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"Tout le monde fait bloc pour sauver des vies" : comment les établissements de santé privés ont peu à peu pris part à la lutte contre le coronavirus

La coordination entre établissements de santé publics et privés a tardé à se mettre en place. Mais ils sont désormais tous regroupés dans les cellules de coordination dirigées par les agences régionales de santé.

Article rédigé par Mathilde Goupil
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Une ambulance stationne devant les urgences de la clinique privée de Bordeaux Nord (Nouvelle-Aquitaine), en première ligne dans la lutte contre l'épidémie de Covid-19, le 1er avril 2020. (MAXPPP)

L'appel a été entendu. Dix jours après avoir alerté les autorités de santé sur la sous-utilisation des cliniques privées dans la lutte contre l'épidémie de Covid-19, "la collaboration entre les acteurs [publics et privés] fonctionne de manière très satisfaisante sur le terrain", se réjouit la Fédération des cliniques et hôpitaux privés de France (FHP), dans une note adressée aux rédactions mercredi 1er avril"On est complètement intégré au dispositif global", confirme Yildiray Kucukoglu, directeur général de la clinique des Cèdres à Toulouse et vice-président de la FHP. Son établissement, qui accueillait mercredi 12 cas confirmés de coronavirus, contre trois la semaine précédente, pourrait même prendre en charge une partie des patients du Grand Est transférés vers plusieurs établissements publics et privés d'Occitanie.

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"Il y a deux semaines, on avait l'arme au pied en attendant le client. (...) Mais là, nous sommes plus que mobilisés, nous sommes pleins, pleins, pleins !" renchérit Pierre Lanot, secrétaire général du Syndicat national des anesthésistes réanimateurs de France, qui exerce à l'hôpital privé d'Antony (Hauts-de-Seine). Mercredi 1er avril, ses 34 lits en réanimation dédiés aux patients atteints du coronavirus  contre 14 la semaine précédente  sont tous occupés.

Si, au départ, il y avait un retard à l'allumage, maintenant tout le monde est sur le pont et fait bloc pour sauver des vies.

Pierre Lanot, anesthésiste à l'hôpital privé d'Anthony (Hauts-de-Seine)

à franceinfo

"On s'était un peu alarmés de voir, notamment dans le Grand Est, que les hôpitaux publics étaient surchargés alors que nous, nous étions en capacité de répondre" aux besoins, se remémore également Marie-Sophie Desaulle, présidente de la Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne privés non lucratifs (Fehap), qui dispose de 704 structures sur l'ensemble du territoire. "Mais dès lors que nous avons signalé ce fait-là, il y a eu une vraie réactivité et nos établissements ont rapidement été sollicités."

Comme l'ensemble des établissements de santé du Grand Est, nous avons désormais peu de lits disponibles et une pression à l'admission importante pour les patients Covid-19.

Marie-Sophie Desaulle, présidente de la Fehap

à franceinfo

Preuve que le privé est désormais mis à contribution, la région Grand Est comptait mercredi 1er avril environ "1 160 lits de réanimation" (contre "465" avant l'épidémie), dont "275" dans des établissements privés, indique l'ARS Grand Est dans un dossier de presse du même jour, précisant néanmoins que ces lits n'étaient pas tous réservés aux patients atteints du coronavirus.

Après avoir déploré les transferts de malades à l'autre bout de la France alors qu'ils avaient encore des lits disponibles, les établissements privés de la région, désormais eux aussi pleins, estiment ces mesures indispensables"Tous les moyens publics comme privés sont au taquet dans le Grand Est, heureusement qu'on peut transférer des patients dans le reste de la France", reconnaît ainsi Christophe Baillet, président du groupe Louis-Pasteur Santé, qui possède cinq cliniques en Lorraine.

Des réunions quotidiennes entre CHU et cliniques

"En Ile-de-France, vu la vague qui est arrivée, il n'y a pas eu d'autre choix possible que d'utiliser les cliniques privées", avance Christophe Langin, délégué syndical CGT au sein du groupe Elsan, pour justifier la mise à contribution du privé. Si l'avancée de l'épidémie explique l'activation de la "deuxième ligne", les professionnels interrogés par franceinfo saluent néanmoins une coordination efficace avec l'hôpital public, sous l'égide des ARS, qui recensent l'ensemble des lits disponibles pour les patients Covid.

"L'expérience du Grand Est", où la cellule de coordination des groupements hospitaliers de territoire (GHT) n'a vu le jour que le 18 mars, rapporte Le Monde (lien abonnés), "a fait que la région qui a ensuite été la plus touchée, l'Ile-de-France, s'est organisée différemment et nous a sollicités plus tôt", rapporte Marie-Sophie Desaulle, présidente de la Fehap. 

L'ARS a réfléchi à la répartition des patients entre les établissements avant même qu'ils n'arrivent dans nos urgences, et le Samu vient directement dans nos hôpitaux plutôt que de passer d'abord par les urgences publiques.

Marie-Sophie Desaulle, présidente de la Fehap

à franceinfo

"On a une réunion tous les jours avec le CHU de Nancy et les autres cliniques privées pour faire le point", témoigne aussi Christophe Baillet, dont la clinique Louis-Pasteur à Nancy accueillait, mercredi 1er avril, 38 patients atteints du Covid-19. L'hôpital privé Saint-Grégoire, près de Rennes, n'a, lui, toujours pas reçu de patients, mais "les réunions se multiplient entre le CHU et les partenaires privés du territoire pour élaborer différents scénarios en fonction du niveau de montée en charge" de l'activité, relate son directeur général, Ronan Dubois. 

Des patients répartis selon la gravité de leur état

Concrètement, la coopération entre public et privé prend la forme d'une mutualisation des lits disponibles : les patients sont affectés aux établissements, quel que soit leur statut, en fonction de leur état et du service qui y correspond. Les cas les plus graves sont pris en charge par les établissements dotés de services de réanimation. Les cliniques privées, habituellement chargées des soins de suite ou d'actes programmés, accueillent au contraire les patients dont l'état est moins grave, ou qui sont "en fin de vie" mais ne peuvent pas être placés sous respirateur "du fait de leurs polypathologies", précise Marie-Sophie Desaulle, de la Fehap.

Les établissements privés sont aussi mis à contribution pour absorber l'activité hors coronavirus, que les hôpitaux publics n'ont plus les moyens de prendre en charge. "Notre établissement d'Epinal (Vosges) n'a pas de service de réanimation, donc il gère toutes les urgences chirurgicales et médicales du territoire, et le centre hospitalier s'occupe des Covid", explique ainsi Christophe Baillet, du groupe Louis-Pasteur Santé.

De plus en plus souvent dans le même bateau, public et privé sont désormais confrontés aux mêmes problèmes : le manque de matériel (respirateurs, blouses, gants et masques de protection…) et de personnel. Alors que des prêts entre établissements des régions encore peu touchées vers celles en crise se mettent en place, la FHP a indiqué, mercredi 1er avril, avoir adressé "un courrier au président de la République" concernant la pénurie de masques de ses soignantsEt espère que son cri sera davantage entendu que celui du public.

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