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"Le gouvernement a échoué à assurer la sécurité de l'Angleterre" : la colère d'un infirmier britannique face au Covid-19 et ses conséquences psychologiques

Matt Tacey, en charge d'un service d'aide psychologique dans le nord de l'Angleterre, s'inquiète d'une "sorte de syndrome post-traumatique" qui affecte les malades du coronavirus et leurs soignants. Selon lui, le reconfinement, est arrivé "bien trop tard". 

Article rédigé par Richard Place
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Des agents paramédicaux transportent une patiente vers l'hôpital royal de Londres qui s'attend à être surchargé par l'arrivée de malades du Covid-19. (DAVID CLIFF / NURPHOTO)

"lls ont échoué. Ils n'ont rien fait de bien", Matt Tacey, 30 ans, infirmier britannique, ne décolère pas contre le gouvernement de Boris Johnson et sa gestion du Covid-19. En charge d'un service d’aide psychologique dans un hôpital de Chesterfield, dans le Nord de l’Angleterre, il est confronté à une hausse des cas d'anxiété, de dépression, de consommation d'alcool, y compris chez ses collègues soignants. Alors que le Royaume-Uni fait face à une propagation d'un variant du SARS-CoV-2, Matt Tracey estime que le confinement, mis en place le 5 janvier en Angleterre, est arrivé "bien trop tard".

franceinfo : On parle évidemment beaucoup de la mortalité causée par le Covid-19 mais il y a de gros dégâts psychologiques également.

Matt Tacey : C’est une période de stress intense : le stress de la maladie, le stress du confinement, le stress de ne pas se sentir en sécurité... Les infirmières qui traitent ça tous les jours, ça les affecte aussi à la longue. Elles ont aussi besoin de soutien psychologique. Évidemment, le Covid affecte votre système respiratoire, votre santé physique mais aussi votre santé mentale. La demande a augmenté de manière significative depuis le début de la pandémie et malheureusement, j'ai peur que cette tendance se poursuive. Nous avons aussi dû soigner du personnel issu de nos services : des infirmières que nous avons dû traiter parce qu'elles subissent une sorte de syndrome post-traumatique et des traumatismes après ce qu’elles ont vu.

Que voyez-vous que vous ne voyiez peut-être pas d'habitude ?

Des traumatismes que vous ne verriez habituellement que chez d’anciens combattants qui sont allés à la guerre. Nous voyons donc plus de personnes diagnostiquées avec ce type de syndrome.

"Nous voyons plus de gens consommer de l'alcool et des drogues. Ils les utilisent pour essayer d’enrayer le traumatisme."

Matt Tacey

à franceinfo

Nous voyons certainement plus de dépression, plus d'anxiété. Nous soignons aussi des gens de tout milieu à cause du Covid.

Soigner des collègues, c’est nouveau ?

Dans cette proportion, oui. Nous avions une infirmière qui a été changé de service pour faire face à la vague qui nous submerge. Placée dans un service en première ligne face au Covid parce que nous manquions de personnel. Elle n'était pas prête psychologiquement. Elle n'était pas prête pour ce qu'elle allait avoir à vivre. Elle a subi un stress post-traumatique puis elle s’est mise à consommer de l'alcool. Et plus elle buvait de l'alcool, plus elle était déprimée. Et malheureusement, elle a essayé de se suicider.

Les services de santé alertent sur le nombre croissants de patients, sur les lits qui manquent, sur le personnel qui craque…

Oui et ça ne cesse d'augmenter. Le problème c'est que le gouvernement a échoué à maintes reprises à gérer et à assurer la sécurité de l'Angleterre. Ils ont échoué, échoué et échoué. Ils n’ont pas pris les bonnes décisions. Ils racontent qu’ils sont conscients des difficultés mais ce qu'ils ne font pas, c'est augmenter le personnel. Donc toujours plus de patients pour toujours les mêmes effectifs.

En chiffres, comment ça se traduit dans votre service par rapport à d'habitude ?

Habituellement, nous comptons une infirmière pour une trentaine de patients. Maintenant, nous en avons une pour cinquante patients. En soins intensifs, normalement, il y a une infirmière pour chaque patient. Aujourd'hui, dans certains hôpitaux au Royaume-Uni, il y a quatre patients pour une seule infirmière. Et bien sûr, dans les "services Covid" et les unités de soins intensifs, on parle de gens très malades. Leur état peut se détériorer très vite et ils peuvent mourir en quelques minutes. Donc, si cette infirmière s’absente ou même se déconcentre quelques instants, le risque de décès est élevé.

D'après ce que vous avez dit tout à l'heure, vous semblez en colère contre la façon dont cette crise est gérée par le gouvernement ?

Oui, très en colère. Ils ont échoué. Ils ont échoué, échoué et échoué. Ils n'ont rien fait de bien. Rien. Ils ont pourtant été prévenus de ce qui allait se passer. On leur a montré des preuves scientifiques.

"Le conseil scientifique leur a dit de mettre en place un confinement très vite et pendant au moins deux semaines. Ils n'ont rien fait."

Matt Tacey

à franceinfo

Ils ont ignoré les informations scientifiques. Maintenant, nous avons un taux de mortalité terrible. Nous avons un virus mutant. La nouvelle variante du virus est hors de contrôle. Ils ont perdu le contrôle.

Quel genre de mesure aimeriez-vous que le gouvernement prenne maintenant ? Pensez-vous pouvoir faire quelque chose maintenant ?

C’est trop tard. Bien trop tard. Ce que nous devons faire maintenant, c'est garder le pays sous confinement et vacciner. C'est la seule chose que l'on puisse faire aujourd’hui. Nous ne pouvons plus prendre de risques. Si nous réduisons les restrictions actuellement en place, le NHS ne tiendra pas. Nous envoyons des patients Covid de Londres à Liverpool pour être traités parce qu'il n'y a pas de place à Londres. Le gouvernement devrait maintenant maintenir le blocage en place jusqu'à ce que la majorité du pays ait été vaccinée. C'est la seule façon d'en sortir. Il est trop tard pour faire autre chose.

Quel est votre état d'esprit ?

Épuisé, juste épuisé et déçu. Je me sens triste. Je me sens en colère. Vraiment bouleversé.

"Ma grand-mère est morte le jour de l'an et c'était à cause du Covid. Une partie de moi ne peut pas arrêter de penser : si notre gouvernement avait agi plus tôt, serait-elle encore en vie pour que j'appelle?"

Matt Tacey

à franceinfo

Donc je suis en colère parce que j'ai l'impression que la vie de ma grand-mère aurait pu être sauvée. Elle a eu une maladie pulmonaire d'abord puis elle a développé le Covid. Le médecin a dit qu’on ne pouvait plus rien faire. J'ai réussi à dire au revoir à ma grand-mère environ six heures avant sa mort par appel vidéo sur WhatsApp. Les images que j'ai vues de ma grand-mère resteront avec moi pour le reste de ma vie.

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