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Témoignages "Nous nous transformons en robots" : cinq soignants témoignent de la dégradation de leurs conditions de travail à l'hôpital public

Article rédigé par Guillemette Jeannot
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Personnel hospitalier soignant un malade atteint du Covid-19, à l'hôpital Lariboisière, Assistance Publique - Hopitaux de Paris, le 27 avril 2020.  (JOEL SAGET / AFP)

Médecins, infirmiers et aides-soignants appellent à nouveau à la grève, jeudi 15 octobre, pour défendre un système de santé français à l'agonie. Et l'épidémie de Covid-19 n'arrange rien.

Plus de lits, plus d'embauches et des revalorisations de salaire. C'est ce que demandent les personnels soignants hospitaliers qui manifesteront, jeudi 15 octobre, dans toute la France. En première ligne depuis le début de l'épidémie de Covid-19, ils ne comptent plus dans leurs rangs les cas d'épuisement professionnel ou de burn out. Sur les 60 000 soignants interrogés par l'Ordre national des infirmiers, début octobre, les deux tiers déclarent que leurs conditions de travail se sont détériorées depuis le début de la crise et 43% pensent quitter la profession d'ici à cinq ans.

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A l'approche de l'hiver, l'épidémie n'est pas endiguée et les indicateurs repartent, pour la plupart, à la hausse. L'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (APHP) a d'ailleurs officialisé le renforcement du plan blanc dans ses établissements, le 8 octobre, en raison de l'augmentation du nombre d'hospitalisations en réanimation et en prévision du pic des maladies hivernales.

Or depuis le déconfinement, le personnel hospitalier tente de rattraper le retard sur la prise en charge des autres malades mettant les services au maximum de leurs capacités. Trois mois après le Ségur de la santé, de nombreux personnels hospitaliers estiment que les réponses du gouvernement ne sont pas à la hauteur du défi sanitaire. A la veille de leur mobilisation, jeudi 15 octobre, cinq soignants franciliens livrent à franceinfo leur ressentiment.

Corinne Jac, 54 ans, aide-soignante

"Nous avons tous reçu un courrier, à l'hôpital Saint-Louis, il y a une dizaine de jours, nous annonçant que les congés de la Toussaint sont susceptibles d'être annulés. [Dans ce courrier daté du 2 octobre, l'APHP précise à ses salariés que les plafonds des comptes épargne temps ont été augmentés afin d'y déposer les jours de congés non pris et que les heures travaillées sur les congés de la Toussaint seront majorées de 50%.] J'ai été surprise, car il n'y avait pas d'annonce de renforcement du plan blanc à l'époque. Cette annulation de congés est hallucinante, car il y a des agents qui n'en ont pas pris depuis mars.

Je suis déroutée par ce gouvernement qui avait le temps de préparer cette deuxième vague. Ici, dans le service des urgences, nous sommes tous fatigués. Il y a eu les grèves de décembre où nous avons dormi sur place dans les salles de consultation. Puis pendant le confinement, c'est une jeune femme qui m'a prêté gratuitement son appartement près de l'île Saint-Louis. 

"Aujourd'hui, je puise dans mes réserves, motivée par la solidarité et l'esprit d'équipe, pour tenir face à cette deuxième vague."

Corinne Jac

à franceinfo

Si le public nous a applaudi à 20 heures tous les soirs pendant trois mois, le Ségur de la santé ne nous a rien apporté. En septembre, nous avons touché 90 euros d'augmentation de salaire, les autres 90 euros seront versés en mars 2021. Le point d'indice n'a pas évolué depuis 2010 et le gouvernement nous donne 180 euros d'augmentation alors que nous avions demandé une revalorisation de 300 euros. Les comptes n'y sont pas ! Alors avec mes collègues nous portons aujourd'hui un brassard noir en signe de deuil car l'hôpital se meurt."

Sylvie Pecand, 57 ans, infirmière

"Je suis effondrée. Depuis deux semaines, j'apprends tous les jours qu'un ou deux collègues quittent le service. J'avais la larme à l'œil récemment en disant au revoir à un collègue et ami. Les conditions de travail se dégradent. Ce qu'on a vécu [la première vague] les fait partir.

"Dans mon service de suppléants de nuit, nous ne sommes plus que quatre au lieu de onze. L'hôpital Saint-Louis n'a jamais connu ça. C'est catastrophique."

Sylvie Pecand

à franceinfo

Les lits continuent de fermer, faute de personnel. Le ministre de la Santé, Olivier Véran, parle de 4 000 lits nomades pour pallier ce manque. Mais comment faisons nous pour ouvrir 4 000 lits à la demande sans personnel ? Un médecin ou une infirmière en réanimation ne se trouve pas en un claquement de doigts. Et il faut du temps pour être opérationnel. On vit l'ubérisation de notre système de santé. En sept mois de crise, les mesures qui auraient dû être prises en amont n'ont pas été prises. Il fallait anticiper !

Nous allons être encore plus en difficulté qu'en mars. Je crains également l'afflux de patients souffrants de cancer. Beaucoup n'ont pas voulu se soigner par peur du Covid et sont en retard dans la prise en charge de leur pathologie. Nous n'allons pas être assez nombreux et nous ne pouvons pas nous cloner pour soigner tout le monde. C'est pourquoi aujourd'hui, je marche silencieusement autour de l'hôpital afin d'alerter la population sur notre situation critique."

Laurent Rubinstein, 30 ans, infirmier

"A l'hôpital Robert-Debré, la direction nous propose de réaliser des heures supplémentaires en venant travailler sur nos congés. Et comme nous n'avons plus de 'renfort Covid' aux urgences, je vais venir travailler sur mes trois semaines de congés prévues en novembre. Comme en septembre, où je suis déjà revenu renforcer l'équipe trois nuits pendant mes deux semaines de repos.

"Depuis mars, je n'ai pas eu de véritable pause. Avec le plan blanc, nous devons être joignables 24 heures sur 24 et rester proches de notre lieu de travail."

Laurent Rubinstein

à franceinfo

Sans ces renforts, nous ne sommes plus dédiés à 100% aux patients Covid. Nous allons soigner tout le monde sans avoir le temps de prendre toutes les précautions nécessaires. Je trouve cela dangereux, car je ne voudrais pas être un vecteur du virus pour les patients.  

J'aime mon métier, mais cela commence à devenir fatigant mentalement et physiquement. Nous n'avons plus le temps de prendre soin des gens. Nous nous transformons en robots. Je dors moins, je stresse beaucoup plus qu'auparavant et je fume plus de cigarettes. L'hôpital est en train de couler alors je me mobilise avec mes collègues en portant un garrot noir pour éviter l'hémorragie."

Stéphane Dauger, 51 ans, médecin 

"L'ambiance générale est catastrophique. Dans mon service de réanimation pédiatrique à l'hôpital Robert-Debré, il y a un manque flagrant de motivation et de volonté que je ne connaissais pas. C'est la première fois qu'en tant que chef de service, je vis une telle perte d'expertise et d'expérience alors que nous sommes dans une niche protégée, la réanimation pédiatrique. Nous avons beaucoup de mal à recruter. C'est extrêmement inquiétant. Nous tentons de remplacer ces départs par des intérimaires et d'autres collègues inexpérimentés.

Par ailleurs, le mode de gouvernance n'a pas changé, le personnel médical n'est toujours pas impliqué dans la réflexion sur les stratégies. Tout cela participe à la démotivation à la perte de confiance du personnel hospitalier. Le gouvernement nous dit que nous sommes mal organisés. C'est assez vexant. C'est une excuse pour ne pas financer nos demandes : ne pas fermer les lits, garder le personnel et faire un geste financier.

"Nous allons tout droit vers la privatisation de l'hôpital public. Aborder une telle crise économique avec un hôpital public affaibli doublée d'une crise sanitaire, c'est quelque chose de grave à mon sens."

Stéphane Dauger

à franceinfo

Car c'est à l'hôpital public que viennent les gens les plus défavorisés. Ce n'est certainement pas le moment de faire des économies. Aujourd'hui comme demain, nous allons continuer à nous battre car nous entrons dans une période très difficile."

Maurice Raphaël, 60 ans, médecin

"Je ne suis pas très optimiste pour l'avenir et je ne veux plus cautionner le piétinement quotidien de notre déontologie. C'est pourquoi j'ai démissionné il y a deux mois. Je finis à la fin du mois après une trentaine d'années passées à l'APHP, dont les dix dernières en tant que chef du service des urgences de l'hôpital Bicêtre, au Kremlin-Bicêtre. Nous sommes une dizaine de médecins à partir.

"Je ne veux plus être complice d'un système maltraitant."

Maurice Raphaël

à franceinfo

Nous avons actuellement 100 lits fermés dans tout l'hôpital. Les patients restent parfois aux urgences installés sur des brancards pendant 24 heures, collés les uns aux autres dans un couloir au mépris total des règles d'hygiène et de sécurité. Ce n'est pas normal. Rien ne bouge.

Personnellement, j'ai touché une prime de risque Covid de 3 euros par mois. C'est ridicule. Il y a un manque flagrant de bienveillance envers nos professions. Un pays qui voit que 40% de ces infirmières souhaitent quitter le métier, c'est assez inquiétant et cela nécessite une réforme urgente du système hospitalier. 

Nous acceptons de travailler dans des conditions qui se dégradent depuis une dizaine d'années. Notre activité a doublé avec un taux d'hospitalisation qui est le même. Et cet hiver, la charge de travail va encore être démultipliée alors que nous sommes en sous-effectif."

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