"Un simulacre de démocratie" : le vote à l'Assemblée sur le déconfinement suscite la colère de l'opposition et sème le trouble dans la majorité
Le Premier ministre présentera mardi le plan de déconfinement du gouvernement, alors que le débat devait porter initialement seulement sur l'application StopCovid. De quoi transformer l'Hémicycle en cocotte-minute.
"Ces méthodes ne sont pas acceptables", a tempêté, dimanche 26 avril, sur France 3 le leader de la France insoumise, Jean-Luc Mélenchon. "Personne ne sait où on va et on nous impose un simulacre de démocratie à l'Assemblée nationale", a ajouté le député des Bouches-du-Rhône, annonçant que son groupe voterait contre le plan du gouvernement. L'ancien candidat à la présidentielle n'est pas le seul à vilipender le nouveau calendrier de l'exécutif dans la crise du coronavirus. Deux débats étaient à l'origine prévus à l'Assemblée : un premier le 28 avril, sur le traçage numérique et l'application StopCovid et le second, planifié le 5 mai selon plusieurs parlementaires à l'AFP, sur la stratégie de déconfinement.
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Il n'en sera rien. Ces deux débats auront lieu le même jour et en même temps. Le Premier ministre présentera, mardi 28 avril à 15 heures, "la stratégie nationale de déconfinement" couvrant "la santé (masques, tests, isolement...), l'école, le travail, les commerces, les transports et les rassemblements", mais aussi l'application StopCovid. Cette présentation à l'Assemblée nationale sera suivie d'un débat puis d'un vote. Une accélération du calendrier qui n'a rien d'anodine. Selon Libération, les fuites incessantes sur le déconfinement brouillent la stratégie gouvernementale. "Trop de bavards, trop de bordel", résume un ministre auprès du quotidien.
"Wouah, quelle démocratie !"
Pour les groupes d'opposition, ce changement de programme est très mal venu. Tour à tour, les députés ont dénoncé sur Twitter la stratégie du gouvernement. "Pourquoi le gouvernement change-t-il son calendrier ? Sous la pression de qui ?", s'interroge Valérie Rabault, chef de file des députés PS au Palais Bourbon. Le patron du PS, Olivier Faure, est encore plus critique. "Le plan sera connu mardi matin pour un vote dans la foulée. Ainsi va la démocratie au temps du macronisme !" tonne-t-il.
L'ordre du jour AN est bouleversé in extremis. Ce sera un vote unique sur le déconfinement, tracking inclus. Silence exigé dans les rangs #LREM! Et le plan sera connu mardi matin pour un vote dans la foulée. Ainsi va la démocratie au temps du Macronisme ! #COVID2019 https://t.co/U8blsKRHd6
— Olivier Faure (@faureolivier) April 25, 2020
"C'est une manœuvre gouvernementale, et mardi, ce ne sera pas un débat qui aura lieu puisqu'il faudra seulement dire : pour ou contre. Le gouvernement se fiche de ce que pense l'opposition", dénonce également auprès de franceinfo le député LFI de Seine-Saint-Denis, Alexis Corbière. Son groupe avait prévu de présenter, lundi ou mardi, des propositions en vue du déconfinement en espérant pouvoir en débattre le 5 mai. C'est raté.
Au Parti communiste, les mots sont les mêmes. "Le Parlement, plus que jamais bafoué par le gouvernement, qui fait savoir 2 jours avant qu'il avance d'une semaine sa déclaration sur le plan de déconfinement avec un débat englobant le traçage numérique", critique le député André Chassaigne. "Wouah, quelle démocratie !" ironise son collègue Fabien Roussel.
Nous demandions un vrai travail du Parlement sur le déconfinement, en prenant le temps d'auditionner, d'écouter. Le gvt vient de décider: discours du PM mardi, suivi d'une intervention par groupe et « vote » dans la foulée !! Wouah, quelle démocratie !#DirectAN #COVID19
— Fabien Roussel (@Fabien_Rssl) April 26, 2020
A droite aussi, la colère domine. "Nous sommes dans la basse manœuvre politicienne, les Français méritent mieux que cela", confie à franceinfo le député LR du Nord, Sébastien Huyghe. Le groupe Les Républicains demande d'ailleurs un délai pour voter le plan. "Nous demandons qu'il y ait un délai de 24 heures et que le vote soit mercredi, afin qu'on puisse avoir un débat approfondi, afin que les commissions parlementaires puissent se réunir. C'est comme cela la démocratie. Ce n'est pas un blanc-seing, mais c'est simplement un vote éclairé de l'ensemble de la représentation nationale", a déclaré sur franceinfo le chef du groupe LR à l'Assemblée nationale, Damien Abad.
Certains députés LREM veulent le report du vote
Plus surprenant, la stratégie gouvernementale crée des remous au sein même de la majorité. La boucle Telegram du groupe LREM chauffe depuis samedi soir, raconte Libération. Certains s'interrogent sur l'opportunité de discuter de ce plan "devant 13% de la représentation nationale", car seuls 75 députés pourront siéger. "C'est bien que le Parlement ait la primeur de la présentation du plan", se félicite au contraire un autre auprès du quotidien. Damien Adam, député de Seine-Maritime, fait partie des satisfaits. "Je suis ravi que le gouvernement ait accéléré le calendrier d'annonce de la stratégie globale de déconfinement", assure-t-il. Le fait que le débat sur l'application StopCovid risque d'être amoindri ne le dérange pas non plus : "Le traçage numérique n'est qu'une partie d'un tout qui est le déconfinement. C'est un outil parmi d'autres et c'est le plan global qui a toute son importance."
Un avis que ne partage pas sa collègue, la députée du Bas-Rhin, Martine Wonner. "Vote sur un plan de déconfinement que nous n'aurons que quelques minutes pour découvrir et mélange avec le tracking… La gravité de la situation du pays exige que l'Assemblée nationale soit éclairée avant de se prononcer ce mardi. Ne confondons pas vitesse et précipitation !" a-t-elle d'abord tweeté, avant de se fendre, avec d'autres députés, d'un courrier au président de l'Assemblée nationale, Richard Ferrand. Onze parlementaires l'ont signé, dont certains ont quitté le groupe.
«Nous regrettons que notre Assemblée ne soit réduite qu'à un avis consultatif.»Avec des collègues députés j'ai adressé ce jour un courrier à @RichardFerrand au sujet du changement des règles du débat #tracing et plan #déconfinement. La #démocratie a plus que jamais sa place ! pic.twitter.com/IWItNm5yTu
— Martine WONNER (@MartineWonner) April 26, 2020
"Nous formulons auprès de vous le vœu que soit reporté à une date ultérieure et dans la même semaine, le vote sur le déconfinement, de façon à garantir la pleine et entière information du Parlement à ce sujet", demandent ces députés.
"Ce n'est pas spécialement plaisant"
D'autres élus ne vont pas aussi loin, mais ils s'interrogent eux aussi. "Je dirai que si je me place comme parlementaire, ce n'est pas spécialement plaisant ce changement de portage pour le vote de mardi. Disons que le Parlement n'est pas saisi ici dans son rôle délibératif, mais dans son rôle de représentation", abonde un marcheur, qui regrette de ne pas avoir "un débat distinct et spécialisé" sur StopCovid. Sur ce dernier point, cet autre parlementaire est moins catégorique : "Au vu des conséquences qui vont arriver dans les mois à venir et du contexte économique et social, la majorité de la population s'en 'contrefout" et je pense qu'on avait autre chose à mettre dans le débat".
Ce député s'interroge surtout sur les conditions du vote. Initialement, les élus de la majorité devaient faire connaître leur position sur le traçage numérique lundi soir. Avec le nouveau calendrier, ils vont devoir également se prononcer sur le plan de déconfinement qui ne sera connu que le lendemain.
Le Parlement est simplement une caution, car on décide le soir et on demande aux parlementaires de valider le lendemain en petit comité.
Un député LREMà franceinfo
"Le Parlement aura une proposition sans droit de regard ni d'analyse, car les arbitrages se feront la veille. C'est de l'exécutif, donc pourquoi le Parlement vote ?", s'interroge ce même député.
Selon nos informations, les députés qui ne sont pas d'accord avec la position de leur groupe auront jusqu'à mardi 18 heures pour faire connaître leur vote. "En toute logique", assure à franceinfo une source pour qui la confusion vient d'une précédente convocation sur un texte prévu initialement lundi. Les députés pourront donc se prononcer en connaissance de cause. Reste à savoir, et ce n'est pas l'avis de l'opposition, si le débat sera au rendez-vous.
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