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Vrai ou faux Covid-19 : des "documents confidentiels" du laboratoire Pfizer remettent-ils en cause l'efficacité et la sûreté de son vaccin ?

Article rédigé par Alice Galopin
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9 min
Une seringue et un flacon du vaccin contre le Covid-19 de Pfizer, dans un laboratoire à Edmonton (Canada), le 12 janvier 2022. (ARTUR WIDAK / NURPHOTO / AFP)

Des documents ont bien été rendus publics, mais après une procédure juridique classique de demande d'informations. Les rumeurs qui circulent sur les réseaux sociaux s'appuient, elles, sur le détournement de documents datés et sur des calculs trompeurs.

De prétendues "révélations" sur le vaccin contre le Covid-19 de Pfizer. Avec le hashtag #PfizerDocuments, des internautes proches des sphères anti-vaccins relayent, depuis début mai, de soi-disant informations compromettantes pour le laboratoire américain, lesquelles auraient "fuité" à la suite de la publication de "documents confidentiels".

Plusieurs messages sur les réseaux sociaux accusent notamment le géant pharmaceutique d'avoir occulté des informations sur la sûreté et l'efficacité de son vaccin. Franceinfo s'est penché sur plusieurs de ces allégations, qui s'appuient sur des calculs trompeurs et sur le détournement de documents datés ou n'ayant aucun lien avec ces "Pfizer documents".

Non, ces documents n'ont pas "fuité"

Contrairement à ce qui est avancé par plusieurs internautes, ces documents n'ont pas "fuité" mais ont été publiés à la suite d'une procédure juridique américaine, dans le cadre du Freedom of Information Act. Cette loi de 1966 oblige les agences fédérales à transmettre leurs documents à quiconque en fait la demande. 

En janvier, un juge fédéral a donc ordonné à la Food and Drug Administration (FDA), l'administration américaine des denrées alimentaires et des médicamentsde rendre publiques sous huit mois les informations sur lesquelles elle s'était appuyée pour approuver le vaccin de Pfizer contre le Covid-19. La FDA n'avait jamais déclaré vouloir garder ces documents confidentiels, mais avait initialement réclamé un délai de soixante-quinze ans, qu'elle justifiait par les quelque 450 000 pages de documents à publier, comme l'explique le média Bloomberg Law*.

La requête a été portée par le collectif Public Health and Medical Professionals for Transparency, un groupe de chercheurs et de scientifiques, dont plusieurs ont remis en cause l'intérêt des vaccins contre le Covid-19. Le collectif a publié une partie des documents en accès libre sur son site internet*.

Non, ils ne révèlent pas que "1 223 personnes" sont mortes durant les essais cliniques

Plusieurs publications, en français et en anglais*, affirment que ces documents mettent en évidence que "1 223 personnes sont décédées" après avoir reçu une injection du vaccin de Pfizer "lors des essais". Ces décès auraient touché "3%" des "42 000 participants à l'essai". Ces messages sont souvent accompagnés de la capture d'écran d'un tableau. 

Extrait d'un document de Pfizer compilant les signalements d'effets indésirables rapportés au 28 février 2021 dans plusieurs pays. (CAPTURE D'ECRAN)

Ces chiffres sont bien tirés d'un rapport de 38 pages (PDF)*, qui figure parmi les documents publiés sur la plateforme du Public Health and Medical Professionals for Transparency. Mais il ne concerne pas les essais cliniques menés par le laboratoire. Il s'agit, comme le titre du document le précise, de l'"analyse cumulée des effets indésirables rapportés" au 28 février 2021, après l'autorisation du vaccin de Pfizer dans plusieurs pays. Le chiffre de 42 086 ne fait donc pas référence au nombre de participants aux essais cliniques, mais au nombre de signalements de pharmacovigilance rapportés à cette date à l'échelle mondiale. On peut y lire que "la plupart des cas (34 762) provenaient des Etats-Unis (13 739), du Royaume-Uni (13 404), d'Italie (2 578), d'Allemagne (1 913), de France (1 506), du Portugal (866) et d'Espagne (756) ; les 7 324 cas restants ont été répartis entre 56 pays."

Parmi les effets indésirables relevés, un grand nombre concernait des maux de tête (24,1% des cas), de la fièvre (18,2%) ou de la fatigue (17,4%). Par ailleurs, le tableau fait effectivement état de 1 223 morts. Mais la partie "méthodologie" du document précise que les signalements ont été remontés "indépendamment de l'évaluation de la causalité". En d'autres termes : parmi ces signalements, le lien de cause à effet avec la vaccination n'est pas nécessairement établi. Le chiffre de 3%, calculé par des internautes, peut donc simplement renvoyer au nombre de signalements de décès sur le nombre total de signalements. Il ne s'agit en aucun cas d'un taux de mortalité potentiellement lié à la vaccination.

Non, Pfizer ne déconseille pas la vaccination aux femmes enceintes ou allaitantes

D'autres publications, partagées des milliers de fois, assurent que Pfizer aurait reconnu des risques liés à la vaccination des femmes enceintes et allaitantes. Ces messages s'accompagnent d'un document en anglais, dans lequel il est mentionné que le vaccin de Pfizer "n'est pas recommandé pendant la grossesse". Concernant l'allaitement, il est ajouté qu'"on ignore si le vaccin [de Pfizer] est excrété dans le lait maternel" et qu'un "risque pour les nouveau-nés/nourrissons ne peut être exclu." 

L'origine de ce document, qui circule sur les réseaux sociaux, est faussement attribuée au laboratoire Pfizer. Il s'agit d'une ancienne recommandation des autorités britanniques, datée de décembre 2020, qui s'appuyait sur l'état des connaissances sur les vaccins contre le Covid-19 à l'époque. (CAPTURE D'ECRAN TWITTER)

En réalité, ce document ne provient pas du laboratoire américain, mais d'un avis émis par l'agence britannique du médicament*, au tout début de la campagne vaccinale au Royaume-Uni, en décembre 2020. A l'époque, ces précautions s'expliquaient par le manque de données, les femmes enceintes n'ayant pas fait partie des essais cliniques. Depuis, les études menées en vie réelle, réalisées à partir du suivi médical des personnes vaccinées, ont livré leurs conclusions. "La sécurité du vaccin chez les femmes enceintes est maintenant parfaitement établie", rassure Sandrine Sarrazin, chargée de recherche Inserm au centre d'immunologie de Marseille-Luminy.

"En parallèle, de nombreuses données ont montré qu'être enceinte est un facteur de comorbidité important en cas d'infection au Covid-19."

Sandrine Sarrazin, chercheuse en immunologie

à franceinfo

Quant à l'allaitement, "les données observationnelles" n'ont "pas mis en évidence d'effets indésirables chez les nouveau-nés/nourrissons" après l'injection chez la mère d'un vaccin à ARN, comme celui de Pfizer, expose l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Au contraire, "on sait désormais que les anticorps générés par la mère passent dans le lait maternel et apportent une protection efficace au nouveau-né", ajoute Sandrine Sarrazin.

Les recommandations des autorités britanniques ont d'ailleurs évolué. L'agence britannique du médicament* recommande désormais la vaccination pour les femmes enceintes "quand les avantages potentiels l'emportent sur les risques potentiels pour la mère et le fœtus". Le National Health Service* (NHS), le système de santé publique britannique, rappelle que les femmes enceintes courent "un risque plus élevé de tomber gravement malades à cause du Covid-19" et qu'il est donc "important de se faire vacciner" pour les protéger, elles et leur enfant. 

En France, la vaccination contre le Covid-19 "est fortement recommandée pour les femmes enceintes", écrit l'ANSM. Elle ajoute qu'"à ce jour, aucun signal n'a été identifié chez les femmes enceintes et allaitantes avec l'ensemble des vaccins contre le Covid-19 disponibles en France." 

Non, le vaccin de Pfizer n'a pas une efficacité limitée à 12%, voire 1%

"On vous a vendu une efficacité de 95% de l'injection, mais les 'Pfizer documents" révèlent 12% d'efficacité sur les sept premiers jours, puis 1%", assure encore un internaute. Cette fausse information provient en partie d'un post de blog* publié le 3 avril par Sonia Elijah, une "ancienne journaliste de la BBC évoluant aujourd'hui dans les sphères trumpistes et anti-vax", explique Le Monde

En réalité, celle-ci ne s'appuie pas sur un des "Pfizer documents", mais sur une note de décembre 2020 directement consultable sur le site de la FDA*. On y lit que l'efficacité du vaccin de Pfizer contre une infection est de 95%, sept jours après la deuxième injection. Un chiffre calculé à partir du nombre de cas de Covid-19 confirmés au sein du groupe vacciné (huit cas) et au sein du groupe ayant reçu un placebo (162 cas).

Capture d'écran à l'appui, Sonia Elijah avance qu'il serait plus pertinent d'observer le nombre de cas de Covid-19 "suspectés mais non confirmés", car même si ces personnes n'ont pas été testées positives, elles présentent de "véritables symptômes", écrit-elle. A partir du nombre de cas suspectés dans le groupe vacciné (1 594 cas) mais aussi dans le groupe placebo (1 816 cas), elle en déduit une efficacité vaccinale de 12%. Or, il est trompeur de s'appuyer sur ces cas, puisque rien ne confirme que ces personnes suivies étaient bien toutes atteintes du Covid-19 et non d'une autre maladie aux symptômes similaires (rhume, grippe...). 

Surtout, de nombreuses études en population réelle, basées sur la vaccination de millions de personnes, ont depuis certifié l'efficacité des vaccins, notamment contre les formes sévères de la maladie. L'émergence des variants a certes diminué l'effet protecteur de la vaccination contre une infection, mais il est faux de sous-entendre qu'en décembre 2020, le vaccin de Pfizer avait une efficacité limitée à 12%.

Quant au chiffre de 1%, cette rumeur est liée à l'existence de deux manières d'évaluer l'efficacité d'un vaccin. La première, la mesure de la réduction relative de risque (RRR), est la méthode "la plus communément utilisée", explique Sandrine Sarrazin. Elle compare le risque d'infection d'un groupe vacciné relativement au risque d'un groupe non-vacciné de même taille. Ainsi, si les vaccinés ont enregistré deux fois moins de cas positifs que les non-vaccinés, alors la RRR est de 50%. C'est de cette manière que les laboratoires ont déterminé l'efficacité de leurs vaccins au cours des essais cliniques.

La seconde méthode, moins employée, est la réduction absolue de risque (RAR), qui calcule la différence de risque d'être infecté entre les deux groupes. La plateforme de vulgarisation scientifique et médicale Health Desk* met en garde contre un défaut de cette technique : utilisée dans le cas d'un essai clinique, elle "peut rendre un vaccin moins prometteur que l'effet qu'il aurait sur le risque [d'être infecté] d'une personne sur une plus longue période". Pour preuve, Health Desk donne cet exemple : imaginons un essai clinique d'un vaccin s'appuyant sur un échantillon de 20 000 participants et un groupe témoin de 20 000 membres. Aucune personne ne serait testée positive au sein du groupe vacciné, mais 200 le seraient dans le groupe des non-vaccinés. La RRR du vaccin serait alors de 100%, mais la RAR ne serait que de 1%.

Dans un commentaire sur l'utilisation des statistiques, publié en avril 2021 dans la revue The Lancet Microbe*, des chercheurs ont calculé les RAR suivantes pour les principaux vaccins contre le Covid-19 : "1,3% pour le vaccin d'AstraZeneca, 1,2% pour le Moderna, 1,2% pour le Johnson & Johnson (...) et 0,84% pour Pfizer-BioNTech". Mais les auteurs n'utilisent pas ces statistiques pour en conclure que les vaccins sont inefficaces. Comme le détaille le site de fact-checking de l'agence de presse allemande DPA, la réduction relative de risque et la réduction absolue de risque sont simplement "deux statistiques qui se basent sur les mêmes données, mais qui ne décrivent pas la même chose".

*Tous les liens suivis d'un astérisque renvoient vers des contenus en anglais.

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