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"Il y a un sentiment de malaise" : face au coronavirus, l'inquiétude des policiers qui ne peuvent pas porter de masque sur le terrain

La France connaît une pénurie en équipements de protection et les agents des forces de l'ordre ne sont pas épargnés. Sauf cas exceptionnel, il leur est même défendu de porter un masque respiratoire lors des opérations de contrôle.

Article rédigé par Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Un policier contrôle un homme à scooter dans les rues de Paris, le 19 mars 2020, en pleine épidémie de Covid-19. (PHILIPPE LOPEZ / AFP)

Le ton monte dans les rangs de la police. Une fois de plus, durant cette épidémie de coronavirus, c'est la question des masques de protection qui est au cœur des préoccupations. Plusieurs organisations syndicales dénoncent l'interdiction qui est faite aux agents de porter des protections lors des contrôles menés dans le cadre des mesures de confinement entrées en vigueur mardi 17 mars. Ainsi, France Télévisions a pu obtenir une vidéo d'instructions demandant "à tous les effectifs sur le terrain de retirer les masques de protection."

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Dans toute la France, la consigne est passée de ne pas utiliser de masques, sauf lorsque la personne contrôlée présente des symptômes ou déclare être malade. La Direction départementale de la sécurité publique des Yvelines écrit notamment qu'il est "proscrit de porter le masque sur la voie publique ou à l'accueil du public".

Cette situation interpelle une partie des agents, qui craignent pour leur sécurité et celle de leurs familles. Durant les opérations, la distance d'un mètre est "impossible à tenir", rappelle l'Unsa Police. Le syndicat estime que l'usage du masque sur ce type d'opération doit être "systématique" et lance même un "ultimatum" au ministère de l'Intérieur. "Si l'administration ne donne pas instruction, il recommandera de ne plus contrôler et de ne plus verbaliser". Même avertissement du côté d'Alternative Police-CFDT, qui entend "stopper toute patrouille véhiculée et/ou mission imposant un contact de proximité" en l'absence d'équipements.

"Il va falloir tenir avec les stocks"

Le Grand Est est particulièrement concerné par l'épidémie. Dans ce contexte, la préfecture régionale a rappelé quelques règles aux 18 directeurs départementaux de la sécurité publique, mercredi. Les policiers ont reçu l'interdiction de porter des masques FFP2, lesquels sont "réservés aux professionnels de santé", selon ce document consulté par franceinfo, y compris lorsque des stocks sont disponibles, même périmés. Concernant les masques chirurgicaux (anti-projections), il est demandé aux fonctionnaires de les utiliser de "manière très parcimonieuse", uniquement au contact de personnes malades ou présentant un risque.

L'épidémie n'est pas encore passée et il va falloir tenir avec les stocks dont nous disposons.

Courrier de la préfecture de la région Grand Est

consulté par franceinfo

"Les collègues ne peuvent pas l'entendre quand ils voient les collègues des pays frontaliers équipés, résume Denis Jacob, représentant Alternative Police-CFDT. Cela fait depuis le 26 février que j'alerte les autorités, quand la PAF intervenait à la frontière italienne dans des cars confinés". Le syndicat a d'ailleurs lancé un appel pour faire valoir le droit de "mise en attente opérationnelle". Les agents ne doivent pas aller "au contact des populations tant qu'ils n'ont pas de matériel nécessaire”, estime Denis Jacob, "afin de se protéger eux et leur famille”.

Pourquoi ne sommes-nous pas en capacité d'équiper les agents de l'Etat, policiers, policiers municipaux, douaniers, pompiers, Protection civile ?

Denis Jacob, secrétaire général d'Alternative Police-CFDT

à franceinfo

Plus largement, les policiers redoutent d'être eux-mêmes des relais de la propagation. "Ce qui n'est pas pris en compte, c'est qu'un fonctionnaire de police peut être vecteur de transmission quand il entre en contact avec une personne lors d'un contrôle", résume Thierry Clair, secrétaire national de l'Unsa-Police. Et les consignes sont parfois ubuesques. "J'avais un collègue qui n'avait qu'un seul masque dans le kit de sa voiture d'intervention. La consigne, s'il était face à plusieurs personnes qui se déclaraient positives, c'était d'appeler un équipage de commandement pour amener d'autres masques".

Il y a un sentiment de malaise. Si un fonctionnaire met un masque, c'est qu'il sent le besoin de se protéger. On ne peut pas envoyer des gens au charbon sans protection.

Thierry Clair, secrétaire national du syndicat Unsa Police

à franceinfo

Plusieurs syndicats, comme SGP-Police, ont pour leur part appelé au droit d'alerte pour "danger grave et imminent" (DGI), Alliance réclamant également le "port du masque à discrétion de l'agent et non au bon vouloir de la hiérarchie". Au niveau local, certains ont déjà passé la deuxième. Pour assurer "leur sécurité et celle de leur famille", des agents de la CRS autoroutière de Rhône-Alpes Auvergne ont ainsi fait valoir leur droit de mise en attente opérationnelle, pour dénoncer l'absence de matériels de protection individuels, notamment de masques de type FFP2.

Les syndicats ont réaffirmé leurs demandes lors d'une visioconférence avec la Direction générale de la police nationale (DGPN), organisée jeudi après-midi. A l'heure actuelle, 307 000 masques sont mis à disposition pour les situations d'exception lors des contrôles, en plus des stocks locaux. La question de l'usage des masques devrait être remontée prochainement au ministère de l'Intérieur.

Par ailleurs, Beauvau a passé un appel d'offres pour prendre le relais futur des commandes réalisées en urgence. Celui-ci prévoit l'acquisition d'au moins deux millions de masques et d'1,5 million de litres de gel hydroalcoolique pour les forces de l'ordre.

[Les masques] sont pour le moment réquisitionnés par le ministère chargé de la Santé mais cet accord cadre d'une durée d'un an va pouvoir permettre à moyen terme au ministère de l'Intérieur de reconstituer ses stocks.

ministère de l'Intérieur

à franceinfo

La situation pourrait devenir handicapante à terme dans les rangs de la police. De source syndicale, la DGPN a comptabilisé 84 cas positifs, 5 184 collègues en confinement et 5 177 en autorisation spéciale d'absence. Pour Thierry Clair, il y a urgence car des cas de contaminations commencent à être signalés parmi les agents. "Si on ne prend pas de précautions et qu'on se retrouve dans un système ou énormement policiers sont contaminés, qui va assurer les missions ?"

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