pratique pour continuer de suivre ceux qui n'ont pas d'accès régulier à un ordinateur : "On ne va pas dire aux élèves 'tant pis, ça ne marche pas, donc vous ne travaillez pas !'" Invitée à intégrer la conversation de groupe de sa classe principale sur Snapchat, l'enseignante a également téléchargé Instagram et WhatsApp pour suivre ses autres classes qui y avaient leurs habitudes.
Ces applications de discussion, qui ne sont pas adaptées à un usage vidéo en large groupe, ne lui permettent pas de dispenser son cours magistral. Mais elles lui donnent l'occasion de répondre aux questions des élèves et de s'assurer qu'ils ont pris connaissance des cours et des devoirs envoyés par mail et déposés sur les plateformes officielles. Quand la connexion le permet.
Avec les ENT, je ne sais pas s'ils voient ce que je dépose. Là au moins je sais qu'ils l'ont vu, et je peux leur répondre instantanément.
Clara, prof d'histoire-géo et de françaisà franceinfo
Les solutions sont multiples. Cyprien Accard, professeur de mathématiques dans un lycée de Seine-et-Marne, s'est ainsi mis – comme son célèbre homonyme – aux vidéos YouTube. "J'ai créé ma chaîne, et je donne à mes élèves des capsules vidéo de cours et de correction d'exercice. Ça leur permet de les voir 5 ou 10 fois s'ils le veulent et de me poser des questions ensuite", explique-t-il à franceinfo.
Laurence*, professeure d'anglais dans un lycée de l'Oise, a, elle, été incitée par ses élèves à télécharger Discord, un logiciel de discussion vocale ou textuelle conçu pour les communautés de joueurs en ligne. Aidée par ceux qui connaissaient déjà l'outil, elle y a créé un espace avec toutes ses classes où elle peut "leur écrire et récupérer leurs devoirs". "Ça nous permet de les rassurer, de pouvoir échanger directement, de créer du lien", se réjouit l'enseignante, confinée depuis le 3 mars à cause de la précocité de l'épidémie dans son département, même si elle avait jusqu'au lundi 16 mars réussi à utiliser les plateformes officielles.
C'est aussi pour "conserver le côté humain" que Charles Verron, professeur de mathématiques au lycée Saint-Louis-de-Gonzagues à Paris, a choisi d'utiliser Hangouts Meet, un outil Google qui permet d'organiser des visioconférences. Associé à Jamboard, autre produit Google – payant – qui permet d'avoir accès à un tableau blanc interactif, il peut "conserver au maximum une ambiance de classe". "On se voit, on s'entend, j'écris au tableau et mes élèves peuvent demander la parole dans le chat pour poser une question", décrit l'enseignant, qui assure ses cours à ses plages horaires habituelles.
La transmission du savoir est une histoire d'émotions : c'est lire des réactions sur le visage des élèves. Le danger des cours en ligne, c'est que s'il n'y a pas d'interaction, c'est ennuyeux à mourir.
Charles Verron, prof de mathsà franceinfo
Avantage des cours numériques, ce jeune professeur a "découvert" certains élèves, d'ordinaire plus timides. "Il y a des élèves que je n'entends pas du tout en classe, et qui maintenant, parce qu'ils n'ont pas le regard de leurs camarades juste à côté d'eux, se mettent à poser énormément de questions." C'est l'inverse pour Emma*, enseignante d'éco-gestion dans un lycée de Pantin (Seine-Saint-Denis) qui utilise elle aussi Snapchat pour communiquer avec ses élèves. Elle estime qu'il "est difficile de les suivre et de les mettre au travail. Ceux qui étaient motivés le restent, mais ceux qui ont des difficultés décrochent."
Parmi les autres inconvénients mentionnés par les nouveaux adeptes de ces technologies : la multiplicité des plateformes n'est pas facile à gérer pour les profs – pas forcément à l'aise avec ces outils – et pour les élèves – qui doivent se rappeler par quel biais contacter leurs différents professeurs. L'enseignant doit aussi renoncer à une partie de sa vie privée, gommée par la distribution de son adresse e-mail et de son numéro de téléphone personnel, mais aussi par le flux tardif et intempestif de notifications d'élèves appelant au secours.
La protection des données personnelles en question
Surtout, l'utilisation de ces réseaux et sites privés ne font pas le bonheur de l'Education nationale, qui s'inquiète que la protection des données des élèves, à laquelle est elle tenue par la loi, ne soit plus respectée. Depuis 2018, le règlement général sur la protection des données (RGPD) encadre la manière dont les géants du net utilisent les données de leurs utilisateurs (identité, coordonnées...). Lorsque des outils numériques sont utilisés en classe, les établissements scolaires sont, entre autres, tenus par ce texte de s'assurer que leurs élèves soient avertis du traitement qui est fait de leurs données. Une obligation dont certains professeurs sont conscients. Cyprien Accard, le prof de maths qui a lancé sa chaîne YouTube, indique ainsi l'avoir "mise en accès libre de façon à ce que mes élèves ne soient pas obligés de se créer un compte pour y accéder". Idem pour Charles Verron, qui n'oblige ainsi pas ses élèves à fournir leurs données à Google.
Mais par précaution, le ministère de l'Education nationale, ainsi que de nombreux établissements et académies, communiquent ces derniers jours l'interdiction de recourir à toute plateforme non officielle. "Il convient de ne pas utiliser des solutions privées non conformes aux usages professionnels et au RGPD", indique ainsi le protocole de l'enseignement à distance disponible sur le site du ministère de l'Education nationale. "Vous ne devez pas utiliser de réseaux sociaux (Facebook, WhatsApp, Messenger, Twitter...), de logiciels, d'applications ou de plateformes pour lesquels l'établissement ne possède pas une licence ou n'a pas signé une charte RGPD", martèle aussi un message d'une proviseure d'un lycée de Mâcon (Saône-et-Loire), transmis à franceinfo par un enseignant.
Alors, comment faire ? Interrogé mardi 18 mars sur franceinfo, Jean-Michel Blanquer, le ministre de l'Education nationale a reconnu "des problèmes locaux liés à la saturation des réseaux", mais a promis qu'"il y a eu beaucoup plus de problèmes lundi qu'il n'y en a eu hier [mardi]" et espère que "nous allons tout au long de la semaine réussir la normalisation".
Un appel à la patience que certains ont du mal à entendre. "Je veux que mes élèves puissent travailler, et tant pis si ça n'est pas dans les bonnes et dues formes et que l'adminisatrion n'approuve pas", s'insurge Clara*, l'enseignante passée maîtresse dans l'art de jongler entre Whatsapp, Instagram et Snapchat. "C'est 'à la guerre comme à la guerre' : on doit se débrouiller, alors on se débrouille."
* Le prénom de l'interlocuteur a été changé à sa demande
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