Parlement, justice, exécutif... Qui enquête sur qui après la crise du coronavirus ?
Le parquet de Paris a ouvert, mardi, une enquête préliminaire sur la gestion de la crise sanitaire liée à l'épidémie de Covid-19. Parallèlement, le Parlement a lancé deux commissions d'enquête, dont les travaux et les auditions débuteront dans les prochaines semaines.
Après la vague épidémique, voici la vague judiciaire. Les ouvertures d'enquêtes sur la gestion critiquée de la crise du coronavirus en France se multiplient. Le parquet de Paris a ouvert une vaste enquête préliminaire, mardi 9 juin, visant notamment les chefs d'"homicides involontaires" ou de "mise en danger de la vie d'autrui".
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Cette procédure judiciaire vient notamment s'ajouter aux commissions d'enquêtes ouvertes par les deux chambres du Parlement, et à une éventuelle commission "indépendante", évoquée par l'exécutif vendredi. Franceinfo fait le point sur les enquêtes en cours.
Une vaste enquête préliminaire du parquet de Paris
L'"enquête-chapeau", annoncée mardi par le procureur de la République, Rémy Heitz, agglomère 13 procédures consacrées aux plaintes d'associations ou d'organisations syndicales sur la gestion de la pandémie, et une quatorzième englobant 33 plaintes, en grande majorité de particuliers.
Cette réponse judiciaire "n'est pas là pour définir des responsabilités politiques ou administratives", a expliqué Rémy Heitz, "mais pour mettre au jour d'éventuelles infractions pénales". Regrouper ces enquêtes va ainsi permettre, selon le procureur, d'établir un fonds documentaire commun sur l'état des connaissances scientifiques. Car "pour ce type d'infractions, le Code pénal dit bien qu'il faut apprécier les responsabilités" des décideurs "au regard des moyens et des connaissances dont ils disposaient au moment des décisions".
Sur quoi porte l'enquête ? Elle porte principalement sur quatre chefs d'accusation : "homicides et blessures involontaires", "mise en danger de la vie d'autrui", "abstention volontaire de combattre un sinistre" et "non-assistance à personne en péril".
Qui est visé ? La plupart des plaintes ont été déposées contre X. Il revient donc aux magistrats de déterminer si des décideurs publics ou des structures administratives doivent être poursuivis. Certaines plaintes citent nommément des responsables de l'administration, comme le directeur général de la santé Jérôme Salomon, ou encore l'organisme Santé publique France. Les membres du gouvernement ne sont pas concernés puisque leur responsabilité pénale relève de la Cour de justice de la République. Quant au chef de l'Etat, il est irresponsable pénalement des actes réalisés dans l'exercice de ses fonctions.
Des enquêtes locales sur les Ehpad
Depuis le début de l'épidémie de coronavirus en France, de plus en plus de familles endeuillées saisissent la justice pour dénoncer des manquements dans la prise en charge de leurs proches dans les Ehpad. Localement, plusieurs enquêtes ont donc été ouvertes.
Le parquet de Grasse a ouvert une enquête préliminaire au mois d'avril, après réception d'une salve de plaintes de familles de résidents décédés à l'Ehpad La Riviera de Mougins (Alpes-Maritimes). Le procureur de la République de Nanterre a quant à lui ouvert plusieurs enquêtes préliminaires, le 19 mai, concernant trois établissements des Hauts-de-Seine (situés à Chaville, Clichy-la-Garenne et Clamart). Le lendemain, le parquet de Paris a a également ouvert deux enquêtes préliminaires à la suite de plaintes mettant en cause deux Ehpad de la capitale, situés dans les 9e et 12e arrondissements.
Sur quoi portent ces enquêtes ? La plupart des enquêtes visent des délits similaires, comme la "mise en danger d'autrui". Les enquêtes ouvertes par le parquet de Nanterre mentionnent également les délits d'"homicide involontaire" et de "non-assistance à personne en danger".
Qui est visé ? Dans les enquêtes préliminaires ouvertes par ces trois parquets, six établissements sont visés au total. Au moins deux d'entre eux, celui de Mougins et celui de Clamart, sont la propriété du groupe Korian, leader dans le secteur des maisons de retraite.
Deux commissions d'enquête parlementaires
Les deux chambres du Parlement vont aussi se pencher sur la gestion de l'épidémie. L'Assemblée nationale a officiellement installé, mercredi 3 juin, une commission d'enquête, composée d'une trentaine de membres issus de tous les groupes politiques, et dont les travaux d'investigation dureront six mois. Cette commission est le prolongement d'une mission d'information ouverte en avril. Les premières auditions débuteront le 16 juin, en commençant par celle du directeur général de la santé, Jérôme Salomon. Des membres du gouvernement, d'anciens ministres, des scientifiques et des hauts fonctionnaires seront également entendus. Quant au Sénat, son président Gérard Larcher a également annoncé la création d'une commission d'enquête qui devrait voir le jour à la fin du mois de juin.
Sur quoi portent ces enquêtes ? Ces commissions ne sont pas des juridictions. Leur objectif est d'établir un tableau, le plus complet possible, de la gestion de la crise et des erreurs, en amont comme en aval. A l'Assemblée nationale, les membres de la commission se pencheront sur la "prévention sanitaire, la gestion de la crise sanitaire et l'adaptation du système de soins" mais aussi sur la "stratégie de déconfinement" ou encore les "conséquences économiques et budgétaires de la crise", indique Eric Ciotti, député Les Républicains (LR) et rapporteur de la commission, dans une lettre adressée au président de l'Assemblée (PDF). Quant à la commission du Sénat, ses contours n'ont pas encore été précisés, mais elle analysera notamment ce qui "a fonctionné et dysfonctionné", a indiqué Gérard Larcher, sur franceinfo.
Qui est visé ? La commission d'enquête est un outil du Parlement, prévu par l'article 51-2 de la Constitution, qui permet notamment de contrôler l'action du gouvernement dans son ensemble. Au terme de l'enquête, les membres de la commission publieront un rapport, qui peut donner lieu à un débat dans l'hémicycle, sans vote, mentionne le site de l'Assemblée nationale. Il conduit souvent à des recommandations et, parfois, à une proposition de loi.
Une enquête de l'exécutif sur sa propre gestion
L'Elysée a évoqué, vendredi 5 juin, la possible création d'une commission gouvernementale pour porter un regard "indépendant et collégial (...) sur la gestion de la crise du coronavirus". L'annonce a provoqué de vives réactions auprès de plusieurs parlementaires, qui craignent que le gouvernement ne court-circuite les commissions d'enquête menées à l'Assemblée et au Sénat. L'Elysée assure que cette commission serait "complémentaire" des enquêtes du Parlement. Ce projet n'a pas encore été officiellement confirmé par l'exécutif.
Sur quoi porte cette enquête ? Pour l'instant, c'est encore flou. "Ce n'est pas une commission, c'est un retour d'expérience" au sein de l'exécutif "sur la façon dont l'administration et le politique ont géré cette crise", a avancé la secrétaire d'Etat à l'Economie Agnès Pannier-Runacher, sur LCP, lundi 8 juin.
Qui est visé ? L'exécutif se pencherait donc sur sa propre gestion de la crise. "Je crois que le fait de faire le point en interne est aussi de [la] bonne gestion", a estimé Agnès Pannier-Runacher.
Des plaintes examinées par la Cour de justice de la République
Quelque 80 plaintes ont été déposées, à ce jour, contre des membres du gouvernement pour leur gestion de la crise sanitaire du Covid-19. Elles émanent de particuliers, de syndicats ou encore de médecins. Ces plaintes sont en cours d'examen par la commission des requêtes de la Cour de justice de la République, seule instance habilitée à juger des actes commis par des membres du gouvernement dans leurs fonctions. Cette commission, composée de 10 hauts magistrats, peut "décider soit le classement sans aucune suite, soit la transmission [au procureur général pour qu'il saisisse] la commission d'instruction qui, à ce moment-là, investiguera sur les plaintes déposées", a indiqué François Molins, procureur général près la Cour de cassation, sur RTL.
Sur quoi portent ces plaintes ? Les plaignants dénoncent, selon les cas, des faits de "mise en danger de la vie d'autrui", "homicide involontaire", "non-assistance à personne en danger" ou abstention de prendre à temps des mesures pour endiguer l'épidémie.
Qui est visé ? Ces plaintes concernent le plus souvent le Premier ministre, Edouard Philippe, ainsi que les deux ministres de la Santé qui se sont succédé depuis le début de l'épidémie, Agnès Buzyn et Olivier Véran. Leurs homologues de la Justice, du Travail et de l'Intérieur sont également concernés.
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