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La pandémie de Covid-19, une aubaine pour les théoriciens de la fin du monde

Témoins de Jéhovah, catholiques traditionalistes ou évangéliques, la crise actuelle validerait, selon eux, une théorie millénariste. Certains prédicateurs en ont fait un argument de séduction.

Article rédigé par franceinfo - Jean-Loup Adénor
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
La Mission de vigilance et de luttes contre les dérives sectaires explique avoir reçu 52 signalements spécifiques à la crise du coronavirus durant le mois d'avril. (JESSICA KOMGUEN / FRANCEINFO)

"Les événements qui ont lieu autour de nous prouvent, plus que jamais, que nous vivons la fin des derniers jours." Dans une vidéo envoyée aux fidèles en mars 2020 et largement diffusée en France, Stephen Lett, l'un des huit responsables mondiaux des Témoins de Jéhovah, prend une voix réjouissante pour annoncer la nouvelle : la pandémie de Covid-19 ne se résumerait pas à une crise sanitaire et économique. Elle préparerait bien, selon lui, la fin des temps.

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Un type de discours entendu à de nombreuses reprises par la Mission de vigilance et de luttes contre les dérives sectaires (Miviludes) depuis ces dernières semaines en France. Dans une note du vendredi 24 avril, consultée par franceinfo, l'organisme dépendant du ministère de l'Intérieur explique avoir reçu 52 signalements spécifiques à la crise du coronavirus durant le mois d'avril, tous mouvements confondus. La Miviludes note "un regain d'activité des courants apocalyptiques, qui voient dans la pandémie un signe et une confirmation de l'imminence de la fin des temps". Certaines associations constatent elles aussi un renforcement du discours de fin du monde porté par certaines communautés spirituelles.

En attendant Jéhovah

"Cette pandémie est une aubaine pour les mouvements tels que les Témoins de Jéhovah. Ils peuvent dire 'nous avions raison, faites-nous confiance'. La communauté entretient ce sentiment. Parce que plus les gens ont peur, moins ils raisonnent", explique Daniel à franceinfo. Membre des Témoins de Jéhovah depuis trente ans, il en dénonce pourtant aujourd'hui les méthodes et les enseignements sans pouvoir se résoudre à quitter la communauté : il serait excommunié et ne pourrait plus voir ses enfants et petits-enfants. Mais, encore plus que par le passé, il s'inquiète de l'influence du mouvement sur ses proches. "'On sent que c'est la fin [du monde]', me confient des membres. Ils sont tellement conditionnés par le discours officiel entre Témoins qu'ils ne peuvent pas envisager cette pandémie autrement", déplore-t-il.

Dans le culte de Jéhovah, l'Apocalypse annoncée par la Bible inaugurerait l'arrivée du paradis sur Terre et la destruction de tous ceux qui ne sont pas Témoins. "Nous pensons que la pandémie fait partie des signes des derniers jours, au même titre que les guerres et les autres maladies. Les prophéties de la Bible annoncent la fin d'un système, celui des hommes, pour qu'il soit remplacé par un système gouverné par Dieu. La pandémie est un signe qui permet de parler de la fin de ce système"répond le siège national des Témoins de Jéhovah, contacté par franceinfo.

Pour affronter cet événement, la communauté se veut omniprésente et indispensable. Au début du confinement, "elle a notamment envoyé une liste des produits de première nécessité à acheter et invité à faire des stocks pour un mois".

Moi, je sais qu'il y a déjà eu des pandémies par le passé. Je sais que c'est un phénomène naturel. Je sais surtout que la communauté se sert de ça parce qu'elle gouverne par la peur.

Daniel, membre des Témoins de Jéhovah

à franceinfo

Même signal d'alerte du côté de l'Union des associations de défense de la famille et de l'individu victimes de sectes (Unadfi) qui s'inquiète du sort des personnes fragiles, notamment des enfants, confinés un temps dans leur communauté religieuse. "Nous avons notamment reçu le témoignage d'un père de famille, divorcé, qui a quitté les Témoins de Jéhovah. Son ex-femme, restée dans la communauté, a demandé à leurs filles d'appliquer à outrance les règles de distanciation sociale avec leur père. Diaboliser l'autre parent, c'est une stratégie courante. Le risque pour ces enfants-là est de voir encore moins l'autre parent pendant la crise sanitaire", alerte Marie Drilhon, bénévole de l'Unadfi dans les Yvelines. 

Mais l'organisation des Témoins de Jéhovah réfute ces accusations et répond que ce type de signalements concerne surtout "des cas personnels". "Comment savoir si les problèmes évoqués sont réellement liés à la religion ? Nous n'avons pas changé notre manière d'enseigner [la religion], nous nous sommes conformés à ce que la loi nous a demandé. Quelle est la réalité de ces signalements ? Est-ce qu'il ne s'agit pas de problèmes personnels, d'une tentative d'instrumentalisation de la religion de l'ex-conjoint ?", nous répond le siège national des Témoins de Jéhovah. 

On ne donne la parole qu'à des mécontents... Mais il y en a dans tous les groupes.

Les Témoins de Jéhovah France

à franceinfo

Quoi qu'il en soit, ces dernières semaines, les baptêmes express se multiplieraient "dans des baignoires en plastique, dans les salles de bains au domicile des fidèles", précise l'Unadfi. Preuve, selon elle, que les Témoins se sont adaptés au confinement et auraient trouvé en ce virus un argument de recrutement. "On ne baptise pas les bébés et les enfants peuvent décider d'eux-mêmes, lorsqu'ils sont assez mûrs, de se faire baptiser. Notre but n'est pas le baptême à tout prix. C'est du cas par cas", assure l'organisation. Dans une lettre adressée aux fidèles français datée du 20 avril, le mouvement se réjouit toutefois que tous soient "très occupés en cherchant à contacter toutes leurs connaissances" et qu'ils s'adaptent, confinement oblige, aux "formes de prédication telles que l'activité par téléphone ou par courrier".

Une défiance à l'égard de la science

Les Témoins de Jéhovah ne seraient pas les seuls à voir cette pandémie comme une validation de leurs croyances. D'autres groupes profitent de la complexité des discours scientifiques et de la confusion des discours politiques pour asseoir une vision décliniste de la société. C'est notamment le cas de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X qui a préféré "ne pas donner suite" à nos multiples sollicitations

"Prenez la lettre de leur supérieur général. Elle est adressée à tous les fidèles et se veut un rappel de la finitude de la société", analyse Laurence Poujade de l'association Sentinelles, qui soutient les victimes d'emprise communautaire et leurs proches face aux risques de dérives de groupes religieux. L'idée est que : "Si un simple microbe peut mettre l'humanité à genoux, c'est que les réalisations scientifiques ne valent rien. Elles sont incapables de nous protéger."

La police est intervenue à deux reprises pour des messes de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X qui se tenaient malgré le confinement. Au soir du 11 avril, dans la paroisse de Saint-Nicolas du Chardonnet à Paris, une trentaine d'ecclésiastiques et des enfants de chœur étaient réunis pour une messe en latin. Aucun n'était masqué ni ne respectait les gestes barrières, a rapporté l'AFP. "On sait comment fonctionne cette fraternité. Toute autorité extérieure n'est pas reconnue, rapporte l'Unadfi. Il n'y a que la hiérarchie de dieu et du clergé. Puis, dans la famille, il n'y a que le père. Il s'agit d'une communauté fermée. Les enfants vont dans des écoles tenues par les membres de la Fraternité. Ils ne connaissent pas le monde extérieur et le seul discours qu'ils entendent sur cette pandémie est le leur." Pas vraiment en accord avec celui de la science, en l'occurrence.

La difficulté, c'est que le discours scientifique n'apporte que des réponses partielles et provisoires. Or, ce type de communautés propose une vision totale, qui répond à tout.

Samuel Le Pastier, psychiatre

à franceinfo

"Dans ce contexte de pandémie, la déception de voir que les pouvoirs publics protègent mal la population affaiblit les victimes. Chez elles, il y a un besoin de dépendance", estime le psychiatre et directeur de recherche à l'Université Paris-Diderot, Samuel Le Pastier. Ou alors, "un besoin de se raccrocher à la promesse d'un avenir plus réjouissant", analyse le Dr Marie-France Hirigoyen pour franceinfo. Cette psychiatre, autrice d'Abus de faiblesse et autres manipulations (JC Lattès, 2012)indique avoir constaté "une aggravation du profil paranoïaque" de certains patients pendant le confinement. D'où une certaine vulnérabilité et un risque d'embrigadement sur la durée.

"Ce qui m'inquiète, ce ne sont pas seulement les conséquences des discours sectaires pendant la crise sanitaire, mais que cette pandémie puisse continuer à favoriser ce type de mouvements dans les prochains mois", explique pour sa part le Dr Samuel Le Pastier.

La plupart des victimes de dérives sectaires ne présentent aucune pathologie particulière à l'origine. Ce sont des personnes tout à fait normales, peut-être un peu plus fragiles, mais il faut garder à l'esprit que nous sommes tous plus vulnérables en ce moment.

La psychiatre Marie-France Hirigoyen

à franceinfo

Parfois, le prosélytisme se veut plus incarné. Certains pasteurs pentecôtistes, dits "évangéliques", très populaires sur les réseaux sociaux, sont ainsi surveillés de près. Parmi eux, Yvan Castanou, pasteur-star d'Impact centre chrétien (ICC). Début mars, devant une assemblée de fidèles, il a exposé sa perception de la maladie assimilée à "une œuvre du diable" que seule l'Eglise serait "capable de réprimer". Son statut ferait de lui un homme qu'"aucune maladie contagieuse ne peut atteindre", assure le pasteur aux 200 000 abonnés sur YouTube, source de nombreux signalements auprès de l'Unadfi. De son côté, l'ICC n'a pas répondu aux demandes d'interview de franceinfo, ni indiqué s'il soutenait, ou non, les recommandations du pasteur Castanou.

"Certaines églises évangéliques comme celle d'Yvan Castanou commencent à avoir beaucoup d'écho dans certains quartiers. Leur parole est très écoutée", note de son côté Anne Josso. Sous la vidéo YouTube d'un de ses prêches, quelques commentaires confirment l'inquiétude de la secrétaire générale de la Miviludes. "Je viens de vivre la guérison instantanée de la grippe. Les symptômes ont disparu alors que j'écoutais attentivement ce message", témoigne par exemple une certaine Kate. 

Dans son office du 8 mars, le pasteur Castanou n'hésite pas à recommander l'imposition des mains – le fait de les poser sur quelqu'un pour le bénir  comme remède miracle contre la maladie. Il incite même ses fidèles à faire fi des mesures de distanciation afin de guérir leurs proches et leur réciter une prière de guérison. "Tu as imposé la main à ton enfant ? Ce n'est pas contagieux. Moi, je n'ai jamais été contaminé", lance notamment Yvan Castanou à l'assemblée. Avant d'enchaîner : "Ma femme a été très malade, une fois. Elle avait de la fièvre. Elle me disait 'ne me touche pas, je vais te contaminer'. Je lui ai dit 'c'est impossible, car il y a en moi une vie éternelle. Je contamine avec la vie divine'." Un tout nouveau type de pandémie.

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