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"On fait comment maintenant ?" : la fermeture des crèches et des écoles à cause du coronavirus plonge les parents dans l'inquiétude

Article rédigé par Valentine Pasquesoone
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Une école à Paris pendant l'épidémie de coronavirus, le 8 mars 2020. (MEHDI TAAMALLAH / NURPHOTO)

Confronté à "la plus grave crise sanitaire qu'ait connue la France depuis un siècle", Emmanuel Macron a annoncé jeudi soir la fermeture totale de l'ensemble des crèches et établissements scolaires à partir de lundi, et ce "jusqu'à nouvel ordre". 

Ils sont des millions à tenter de trouver une solution dans l'urgence. A travers le pays, les parents de quelque 12 millions d'élèves se pressent pour s'organiser face à la fermeture totale des crèches et établissements scolaires dès lundi 16 mars, et "jusqu'à nouvel ordre", annoncée lors d'une allocution d'Emmanuel Macron jeudi soir, en réponse à l'épidémie de coronavirus Covid-19

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Vendredi matin, le ministre de l'Education nationale, Jean-Michel Blanquer, a confirmé sur France Inter que cette mesure inédite tiendrait "au moins jusqu'aux vacances de printemps". "L'Etat prendra en charge l'indemnisation des salariés contraints à rester chez eux", a rassuré le chef de l'Etat. Combien seront-ils à ne pas avoir le choix ? Beaucoup de parents restaient dans l'incertitude vendredi, tentant de trouver tant bien que mal un nouveau mode de garde pour leurs enfants privés d'écoles. Ils sont nombreux à avoir répondu à un appel à témoignages lancé par franceinfo.  

Des arrêts encore incertains

L'annonce du chef de l'Etat a peut-être rassuré, mais elle a surpris, si ce n'est perturbé, bon nombre de parents jeudi soir. "Il y a encore quelques jours, ce n'était pas si grave. Maintenant, c'est devenu incontrôlable et il faut prendre des mesures drastiques !" Yasmina, formatrice vacataire en lycée professionnel et centre de formation pour adultes, évoque un moment "très compliqué". Cette femme de 35 ans est mère de deux enfants de 4 et 8 ans, en moyenne section et en CE2. Vendredi matin, sans aucune famille proche dans sa ville d'Amiens (Somme), elle ne savait pas encore comment faire. "Nous attendons une décision de la Chambre de commerce sur la fermeture des centres de formation, et ça ne va pas se résoudre en une journée", souffle-t-elle. 

Je suis vacataire. Si on maintient mon salaire, je veux bien (m'arrêter)... Mais dans quelle mesure on va le maintenir ?

Yasmina, formatrice et mère de deux enfants

à franceinfo

L'inquiétude est similaire pour son mari, agent de sécurité. Autrement dit, un métier où le télétravail n'est pas une option. "Son employeur lui a dit qu'entre ce que Muriel Pénicaud [la ministre du Travail] disait et la réalité, il y avait une grande différence", relate Yasmina. "Cet employeur n'est pas du tout sûr d'accorder des arrêts indemnisés à tout le monde." Vendredi soir, Yasmina a appris qu'elle ne pourrait pas bénéficier d'un arrêt indemnisé, du fait de son statut de vacataire. "Nous avons pu faire en sorte de coordonner nos horaires avec mon mari, cela ira pour alterner dans la journée", précise-t-elle. 

Un arrêt de travail faute d'école était aussi "à l'étude" vendredi matin pour Reynald, agent SNCF de 41 ans. "Mais nous n'avons pas encore les réponses", s'inquiétait-il. "Nous sommes en train d'étudier les possibilités, de voir si techniquement nous pouvons faire du télétravail", témoigne ce père de famille chargé d'organiser des travaux sur les voies en Meurthe-et-Moselle. "Mais il va falloir concilier les trois enfants à garder et le travail !", craint-il. Car sa femme Marjorie, infirmière libérale de 38 ans, ne peut en aucun cas cesser de travailler. En pleine crise sanitaire, la garde de leurs trois enfants, âgées de 5, 8 et 10 ans, doit reposer sur Reynald. 

Nous ne sommes que deux infirmières dans mon cabinet. Ma collègue a aussi des enfants en bas âge. Il est impossible de s'arrêter.

Marjorie, infirmière libérale

à franceinfo

Des relais par des proches sont aussi impossibles pour le couple. Les parents de Marjorie, âgés de 74 ans, sont fragiles face à l'épidémie, et sa grande sœur, atteinte de sclérose en plaques, l'est tout autant si ce n'est plus. L'infirmière ne veut leur faire courir aucun risque. Des parents ayant répondu à l'appel à témoignages de franceinfo n'ont toutefois pas d'autre choix que de faire appel aux grands-parents. 

"Nous sommes un peu dans l'impasse", lâchait Reynald en début d'après-midi vendredi. Quelques heures plus tard, l'agent a finalement appris qu'il pourrait prendre des congés indemnisés pour garder ses enfants. 

Compter sur les proches et amis

Plusieurs des parents interrogés par franceinfo s'organisent au contraire pour une garde alternée. C'est le cas d'Aude, chargée d'affaires et mère de deux enfants de 3 et 5 ans en Côte-d'Or. Avec son mari technicien dans la fonction publique, "on va alterner (la garde) suivant nos plannings", anticipe-t-elle sans trop d'inquiétude. Dans l'incertitude quant à l'arrêt de travail indemnisé proposé par l'Etat, Aude et son compagnon envisagent de travailler chacun "un jour sur deux", en fonction de leurs réunions respectives. 

D'autres parents n'ont pas cette chance d'être deux. Comment garder (ou faire garder) son enfant, en tant que mère ou père célibataire ? A l'annonce de la fermeture des écoles, "j'étais très choquée, prise au dépourvu", confie Aurore, 36 ans, mère célibataire d'un enfant de 8 ans dans la Loire. "Je me suis dit : on fait comment maintenant ?" En plein état de stress, cette infirmière dans un foyer médicalisé pour adultes autistes et polyhandicapés (et qui ne peut donc pas s'arrêter) a sans attendre appelé son ancien compagnon et sa famille jeudi soir. "J'ai de la famille en Haute-Loire mais ils vivent à plus d'1h30 d'ici, et ma sœur travaille", explique la trentenaire.

Plus de la moitié de mes collègues avec des enfants n'ont pas de solution pour les semaines à venir. C'est très, très compliqué. La direction était vraiment en panique ce matin.

Aurore, infirmière et mère célibataire

à franceinfo

Vers 22h30 jeudi soir, Aurore a finalement reçu un appel. Celui d'une amie, mère d'un camarade de son fils. "Elle est institutrice et a tout de suite pensé à moi. Elle m'a tout de suite proposé son aide", salue l'infirmière. Après une semaine chez son père, son fils de 8 ans pourra rester chez elle le temps qu'il faudra, tant que son école restera fermée. "Et elle m'a dit qu'elle ferait des cours, ce qui est parfait !", sourit Aurore. D'autant plus qu'en tant qu'infirmière, elle pourrait être appelée en renfort en pleine épidémie. 

Cuisinier dans un collège de l'Ain et en arrêt de travail après une opération de l'épaule, Nicolas, 49 ans, a fait une proposition similaire pour les amies de sa fille de 14 ans. Elle est la dernière d'une fratrie de cinq à vivre avec ses parents, son frère de 17 ans étant en internat et en stage à Dijon (Côte-d'Or). 

J'ai dit à ma fille : "On va avoir des amis à toi que les parents ne peuvent pas garder. Ils vont venir chez nous pour travailler tous ensemble".

Nicolas, cuisinier et père de cinq enfants

à franceinfo

Le père de famille s'attend à recevoir cinq à six collégiens chez lui, chaque jour au fil des prochaines semaines. Sa femme, principale d'un collège, devra assurer une permanence dans l'établissement pour la continuité des enseignements. "La réactivité du collège de ma fille est extraordinaire", salue Nicolas. Les conseils de classe seront maintenus, et les enseignants devraient envoyer leçons et devoirs jour après jour, pour garantir que l'école continue, même à domicile. 

Nicolas s'inquiète plutôt pour les parents d'enfants en bas âge, ou pour ses collègues cuisiniers, en chômage partiel. "Nous aurons une indemnisation complète sur la base de notre salaire réel, mais une partie de notre rémunération est liée à des primes. Nous ne sommes pas sûrs qu'on puisse nous les verser", s'inquiète-t-il. Et le cuisinier d'ajouter, comme tant d'autres parents : "On a plein d'interrogations." 

Un service de garde pour les personnels soignants

Des interrogations qui étaient, vendredi, encore plus présentes chez les personnels soignants. Jeudi soir, Virginie et son conjoint Nicolas avouent avoir "très mal réagi" à l'annonce de la fermeture des écoles de leurs trois enfants de 10, 14 et 15 ans. Tous les deux sont infirmiers en psychiatrie au CHU de Nice (Alpes-Maritimes), potentiellement mobilisables pour faire face à l'épidémie. "Nous sommes tous les deux à l'hôpital, peut-être réquisitionnés... Nous avons trois enfants, comment on va faire ?", s'est interrogé le couple. 

Car quelques heures plus tôt"nous avions eu officieusement, de la part de nos cadres, des annonces de veille sanitaire", relate Virginie. Fermeture de services de consultation, déprogrammation d'opérations non urgentes... En pleine épidémie, l'infirmière venait d'apprendre qu'elle pourrait "renforcer les équipes là où il y aurait besoin", et son planning pourrait être profondément bouleversé. Dans l'attente d'une annonce officielle de la direction du CHU, Virginie et son mari, Nicolas, ont tenté dès jeudi soir de trouver une solution pour leurs trois enfants. "Nous n'avons pas de famille à proximité, sauf mon père", explique l'infirmière. "Or il est à risque car en insuffisance rénale. Alors on s'est dit : 'L'un de nous doit rester'". Son conjoint, travaillant pour les consultations de psychiatrie, s'est porté volontaire. Non sans crainte pour les revenus de la famille, et avec une certaine difficulté. 

Du fait de notre profession, on culpabilise un peu de ne pas pouvoir être à disposition. Qu'il y en ait un qui reste à la maison, c'est difficile dans une crise sanitaire comme celle-ci.

Virginie, infirmière au CHU de Nice

à franceinfo

Le couple se préparait à la garde à domicile de leurs trois enfants, quand la direction du CHU de Nice leur a annoncé la nouvelle, vendredi soir. Dès lundi, comme annoncé par Emmanuel Macron et le ministre de l'Education nationale Jean-Michel Blanquer, les enfants de soignants mobilisés pourront être accueillis "dans leurs établissements scolaires habituels", de la maternelle au collège. "Il n'y aura pas classe, mais des enseignants seront là", a promis le ministre de la Santé, Olivier Véran. 

Mais pour le couple d'infirmiers, le plan de départ ne change pas. "Notre aîné de 15 ans est en situation de handicap, du coup, il faudra quand même que mon conjoint reste à la maison", précise Virginie. Vendredi soir, l'exécutif travaillait toujours, pour ces élèves, "à des recommandations spécifiques pour tous les établissements concernés".

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