"Et dire qu'on doit tenir 14 jours" : des habitants de Codogno racontent la vie en quarantaine à cause du coronavirus
Cette petite ville de Lombardie est considérée comme le principal foyer de l'épidémie en Italie. Ses 15 000 habitants ont été placés à l'isolement.
Même elle. Même la traditionnelle messe dominicale a été annulée à Codogno. "C'est signe que ça ne va vraiment pas fort", fait remarquer, un brin interloqué, Roberto Cighetti, qui habite tout près de l'église. Inconnue jusque-là, la ville de Lombardie fait les gros titres des journaux depuis que les autorités italiennes l'ont placée en quarantaine, samedi 22 février. Une mesure prise après la mort, à quelques heures d'intervalles, de trois patients atteints par le coronavirus Covid-19, dans le nord de l'Italie.
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Roberto Cighetti et les 15 000 habitants de Codogno ont en effet interdiction de quitter la ville, "sauf dérogation particulière". Pour s'en assurer, des policiers font des rondes au niveau des entrées et des sorties. Gare aux contrevenants : le décret-loi prévoit des sanctions pouvant aller jusqu'à trois mois de réclusion. Et le Premier ministre Giuseppe Conte a même prévenu qu'il enverrait l'armée si besoin.
Sur son site internet (en italien), la mairie de Codogno a ainsi créé un onglet "Allerte Sanitaraia" vers lequel les internautes sont automatiquement redirigés en naviguant. Des panneaux lumineux passent ce message suivant : "La population est invitée à rester chez elle, par mesure de précaution."
Des rues désertes, les commerces fermés
La petite ville, située à 60 kilomètres au sud de Milan, n'est pas la seule à vivre actuellement au ralenti. Une dizaine de communes alentours ont aussi été mises en quarantaine. Au total, 52 000 personnes sont priées de rester chez elles, soit l'équivalent d'une ville comme Vannes (Morbihan), Arles (Bouches-du-Rhône), Fréjus (Var) ou Bobigny (Seine-Saint-Denis). Mais c'est bien vers Codogno que tous les regards se tournent. Et pour cause : Casalpusterlengo, une petite commune aux portes de Codogno, est considéré comme "l'épicentre du foyer" d'épidémie détecté.
En effet, la localité héberge un site de la multinationale Unilever où travaille le cadre de 38 ans, considéré comme le "patient 1", qui a déclenché l'épidémie dans la région. Sa femme enceinte de 8 mois est contaminée, ainsi qu'un ami avec lequel il jouait au foot, des habitués d'un bar appartenant à la famille de cet ami, des médecins qui l'ont soigné et des patients de l'hôpital de Codogno où il se trouvait de mercredi à samedi.
Si les personnes n'ont pas le droit de quitter la ville, elles peuvent en revanche circuler normalement dans les rues. Mais encore faut-il trouver où aller : "Tout est fermé, constate Roberto. Les bars, les restaurants, la mairie, les bibliothèques, les écoles... Vous ne trouvez rien d'ouvert."
En me promenant dimanche matin, je n'ai pas croisé grand monde. On dirait une ville-fantôme, je n'ai jamais vu ça...
Roberto Cighettià franceinfo
Les festivités, sportives et culturelles, ont toutes été annulées. Un rassemblement de passionnés de modélisme agricole, qui devait avoir lieu dimanche à Codogno, se tiendra finalement un autre jour : les organisateurs ont écrit en gros "annullato" sur leur page Facebook. Quant au stade communal Molinari, il n'a pas accueilli comme prévu la rencontre de football entre les locaux du RC Codogno et les visiteurs de Zingonia Verdellino. "Reporté", peut-on lire.
Une situation "irréelle"
Roberto Cighetti a lui aussi annulé toutes ses sorties, dont un déplacement à Naples. De toute façon, les trains de la société privée Trenord ne s'arrêtent plus en gare. A la place, le trentenaire s'occupe du jardin, du poulailler et de ses chats. Surtout, il passe beaucoup de temps au téléphone pour rassurer ses proches, "souvent plus inquiets que [lui]". Il reconnaît juste avoir mis plusieurs heures avant de prendre vraiment conscience que le fameux virus venait de toquer à la porte de sa ville. "Quand j'ai lu coronavirus et Codogno, je me suis dit : 'Mais c'est irréel !'", raconte ce professeur en sciences et en anatomie dans un lycée.
Je connais des gens qui ont effectué des tests pour savoir s'ils étaient positifs.
Roberto Cighettià franceinfo
Il ne veut pourtant pas céder à la panique, il n'a pas acheté de masque de protection par exemple. "J'ai quelques médecins dans mon entourage, explique-t-il. Leur analyse de la situation m'évite de tomber dans la paranoïa comme certains." Des habitants se ruent en effet vers les pharmacies et les supermarchés, seules enseignes à être autorisées à ouvrir. "Mon grand-père est allé faire des courses dans un centre commercial à Casalpusterlengo, une commune tout près d'ici. Pour limiter les contacts, un système de sas a été mis en place. C'est par groupe de 50 que les clients pouvaient rentrer", rapporte Roberto Cighetti. Pour savoir où trouver à manger, d'autres s'informent sur une page Facebook. Ainsi, un certain Giovanni souhaiterait savoir "quels supermarchés de Codogno sont ouverts".
Des nouvelles grâce à WhatsApp
Le manque de vivres, c'est justement ce qui commence à inquiéter Angela Terramea. "Les stocks de légumes, de salade et de lait s'épuisent", explique cette Italienne de 32 ans, qui n'a pas vu la lumière du jour depuis vendredi. "Et dire qu'on doit tenir comme ça 14 jours, dit-elle, déjà fatiguée par la situation après seulement 24 heures de quarantaine. Nous avons de la nourriture pour quelques jours mais je ne sais pas si les supermarchés resteront longtemps ouverts."
Lorsque franceinfo l'a jointe dimanche midi, Angela Terramea ne cachait pas son inquiétude. "Les autorités essaient de limiter la diffusion du virus, c'est très bien. Mais quand on voit que le nombre de cas n'arrête pas d'augmenter, ça fait peur", lâche-t-elle, quelques trémolos dans la voix. Elle a rangé deux boîtes de masques quelque part, dans son appartement situé Viale Trieste. Pour tuer le temps, elle regarde la télé, joue aux cartes avec sa mère, fait le ménage et surveille les rues désertes par la fenêtre. Elle prend aussi régulièrement des nouvelles de ses voisins de quartier... en leur écrivant sur WhatsApp.
Angela Terramea et Roberto Cighetti n'iront pas au travail lundi, ni les autres jours à venir. Pour elle, un remplaçant a été trouvé. Quant à lui, il réfléchit à préparer des vidéos qu'il pourrait donner à ses élèves, histoire qu'ils ne perdent pas la main. "Surtout si ça doit durer plus longtemps que prévu."
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