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Vrai ou faux Vaccin contre le Covid-19 : Pfizer reconnaît-il qu'il faudra cinq ans pour connaître les risques chez les jeunes enfants ?

Les opposants à la vaccination font une mauvaise interprétation d'un document dans lequel le laboratoire américain détaille les résultats de l'essai clinique mené sur les 5-11 ans.

Article rédigé par Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 12min
Un enfant reçoit une injection du vaccin contre le Covid-19, le 8 novembre 2021 à New York (Etats-Unis). (MICHAEL M. SANTIAGO / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP)

Des enfants utilisés comme cobayes par un laboratoire pharmaceutique incapable de dire si son vaccin contre le Covid-19 est sans danger pour eux... Sur les réseaux sociaux, de nombreux internautes partagent un article mis en ligne lundi 15 novembre sur le site Le Libre Penseur, régulièrement épinglé pour ses contenus conspirationnistes. "Pfizer avoue qu'il faut '5 ans' pour étudier les risques de myocardites et péricardites chez les enfants", annonce la publication, qui ajoute : "Selon eux, le nombre de participants de l'essai clinique actuel est trop petit pour détecter les risques." 

Le Libre Penseur fait sienne la rhétorique des anti-vaccins, assurant que les "enfants sont en danger", parce qu'ils "participent à un essai clinique sauvage", lui-même "extrêmement dangereux", "étant donné le nombre important d'effets indésirables déjà répertoriés""Le laboratoire lui-même ne sait pas ce qu'il fait", clame le site, qui veut pour preuve de ses affirmations un extrait d'un "document officiel" consultable sur le site de la FDA (Food and Drug Administration), l'agence américaine des médicaments, depuis "plus de deux semaines", mais dont "aucun média français [ne] parle". Mais dit-il vrai ou fake ?

Des résultats comparables à ceux de l'adulte

Le document mentionné* émane de Pfizer. Le laboratoire dresse un état des lieux de l'essai clinique de son vaccin contre le Covid-19 sur des enfants de 5 à 11 ans. Cette synthèse très détaillée (81 pages) a été préparée dans le cadre d'une réunion d'un comité consultatif de la FDA*, qui s'est tenue le 26 octobre. L'agence américaine réunit dans ces comités* des experts scientifiques, mais aussi des membres de la société civile, afin que leurs analyses, leurs remarques et leurs conseils éclairent les prises de décision sur les produits médicaux examinés.

Cette longue note fait notamment le point sur les résultats de l'essai clinique, publiés également dans le New England Journal of Medicine (NEJM)* le 9 novembre. Il s'agit d'une étude randomisée en double aveugle, un standard de la recherche médicale. Autrement dit : ni les patients ni les soignants ne savent s'ils reçoivent ou s'ils administrent le traitement ou le placebo, et les deux groupes de patients (test et témoin) sont tirés au sort. Cet essai de phase 2-3 a été réalisé après un premier essai de phase 1 sur un petit groupe de 48 enfants. L'échantillon est cette fois plus conséquent : 2 268 enfants, âgés de 5 à 11 ans. Parmi eux, 1 518 ont reçu le vaccin et 750 un placebo, soit une proportion de deux tiers-un tiers. Le vaccin a été injecté en deux doses, à trois semaines d'intervalle. Les enfants ont reçu des doses trois fois moins importantes que les adultes : 10 microgrammes au lieu de 30 microgrammes. Ils ont ensuite été suivis durant au moins deux mois après la deuxième injection. 

Les résultats obtenus chez les enfants ont été mis en regard de ceux recueillis chez les jeunes adultes. Conclusion : ils sont "comparables", observent dans un communiqué commun les sociétés savantes françaises de pédiatrie (SFP) et de pathologie infectieuse (Spilf). L'immunogénicité, c'est-à-dire la capacité du vaccin à entraîner une réaction immunitaire, est similaire. Le taux d'anticorps était en moyenne de 1 197 chez les 5-11 ans et de 1 148 chez les 16-25 ans. L'efficacité du vaccin sur les formes symptomatiques de la maladie est de 90,7%. Trois cas de Covid-19 sont survenus dans le groupe vacciné (sur 1 305 enfants évalués) contre 16 dans le groupe placebo (sur 663 enfants évalués). Là encore, cette proportion est semblable à celle constatée chez l'adulte. Même constat pour la tolérance du vaccin par les enfants : les effets indésirables les plus fréquents (douleurs au point d'injection, rougeur, fièvre…) étaient comparables à ceux observés chez l'adulte.

De très rares cas de myocardites et péricardites chez les jeunes adultes

Mais un paragraphe figurant à la page 11 de ce document retient l'attention des détracteurs de la vaccination contre le Covid-19. On y lit ceci : "Le nombre de participants au programme de développement clinique actuel est trop petit pour détecter tout risque potentiel de myocardite associé à la vaccination. L'innocuité à long terme du vaccin Covid-19 chez les participants âgés de 5 à moins de 12 ans sera étudiée dans 5 études d'innocuité post-autorisation, y compris une étude de suivi de 5 ans pour évaluer les séquelles à long terme de la myocardite/péricardite post-vaccination." Pour les experts interrogés par franceinfo, ce passage ne remet pas en cause les conclusions de Pfizer, comme le pensent les contempteurs des vaccins.

"Les myocardites et les péricardites sont des réactions inflammatoires secondaires qui se traduisent par des atteintes du muscle cardiaque", expose Romain Basmaci, secrétaire général de la SFP et chef du service de pédiatrie à l'hôpital Louis-Mourier de Colombes (Hauts-de-Seine). "Les symptômes sont des douleurs au thorax, un essoufflement, une fatigue après un effort, ou de la fièvre, mais pas systématiquement. Cela se soigne avec un traitement anti-inflammatoire à base de corticoïdes."

Le risque de myocardite après la vaccination a déjà été identifié chez les jeunes adultes de moins de 30 ans, plutôt chez les hommes. Il est toutefois moins élevé avec le vaccin Pfizer qu'avec le Moderna. Il apparaît en général dans les sept jours qui suivent la vaccination, en particulier après la deuxième dose, rappelle le groupement scientifique Epi-phare (piloté par la Cnam et l'ANSM), qui l'a étudié. Dans le cas du vaccin Pfizer, seuls trois cas sur un million ont été identifiés après la première dose, et 27 cas sur un million après la deuxième dose. Un constat similaire a été fait pour le risque de péricardite. 

Ne pas confondre essai clinique et pharmacovigilance

Ces risques sont donc extrêmement rares. Or "les effets indésirables rares sont par définition trop peu nombreux pour être visibles dans un essai clinique reposant sur un échantillon de quelques milliers de personnes", rappelle Romain Basmaci. "Il faudrait par exemple avoir 3 000 patients dans un essai clinique pour avoir une probabilité de 95% de détecter un événement indésirable rare qui se produirait une fois sur mille", calcule Mathieu Molimard, chef du service de pharmacologie du CHU de Bordeaux. Dans le cas des myocardites ou péricardites, l'échantillon nécessaire devrait donc compter un centaine de milliers, voire un million de patients. Il est "impossible à mettre en évidence" dans le cas d'un essai clinique sur quelques milliers de personnes, tranche Romain Basmaci. Ou même en multipliant les essais cliniques réunissant des dizaines de milliers de patients.

Ce constat d'un échantillon trop petit pour identifier un effet indésirable rare ne signifie pas que l'essai clinique a été mal mené. "Un essai clinique est fait pour prouver que le médicament est efficace, qu'il n'y a pas d'événement indésirable fréquent, et pour estimer la fréquence de ces éventuels événements indésirables fréquents, comme la douleur au point d'injection, la fièvre ou les courbatures... Ça, on le sait très vite", rappelle Mathieu Molimard. "C'est le standard médical, pour tous les essais cliniques, pour tous les médicaments", confirme le pharmacologue.

Il n'y a que l'"étude observationnelle" en "vraie vie", c'est-à-dire le suivi de la campagne de vaccination à grande échelle dans le cas présent, qui permet de déceler les effets indésirables se produisant à une fréquence très faible, comme les myocardites ou les péricardites. "Comme pour tout médicament, un suivi de pharmacovigilance sur le long terme est nécessaire", souligne Romain Basmaci, car "seule la pharmacovigilance peut évaluer ces risques." C'est ainsi qu'ont été identifiées des rares cas de thromboses liés au vaccin d'AstraZeneca"C'est la situation normale et habituelle dans le développement d'un médicament ou d'un vaccin", rappelle le pédiatre.

"Les effets indésirables répertoriés chez l'adulte ou l'adolescent ne peuvent pas, a priori, être extrapolés aux plus jeunes", préviennent toutefois les société savantes de pédiatrie et de pathologie infectieuses, rappelant que "des effets indésirables spécifiques ont pu être décrits selon les groupes d'âges". En 2009, la narcolepsie a par exemple été observée principalement chez les enfants et adolescents comme une réaction secondaire au vaccin Pandemrix contre la grippe H1N1 au cours de la pharmacovigilance, alors qu'elle n'avait pas été mise en évidence au cours des études cliniques. 

Les effets indésirables ne se révèlent pas au bout de cinq ans, mais bien avant

Il ne faudra cependant pas attendre cinq ans pour savoir si le vaccin est responsable de myocardites ou de péricardites chez les enfants, assure Mathieu Molimard. "Avec la vaccination des enfants qui débute aux Etats-Unis et en Israël, on saura assez vite la fréquence des événements indésirables rares, explique le pharmacologue. On le saura d'ici la fin de l'année, pas dans cinq ans." Washington a en effet autorisé la vaccination des 5-11 ans, début novembre. Quelque 28 millions d'enfants y sont éligibles et 900 000 ont d'ores et déjà reçu leur première dose, selon le coordinateur de la lutte contre la pandémie à la Maison Blanche. Mi-novembre, l'état hébreu a à son tour donné son feu vert à la vaccination de cette population. La date à laquelle cette campagne de vaccination débutera n'a toutefois pas encore été annoncée par les autorités israéliennes.

"Les événements indésirables des vaccins surviennent rapidement chez les patients, dans les deux mois dans la plupart des cas", affirme Mathieu Molimard. "Les événements indésirables peuvent être liés au produit lui-même", détaille le pharmacologue. C'est le cas par exemple de la douleur au point d'injection. Dans ce cas, "ils surviennent dans les 24 à 48 heures". "Ou alors ils sont liés à l'activation de l'immunité", poursuit le spécialiste. Dans ce cas, "ils surviennent au moment où les anticorps sont au maximum, ils ne se révèlent pas au bout de cinq ans." Et l'expert de conclure : "Si vous n'avez pas de symptômes à deux mois, vous n'aurez pas d'effets indésirables du vaccin."

* Ces liens renvoient vers des articles ou des contenus en langue anglaise.

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