"On ne sait pas encore quels jeux on pourra autoriser" : veillée d'armes dans une école parisienne avant le retour des élèves
Le confinement étant levé, un protocole sanitaire très strict devra être appliqué dans toutes les écoles maternelles et primaires pour le retour des enfants en classe. Un véritable casse-tête pour les enseignants. Reportage dans un établissement parisien, à J-3.
Elles ne se sont pas vues depuis deux mois, et ce lundi 11 mai a des airs de rentrée des classes, sans en être vraiment une. "J'appelle plutôt cela une reprise", prévient Leïla*, directrice d'une école publique à Paris.
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Dans son bureau aux murs recouverts de dessins, de cartes et de tableaux, elle s'affaire, avec ses collègues, à confectionner des visières en plastique, pour remplacer les masques. La protection, l'élastique… Tout le matériel a été acheté à son compte. "C'est quand même plus confortable pour enseigner. On est protégés et on reste compréhensibles pour les enfants", souffle-t-elle, en saluant une nouvelle collègue, une tasse de café à la main.
Des classes réduites, des croisements limités
Jeudi prochain, l'école, qui accueille habituellement 278 élèves de maternelle et primaire, devra être prête à rouvrir ses portes pour recevoir, dans un premier temps, ses élèves "prioritaires". "Il s'agit de familles vivant dans des foyers d'urgence, d'enfants élevés seuls avec leur mère, ou des enfants de ceux qui travaillent contre le Covid-19, les soignants, les pompiers, les policiers…", énumère Leïla. L'école n'a d'ailleurs jamais vraiment fermé. Durant le confinement, une quarantaine d'enfants de soignants ont été accueillis chaque jour. Les enseignants se relayaient également à distance pour appeler les familles les plus isolées, lire des histoires par téléphone ou rassurer certains parents seuls.
Dans cette école parisienne, il a aussi fallu s'adapter durant les 72 dernières heures pour tenter de mettre en application les 56 pages du protocole sanitaire publié par le ministère de l'Education nationale une semaine plus tôt. "Autant dire que c'est très compliqué et que nous avons de nombreuses interrogations. Notamment concernant les plus petits", soupire Leïla. Parmi les mesures édictées, la "limitation du brassage" des groupes d'enfants. "Au déjeuner, dans la cour de récréation, en classe, dans les couloirs… Il ne faut pas qu'ils se croisent. Il faut donc échelonner les groupes dans les bâtiments et dans le temps", développe la directrice.
Quelques nouvelles règles ont déjà été prises : chaque étage sera réservé à un groupe et ils ne pourront pas se croiser. Un escalier sera réservé à la montée et l'autre à la descente. Marquages au sol et affiches pédagogiques aideront les enfants à respecter les gestes barrières et la distanciation physique.
Il va falloir trouver du personnel pour surveiller. Pour le moment, la moitié des agents sont absents. Certains présentent des profils à risque et ne viennent plus, par prudence.
Leïla, directrice d'écoleà franceinfo
A midi, le self sera divisé en plusieurs services. "Entre chaque service, le réfectoire sera désinfecté pendant trente minutes par des agents recrutés par la mairie", reprend la directrice. Chaque salle, chaque bâtiment, devra aussi être désinfecté régulièrement. L'école a reçu cette semaine plusieurs cartons d'essuie-mains en tissu et de liquide désinfectant. Les récréations seront également échelonnées entre les groupes. "On ne sait pas encore quels jeux on pourra autoriser, et lequel on devra interdire. On est obligés de faire au jour le jour", poursuit Leïla.
Des cours de musique sans chant
Concernant les classes, les salles de 50 m2 capables d'accueillir 25 élèves ne pourront accueillir plus d'une dizaine d'enfants. De nouveaux espaces devront être réquisitionnés. Tous les bureaux devront être espacés d'un mètre. En raison du mélange des groupes, les enseignants pourront aussi se retrouver avec de nouveaux élèves. "On va mettre tout ça en place dans les prochains jours", assure Leïla, ouvrant la porte d'une salle de classe primaire aux murs pastel.
Au tableau, la date du 13 mars (le vendredi précédant la mise en place du confinement) est restée affichée. Quelques sacs, blousons et doudous traînent sous les porte-manteaux, comme si l'on n'avait pas eu le temps de venir les récupérer. L'absence d'enfants et le silence contrastent avec la présence de leurs portraits souriants et de leurs collages sur les murs de l'établissement.
Jeudi, la bibliothèque sera fermée pour éviter toute contamination lorsque les livres passent de main en main. La salle de musique ne pourra plus accueillir de chorale. "Le chant n'est plus possible, à cause des postillons", déplore Catherine*, professeure de musique. "Je vais devoir inventer de nouvelles façons de faire de la musique, peut-être qu'on va utiliser des crayons pour le rythme ? Taper sur la table ?"
Durant tout le confinement, la professeure de musique a d'ailleurs dû puiser dans son imagination pour enseigner à distance "une matière vivante". "Je leur ai proposé d'écouter des musiques ou de les lire… J'ai dû faire beaucoup de recherches, j'ai appris beaucoup de choses et au fond, c'est passé très vite", sourit-elle.
"On est dans une sorte de flottement"
Pour ces enseignants, le retour des enfants est à la fois vécu comme une réjouissance et une crainte. "On a envie de les revoir, assure la directrice, mais l'application de ces mesures demande du temps, c'est une difficulté supplémentaire." Les heures à venir s'annoncent difficiles, malgré l'aide de la mairie et les conseils échangés entre directeurs d'établissement.
Il faut nous laisser le temps de nous approprier le protocole sanitaire et nous organiser au mieux.
Leïlaà franceinfo
Les élèves seront-ils seulement au rendez-vous ? Organisée par les communes, la rentrée en primaire se fait sur la base du volontariat pour les familles. Pour des raisons médicales ou privées, un certain nombre d'enseignants devraient aussi continuer de travailler "à distance". Environ 15% des élèves et 34% des enseignants du primaire devraient répondre présent cette semaine, selon le ministre de l'Education, Jean-Michel Blanquer.
Dans l'école de Leïla, "l'abstention" s'annonce bien plus élevée. Elle a sondé les parents d'élèves par mail ou téléphone. La moitié n'entend pas remettre ses enfants à l'école pour des raisons sanitaires. L'autre moitié "ne peut plus ou ne peut pas télétravailler", résume la directrice. Une perspective qui rend la reprise encore plus particulière. "C'est très étrange de revenir ici, on est dans une sorte de flottement, confie Catherine. D'habitude, la rentrée est un moment de joie, on se raconte nos vacances… Là, ça sera surtout un moment de grande inquiétude."
* Les prénoms ont été modifié à la demande des intéressées.
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