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Vaccination contre le Covid-19 : face aux "repentis" du faux pass sanitaire, les professionnels de santé dans l'impasse

Les pass de complaisance, acquis avec la complicité d'un professionnel, sont considérés comme valides dans la base de l'assurance-maladie. Il est ainsi impossible de revenir en arrière pour avoir accès à la vaccination. Et la loi reste pour l'instant floue sur le sujet.

Article rédigé par Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
L'application TousAntiCovid ouverte sur un téléphone portable, le 17 décembre 2021 à Montaigu (Vendée). (MATHIEU THOMASSET / HANS LUCAS / AFP)

Une à deux fois par semaine, dans son centre de vaccination des Bouches-du-Rhône, le médecin Abdel B.* se retrouve confronté à la même situation. Un patient se présente pour se faire vacciner, mais au moment de l'enregistrer, une anomalie se produit. Et pour cause : le patient est déjà enregistré dans la base de données de la plateforme VAC-SI (système d'information vaccin Covid). Le diagnostic est rapide : "Les faux pass, c'est un peu la cata à Marseille", témoigne le généraliste et urgentiste, sous couvert d'anonymat. Après avoir déboursé des centaines d'euros pour acquérir un pass de complaisance, le fraudeur a des remords. Et c'est alors le début des ennuis.

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Ces faux pass sont parfois enregistrés en bonne et due forme, grâce à la complicité d'un professionnel de santé ou d'un employé disposant de la fameuse carte CPS, qui ouvre l'accès à la base. Le fraudeur est alors considéré comme vacciné dans les fichiers de l'assurance-maladie. Impossible pour lui de faire machine arrière, et donc de bénéficier effectivement du vaccin. Le médecin doit alors improviser, avec une bonne dose de bricolage. "J'effectue une correction sur l'outil VAC-SI en signalant une erreur de saisie, ce qui annule l'ancien cycle vaccinal", explique le professionnel interrogé par franceinfo. Il en crée alors un nouveau, lavant ainsi le péché originel du fraudeur.

Des cas de conscience pour les professionnels de santé

Le médecin marseillais souhaiterait la mise en place d'un protocole de régularisation "plus simple", afin d'encourager les fraudeurs à sortir de la clandestinité. "Beaucoup ont peur de venir, et quand ils viennent, certains me demandent de ne pas les dénoncer", poursuit-il. "Je leur rappelle que tout est couvert par le secret médical. Il ne faut surtout pas hésiter à en parler à son médecin."

"Ces gens-là sont aussi des victimes. De l'ignorance, de la désinformation... Il faut leur donner une porte de sortie."

Un médecin généraliste et urgentiste

à franceinfo

Effacer un cycle vaccinal sur une base nationale n'est toutefois pas anodin. "Je comprends son point de vue, mais c'est illégal", commente la sénatrice UDI Françoise Gatel, membre de la commission des lois. "Un professionnel de santé se rend alors coupable d'un délit, et sa responsabilité peut être engagée. On ne peut pas accepter qu'un médecin soit amené à bidouiller pour protéger un fraudeur". Mêmes réserves de la part du médecin Christian Lehmann, qui dénonce le poids des trafics. En modifiant la base VAC-SI, le professionnel fait confiance au patient et "considère que les vaccins n'ont pas été faits, mais il n'en sait rien !" Inutile donc de tergiverser, selon ce médecin. Face aux faux pass, il faut "alerter les autorités – CPAM et ARS –, lesquelles alerteront les cellules de police et de gendarmerie."

"Les dealers de faux pass, qu'ils soient ou non du milieu médical, mettent en danger la vie d'autrui. On ne peut pas rester passif et considérer que ce n'est pas notre problème."

Christian Lehmann, médecin et écrivain

à franceinfo

Mais cette solution présente le risque de dissuader certains "repentis", qui redouteraient de "griller" l'identité de leur fournisseur. C'est un cas de conscience pour les professionnels. Faut-il encourager la vaccination de ceux qui ont bénéficié de faux pass, au prix de quelques accommodements, ou combattre les trafics coûte que coûte ? "C'est délicat", résume Jean-Jacques Fraslin, médecin généraliste en Loire-Atlantique. A titre personnel, il refuse de supprimer un cycle vaccinal frauduleux. "Je ne sais pas si la Sécurité sociale archive les données des cycles annulés mais, s'il y a une enquête, je pourrais être accusé d'avoir effacé une preuve."

"L'essentiel est d'être vacciné"

Toc, toc, toc. Un beau jour, un "repenti" frappe à la porte de son cabinet. "Il avait dépensé 450 euros pour un faux pass, mais il a changé d'avis quand son père, malade du Covid, a terminé en réanimation." Jean-Jacques Fraslin trouve alors une solution : conserver le cycle frauduleux en ajoutant deux autres doses, bien réelles cette fois-ci. Le généraliste administre la première injection en faisant promettre au patient de revenir pour la seconde, sans quoi il n'obtiendra pas son attestation. Celui-ci, désormais, "est noté quatre doses sur quatre". En cas d'enquête future, les données du cycle frauduleux apparaîtront toujours sur VAC-SI.

"Nous n'avons pas d'instructions, mais quand ces personnes viennent, il faut bien qu'on les vaccine !"

Jean-Jacques Fraslin, médecin généraliste

à franceinfo

Les professionnels sont aujourd'hui livrés à eux-mêmes, contraints d'agir en leur âme et conscience. Comme son confrère marseillais, le généraliste nantais attend donc des instructions nationales pour gérer ces personnes. Il est temps de trancher, car la question concerne de très nombreux Français : le 30 décembre, le ministère de l'Intérieur dénombrait au moins 192 000 faux pass, mais ce nombre est sans doute plus élevé.

Le gouvernement a pourtant affiché sa volonté de réintégrer le plus grand monde dans la vaccination, quitte à passer l'éponge et abandonner d'éventuelles poursuites. Auditionné mi-décembre en commission au Sénat, le ministre de la Santé, Olivier Véran, avait défendu la notion de "repentance" pour les détenteurs de pass frauduleux"Cela permet à quelqu'un qui était déterminé à ne pas se vacciner, et donc, s'est procuré de faux documents, de se rendre compte qu'il a fait une grosse bêtise", avait expliqué le ministre, plaidant en faveur de l'oubli et d'une solution de repli, "car l'essentiel est d'être vacciné."

Pas de règle claire pour l'instant

Le projet de loi sur le pass vaccinal, adopté dimanche 16 janvier par le Parlement, prévoit une amende de 1 000 euros pour non-présentation, présentation d'un pass appartenant à autrui, usage ou détention d'un faux. Le texte accorde toutefois un délai de trente jours pour échapper à l'amende, à condition d'aller se faire vacciner. Mais cette disposition semble destinée aux fraudeurs pris la main dans le sac, davantage qu'à ceux qui souhaiteraient spontanément régulariser leur situation. Cette mesure, encore mal définie, nécessitera "dans tous les cas la mise en place d'une procédure spécifique", précise à franceinfo la direction générale de la santé (DGS).

En attendant, les autorités sanitaires appellent les professionnels à la plus grande prudence dans la gestion de ces fraudeurs en quête de régularisation. La "possibilité technique de procéder à ces annulations de cycle dans VAC-SI" est simplement ouverte "en cas d'erreur par le personnel de santé", insiste la DGS. "Il convient de ne pas annuler de cycle de vaccination (...) en cas de faux pass sanitaire pour le moment".

Le détenteur d'un pass de complaisance peut toujours tenter de désactiver son pass sanitaire, en le signalant comme frauduleux (il faut alors écrire un mail à revocation-passe-sanitaire@sante.gouv.fr, avec une copie du QR code et d'une pièce d'identité, ainsi que l'identifiant du certificat sanitaire, c'est-à-dire la suite de caractères affichés sous le code en mode "frontière" sur l'application TousAntiCovid). Sans aucune garantie sur les suites de la procédure.

Pour résumer, il n'existe, à ce jour, aucune consigne claire sur le volet éthique du dossier, pas plus que sur la gestion technique et administrative des personnes concernées. Interrogé par franceinfo, le Conseil national de l'ordre des médecins n'a pas souhaité s'exprimer. "Nous avons effectivement eu des remontées de terrain de professionnels concernés par ce cas de figure", confirme de son côté l'Ordre des infirmiers. "L'objectif, c'est de maximiser la couverture vaccinale. Les autorités compétentes doivent donc leur apporter des précisions sur la marche à suivre pour leur permettre de vacciner" ceux qui avaient décidé jusqu'ici de contourner les règles.

* Le prénom a été modifié

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