"On est obligés d'improviser" : des médecins libéraux critiquent le manque de considération et de moyens face au coronavirus
En première ligne, les généralistes interrogés par franceinfo déplorent la communication changeante des autorités. Ils regrettent aussi une logique centrée sur l'hôpital.
La mise en quarantaine de Sébastien Thos n'aura pas duré très longtemps : à peine vingt-quatre heures. "J'étais au restaurant samedi soir quand j'ai reçu un coup de fil de l'Agence régionale de santé pour me dire que je faisais partie des soignants qui avaient été en contact avec un patient testé positif au coronavirus", raconte ce membre de SOS Médecins à Vannes (Morbihan). "Je suis immédiatement rentré à la maison et je suis resté confiné."
"Des amis se sont proposés pour me ravitailler, je prenais ma température régulièrement", poursuit le Breton. "Le plus dur, ce n'est pas de rester chez soi. Mais demander à un médecin de se mettre en confinement alors que ça fait neuf jours qu'il est dans la nature à voir des dizaines de patients, ça m'a mis en colère", fulmine-t-il. Finalement, l'ARS le rappelle dimanche soir pour lui dire que son confinement n'est plus nécessaire. La France est passée dans la journée au stade 2 de l'épidémie.
A ce nouveau stade, la consigne officielle a changé. Les soignants en contact avec des personnes porteuses du Covid-19 peuvent aller travailler s'ils ne présentent pas de symptômes. Ils doivent porter un masque de type FFP2 (de haute protection), mettre des gants stériles à usage unique, se laver les mains avec du gel hydroalcoolique avant et après un soin, porter des lunettes de protection en cas de contact avec une personne présentant des risques et surveiller leur température plusieurs fois par jour.
"Il manque de tout"
"Le problème, c'est qu'on en a pas ! Malgré nos demandes depuis dix jours, on ne sait pas où sont les masques", alerte Yvon Le Flohic, médecin généraliste à Ploufragan (Côtes-d'Armor). "Pourtant, on va recevoir des patients qui toussent sans savoir s'ils sont infectés par le coronavirus. J'ai des confrères qui ont plus de 60 ans, qui ont eu des chimiothérapies et qui font partie des personnes à risque. Il ne faut pas qu'ils restent exposés sans protection !"
Il me reste un peu de masque FFP2 qui restent de la grippe H1N1, mais ça ne va pas me durer longtemps.
Yvon Le Flohicà franceinfo
"Il faut impérativement avoir des kits de protection et ne pas être nous-mêmes contaminés ! Si on a besoin de nous sur le pont, il ne faut pas qu'on soit malades", ajoute Jérôme Marty, membre de l'Union française pour une médecine libre (UFML) et médecin généraliste près de Toulouse. "On n'a pas de masques FFP2, les gels deviennent rares et pris d'assaut par la population, il faudrait qu'on ait des surblouses, des lunettes et ce n'est pas le cas..." énumère-t-il.
On a besoin des mêmes protections que nos collègues à l'hôpital car les cas vont se multiplier et nous seront en première ligne. Les urgences et le Samu explosent !
Jérôme Martyà franceinfo
Même constat au cabinet de George Delamare à Blois (Loir-et-Cher). "Il manque de tout", déplore le généraliste de 66 ans. En plus du matériel, "je n'ai pas de numéro spécial pour joindre l'ARS pour prévenir si j'ai des patients atteints, pas de cas d'appui, personne ne m'a téléphoné pour savoir ce que je pouvais faire..." Résultat : le soignant improvise. Il a fermé sa salle d'attente et demande à ses patients d'attendre dehors. "C'est un espace ouvert, il y a moins de risque que de rester agglutinés à 20 dans une petite salle", explique-t-il. Il recourt davantage aux téléconsultations, ne serre plus la main, utilise de l'alcool pour se laver les mains et désinfecte régulièrement les endroits susceptibles d'avoir été touchés.
"On n'a pas d'instructions claires"
Comment expliquer cette situation ? Pour les médecins contactés par franceinfo, cette impréparation est en partie due à un problème de communication. "La communication est un art difficile. En matière de santé, elle est impossible !", ironise George Delamare. "On est inondés de communiqués de l'Ordre des médecins, de la Direction générale de la santé, de l'ARS... Mais cela n'empêche pas une communication erratique et contradictoire !" reprend Jérôme Marty.
D'abord, on nous dit que si on est exposé à un cas contact, on doit aller en quarantaine. Et puis finalement, on nous dit qu'on peut aller travailler si on porte un masque et qu'on n'a pas de symptôme.
Jérôme Martyà franceinfo
Yvon Le Flohic a travaillé sur la veille sanitaire lors de l'épidémie de H1N1. Pour lui, les lacunes en terme de prévention sont similaires. "Comme en 2009, la médecine de ville n'a pas d'instructions claires et on est obligés d'improviser", critique-t-il. "On ne nous a pas communiqué de guide sur l'usage des antiviraux [médicament utilisé dans le traitement des infections virales], à qui faut il faut en donner, quand... En 2009, on avait attendu l'épuisement des stocks pour s'en inquiéter."
En 2009, la ministre faisait une conférence de presse par jour, on nous envoyait des consignes et puis c'était tout. Pas de masque, pas de vaccin, à chacun de se débrouiller avec ce qu'il sait pour s'organiser. Comme aujourd'hui.
George Delamareà franceinfo
Pour ces médecins, la logique reste trop "hospitalo-centrée". "On met tous les moyens sur l'hôpital alors que la majorité des patients sont d'abord pris en charge par la médecine de ville. Il faudrait nous intégrer dès le départ. On commet les mêmes erreurs qu'en 2009 et on nous appelle à la rescousse trop tard !" analyse Jérôme Marty. Pourtant, certains faits auraient pu être anticipés. "Quand les premiers foyers contamination en Italie ont été repérés, c'était évident qu'on allait y passer ! Cette situation d'impréparation, finalement dix ans après on la revit", estime Sébastien Thos.
"L'Etat a l'habitude de nous oublier"
Pour pallier la propagation du virus, les médecins appellent à un meilleur dépistage de la population. Pour le moment, seules les personnes porteuses du virus et présentant des symptômes sont recensées par les autorités. "Mais en 2009, on s'est rendu compte a posteriori que près de la moitié de la population ne présentait pas de symptôme mais était porteuse du virus", étaye Yvon Le Flohic. "En début de propagation, c'est sûrement une bonne idée d'isoler les cas présentant des symptômes, mais là, le virus circule et dix personnes infectées, ça ne veut pas dire dix malades", rappelle le médecin généraliste.
Il faudrait qu'on ait une vraie visibilité sur la circulation du virus et qu'on fasse des prélèvements, y compris sur les personnes non malades pour connaître la progression et adapter les mesures de prévention. La difficulté est de distinguer le coronavirus de la grippe hivernale, qui continue aussi à circuler.
Yvon Le Flohicà franceinfo
Les généralistes ne sont pas les seuls soignants libéraux à être concernés. Les infirmiers, aides à domicile, kinésithérapeutes, aide-soignants, sage-femmes sont aussi très exposés. "Nous allons plusieurs fois par jour à domicile, nos patients sont souvent des personnes âgées", décrit Lucienne Claustres-Bonnet, une infirmière. Pour le moment, elle applique les recommandations habituelles : se laver les mains, porter une paire de gants stériles, changer de vêtements régulièrement et les laver à 60 °C... Ses patients ne sont pas particulièrement inquiets, sauf ceux qui vivent en résidence, où les passages sont nombreux.
Pour le moment pour nous, ce n'est pas pire qu'une épidémie de grippe classique.
Lucienne Claustres-Bonnetà franceinfo
En cas de contamination du personnel toutefois, la situation pourrait être aggravée. "Nous ne sommes que deux au cabinet. Si l'une de nous est malade, ça va être très compliqué de s'occuper de tous les patients, explique-t-elle. Et puis l'Etat a l'habitude de nous oublier. Financièrement, comme notre caisse ne peut nous donner une indemnité qu'au bout de 45 jours, je ne sais pas comment on se payera."
Face à ces alertes, Emmanuel Macron a annoncé mardi 3 mars que l'Etat réquisitionnerait "tous les stocks et la production de masques de protection" pour les distribuer aux soignants et aux personnes atteintes du coronavirus jusqu'au 31 mai. Un décret a été publié dès mercredi au Journal officiel.
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