"Je n'ai pas envie d'accoucher seule" : en pleine épidémie de coronavirus, les femmes enceintes angoissent
Entre les difficultés d'assurer le suivi de la grossesse et les interrogations sur les conditions de l'accouchement, les motifs d'inquiétude sont nombreux pour ces femmes qui subissent, comme le reste du pays, les conditions drastiques de confinement.
Il y a quelques semaines, Elise* aimait encore se plonger dans les livres "qui parlent d'accouchement". Mais ça, c'était avant. Avant la propagation du coronavirus en France, avant le confinement et la peur de ce satané virus. Depuis, ces ouvrages, Elise "n'arrive plus à les lire". "Je ne peux pas me projeter, ça ne correspond pas à la réalité", confie-t-elle.
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Cette habitante de Besançon (Doubs) de 28 ans doit accoucher de son premier enfant à la fin avril. L'épidémie a bouleversé son quotidien et ses attentes. "On anticipait beaucoup la fin de la grossesse, l'arrivée du bébé, et on est sorti de ce que l'on avait imaginé. Là, c'est l'inconnu." Elise parle encore de ses "cauchemars", de ses proches fragiles qu'elle ne voit plus depuis février pour les préserver, des informations "angoissantes" communiquées dans les médias. "Ce n'est pas le contexte le plus serein possible", soupire-t-elle. Un euphémisme.
Des milliers de femmes enceintes sont dans son cas. Et s'interrogent. Quels sont les risques que j'encours si je suis infectée ? Et pour le bébé ? Comment va s'organiser le suivi à l'hôpital ? Les futurs papas pourront-ils être présents à l'accouchement ? Est-ce qu'ils séparent les nouveaux-nés des mamans si je suis malade ? Ces questions tournent en boucle sur les forums, les réseaux sociaux et dans les discussions entre amies. Elles obsèdent les futures mamans qui passent d'une information rassurante à une nouvelle décourageante. Car, chaque jour, les maternités doivent s'adapter à ce nouveau contexte, et ce qui était vrai hier ne l'est peut-être plus aujourd'hui.
"Ma parano est montée progressivement"
Aurore vit elle aussi dans l'angoisse. Enceinte de son premier enfant à 32 ans, cette Parisienne est partie en congé mat' la semaine du 23 février pour un accouchement prévu en mai. "J'ai commencé à être gentiment parano, j'ai acheté deux bouteilles de gel hydroalcoolique et on s'est foutus de moi. Mais j'ai continué à vivre, je suis allée au théâtre, je suis allée me faire masser, des choses que j'ai un peu regrettées après."
Après la première allocution d'Emmanuel Macron à la télévision le 12 mars, elle se décide à ne plus sortir de chez elle. "Ma parano est montée progressivement." Aurore regrette surtout le manque d'informations concernant les femmes enceintes.
Je suis stressée, c'est clair. Je suis très frustrée que ça se passe comme ça. T'as envie de profiter et, là, c'est pas drôle du tout.
Aurore, enceinte de 8 moisà franceinfo
La jeune femme s'inquiète aussi de l'aménagement de la chambre de son enfant. "Le plus compliqué à gérer, c'est le fait que les prochaines semaines sont incertaines, il me manque plein de choses pour la chambre, ajoute-t-elle. Je sais que c'est très matériel mais tu as envie d'acheter des jolis trucs, et tu ne peux pas. Ça m'a rendue triste."
La présence du papa ? "C'est la grosse angoisse"
Il y a bien une chose qui inquiète au plus haut point celles dont le terme est prévu dans les prochaines semaines : la présence du futur papa pendant l'accouchement. "C'est la plus grosse angoisse : est-ce que mon conjoint pourra être là le jour de l'accouchement ? Pour le moment oui, mais si ça se trouve dans deux jours, ils vont changer d'avis", témoigne Elise. "Les soignants disent que le père peut encore être dans la salle de naissance mais ça peut changer et ça, ça me met en tachycardie. Accoucher toute seule, je n'ai pas envie", souffle Aurore. Emilie*, qui habite dans le Doubs et doit accoucher de son premier enfant en mai, a des nouvelles plus inquiétantes de sa maternité. "La sage-femme m'a dit 'en salle d'accouchement, ils ne veulent personne et après c'est visite de deux heures du conjoint s'il n'a pas de symptomes'." Une perspective vertigineuse. "C'est difficile à imaginer", dit-elle, espérant de tout cœur que la situation s'améliore d'ici là.
Si on continue comme ça, je vais accoucher à la maison. Ça me trotte dans la tête.
Emilie, enceinte de 8 moisà franceinfo
Exactement le genre de réflexions que Livio Guerinoni entend en ce moment dans son cabinet de Mulhouse, "surtout avec la situation que l'on connaît dans le secteur". Avec ses 110 000 habitants, la sous-préfecture du Haut-Rhin est en effet l'une des zones les plus touchées par l'épidémie. Ce gynécologue-obstétricien a l'impression d'être aussi psychologue "par moments". "Il y a des patientes qui craignent d'accoucher dans cette drôle d'ambiance, c'est à moi de les rassurer, de leur dire que tout ira bien."
"Aucun accompagnant" aux rendez-vous médicaux
Si l'accouchement n'est pas encore imminent pour ces trois futures mamans, le suivi médical ne s'arrête pas. Mais il est fortement réduit, voire arrêté dans le cas de certains examens. Car même si les femmes enceintes ne semblent pas être davantage menacées par le coronavirus, selon l'Organisation mondiale de la Santé, en France, le Haut Comité de santé publique s'inquiète pour celles qui ont entamé leur troisième trimestre et veille à ce que des mesures préventives soient mises en place. Le Collège français d'échographie fœtale recommande ainsi de "décaler si possible de plus de deux mois toutes les échographies gynécologiques non urgentes ainsi que les échographies dites de fertilité", de manière à ne maintenir que "toutes les échographies d'urgence", comme celles des premier, deuxième et troisième trimestres.
En ce moment, Livio Guerinoni passe "beaucoup de temps à décaler, reprogrammer ou annuler des rendez-vous". Pas plus tard que cette semaine, le gynécologue-obstétricien de Mulhouse (Haut-Rhin) a fait comprendre à une patiente que "sa consultation pouvait attendre quelques semaines". Pour une autre, un simple coup de téléphone a "très bien fait l'affaire."
Avant chaque rendez-vous, nous prenons soin d'appeler la patiente pour faire le point sur le motif du rendez-vous. Sil y a un caractère d'urgence, on maintient. Sinon, non.
Livio Guerinoni, gynécologue-obstétricienà franceinfo
Il doit aussi avertir les patientes qu'elles doivent désormais se rendre seules à leur rendez-vous. "Pas de papa, pas de futur papa. Personne, aucun accompagnant !, insiste le médecin. Ce n'est pas toujours bien pris mais, en expliquant les choses, tout rentre dans l'ordre." Autre aménagement, il doit aussi espacer ses rendez-vous afin que la patiente ne croise personne d'autre. "Concrètement, dans ma salle d'attente, il y a 12 chaises mais une seule est utilisée à la fois, détaille-t-il. Ça sonne vide, c'est clair."
Dans la plupart des maternités, la préparation à l'accouchement ne se déroule plus en présentiel. "Ma sage-femme m'a appelée pour me prévenir, mais elle m'a proposé de faire ça par Skype, ce qui est plutôt cool", se félicite Aurore. Emilie n'a pas cette chance. Tout est annulé. Alors, pour ne pas être prise au dépourvue, elle tente de se renseigner sur internet et fait "pas mal de yoga". Mais, ajoute-t-elle aussitôt, "c'est une déception car je voulais faire une préparation à accoucher sous hypnose". Pour les autres rendez-vous qui nécessitent des examens gynécologiques, c'est beaucoup plus compliqué.
J'ai fait l'écho du troisième trimestre hier, j'ai dû y aller seule et mon conjoint l'a suivie en vidéo sur WhatsApp.
Aurore, enceinte de 8 moisà franceinfo
Aurore devra de nouveau se rendre seule lundi à l'hôpital pour y rencontrer l'anesthésiste et faire son suivi mensuel. Emilie, quant à elle, a vu tous ses rendez-vous annulés les uns après les autres. "La gynécologue qui faisaient les échos m'a contactée pour me dire qu'elle serait fermée quinze jours, car elle a été en contact avec une personne malade." La jeune femme tente de trouver une solution. Sans succès. Elle est finalement recontactée par sa gynéco qui lui indique qu'elle est négative au test. "J'ai pu faire l'échographie du huitième mois, ça m'a détendu", sourit-elle.
Elise a été informée du report de quelques jours du suivi du huitième mois. "Je devais avoir 1h30 de battement entre le gynécologue et l'anesthésiste et là, les rendez-vous vont se suivre." En revanche, pour le neuvième mois, elle ne viendra pas à la maternité. Il faudra voir une sage-femme en ville pour éviter tout contact avec l'hôpital. Encore un problème...
Conscient des inquiétudes du moment, l'hôpital Necker à Paris a décidé de mettre en place une ligne d'écoute pour les femmes enceintes. Au bout du fil, une gynécologue qui répond à toutes les questions 24 heures sur 24. Toujours dans la capitale, mais à la Pitié-Salpétrière cette fois, deux gynécologues obstétriciens proposent des vidéos ludiques, filmées face caméra. Le dernier épisode a été vu plus de 4 000 fois.
* Les prénoms ont été modifiés à la demande des intéressées.
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