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Pass sanitaire conditionné à la dose de rappel pour les plus de 65 ans : le professeur Emmanuel Hirsch juge les annonces "discriminantes"

Emmanuel Hirsch, professeur d’éthique médicale, juge les annonces d'Emmanuel Macron comme étant "une approche très discutable qui met en cause les capacités nos aînés à se responsabiliser."

Article rédigé par franceinfo
Radio France
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Une femme se fait vacciner contre le Covid-19, le 2 novembre 2021 à Perpignan (Pyrénées-Orientales). (MICHEL CLEMENTZ / MAXPPP)

"Il y a quelque chose de très stupéfiant et un peu discriminatoire à l'égard des personnes définies par rapport à leur âge", a réagi mercredi 10 novembre sur franceinfo Emmanuel Hirsch, professeur d’éthique médicale à la faculté de médecine, président du conseil pour l’éthique de la recherche et l’intégrité scientifique à l’université Paris-Saclay, après qu'Emmanuel Macron a annoncé mardi qu'à partir du 15 décembre, les plus de 65 ans devront avoir une troisième dose de vaccin contre le Covid-19 pour garder leur pass sanitaire.

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Emmanuel Hirsch perçoit les propos du chef de l'Etat comme "une gêne d'un point de vue éthique". Il attend par ailleurs que l'on "réforme notre approche de la pandémie."

franceinfo : Que vous inspire le fait d'adosser la validité du pass sanitaire pour les plus de 65 ans à une dose de rappel du vaccin ?

Emmanuel Hirsch : Premier point, c'est important, les personnes vulnérables bénéficient de la sollicitude du président de la République et de la société en général. Parce que souvent, dans les personnes très âgées, il y a de la réclusion au domicile, de l'enfermement et une certaine forme d'indifférence. C'est un signe, depuis le début de la pandémie, qui marque un peu de solidarité. On voit qu'il y a quelque chose de très stupéfiant et un peu discriminatoire à l'égard des personnes définies par rapport à leur âge. Les personnes qui ont 65 ans et plus ne sont pas une catégorie de personnes homogène. On ne définit pas les personnes uniquement par leur âge. Il y a des personnes qui ont beaucoup d'activités. Il y a des personnes qui sont plutôt au domicile, des personnes qui sont plutôt dans des établissements. Donc je trouve que la formulation très prudentielle, du candidat à la présidentielle (sic), est une formulation qui me gêne d'un point de vue éthique. Elle a quelque chose d'un peu "âgiste" et discriminant dans sa formulation. On voit à quel point la prudence politique a été surtout de ne pas parler des professionnels de santé et de ne pas parler d'un certain nombre de personnes qui sont dans leur activités aussi susceptibles de se faire contaminer et de transmettre. Je trouve que c'est une approche très discutable qui met en cause les capacités nos aînés à se responsabiliser.

Est-ce que cela aurait été plus problématique d'appliquer cette même obligation pour ceux qui souffrent de comorbidités ?

La question de la comorbidité est une question qu'il faut voir dans sa globalité. On pourrait aussi parler des mesures qui sont mises en œuvre pour les personnes qui ont été déprogrammées, qui ont perdu des chances et ne retrouvent pas toujours la possibilité de retrouver leur traitement. Et quand on parle des comordités, on voit la difficulté de définir les comorbidités sans être discriminant à l'égard des personnes.

"On a un privilège en France, c'est de disposer de vaccins. Et chacun doit comprendre à la fois que c'est le bonheur pour lui et aussi une solidarité vis-à-vis des autres."

Emmanuel Hirsch, professeur d’éthique médicale à la faculté de médecine

à franceinfo

On a attendu que le président de la République décide, à travers un arbitrage qu'il a mené le matin au Conseil de sécurité sanitaire. Mais si vous allez au fond des choses, ces personnes au-dessus de 65 ans, ce sont des grands-pères, des grands-mères, des gens qui ont des activités associatives. On aurait pu aussi se poser la question : est-ce que dans leur famille, on ne doit pas aussi imposer la troisième dose chez les adultes ? Et puis, ensuite, se posera d'une manière réelle la question des enfants. Même si c'est une question compliquée, c'est une question qu'il va falloir aborder. Encore une fois, j'attendais du président de la République plus d'investissements par rapport à la pandémie. On avait été confronté à la sortie du confinement, à une prise de position de Jean-François Delfraissy, le président du Conseil scientifique, qui disait le 11 mai, il va falloir que les personnes âgées restent chez elles et poursuivent le confinement. Je ne pense pas que c'est comme cela qu'on crée de l'unité sociale, surtout qu'il y a eu beaucoup de préjugés à l'égard des personnes âgées. On est dans un climat où l'on a besoin plutôt d'entendre de la réconciliation et de respect de l'autre dans sa capacité de se responsabiliser.

Est-ce qu'il faut donc contraindre pour inciter à la vaccination ?

Cela prouve qu'il y a, en termes de communication, quelque chose qui manque. Ce n'est pas uniquement d'une manière évènementielle, à travers des allocutions présidentielles, que l'on crée la continuité d'une mobilisation par rapport au long cours d'une pandémie. Je pense qu'il faudrait qu'on réforme un petit peu notre approche de la pandémie. Si on retourne à la normale, il faudrait déjà qu'on comprenne de quelle manière communiquer d'une manière continue, sans produire finalement des réactions anxiogènes. J'imagine une personne qui écoute franceinfo, qui a plus de 65 ans, l'angoisse qu'elle aura à se dire : "Est-ce que je pourrais me faire vacciner ?" Elle est face à des dilemmes qui sont des dilemmes profonds. J'arrive à reconnaître que les prises de position du chef de l'Etat ont été très incitatrices. Mais je pense qu'on mérite mieux que ce type d'annonces. Je pense qu'on a besoin d'une information continue, pertinente, pas uniquement du chef de l'Etat. Il y a d'autres acteurs qui peuvent intervenir. Et que les gens s'approprient leur capacité d'assumer leurs responsabilités. Là, je trouve qu'en termes de vie démocratique, cela nous manque.

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