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Epidémie de Covid-19 en Inde : trois signes qui montrent que le Premier ministre est rattrapé par sa gestion de la crise sanitaire

Plus de 226 000 morts et plus de 20 millions de cas ont officiellement été recensés dans le pays. Cette flambée de la pandémie qui asphyxie le système de santé fragilise le pouvoir.

Article rédigé par franceinfo
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Des bouteilles d'oxygène sont chargées sur un camion à destination des hôpitaux à Bangalore, dans le sud de l'Inde, le 5 mai 2021. (MANJUNATH KIRAN / AFP)

Les images de corps de victimes de l'épidémie de Covid-19 en Inde, en train de brûler sur des bûchers de jour comme de nuit, ont fait le tour du monde. D'autres scènes ont également frappé les esprits. Celles des files d'attente d'Indiens, tentant d'acheter de précieuses bouteilles d'oxygène. Ou celles d'hôpitaux saturés, peinant à sauver les malades les plus gravements atteints.

Ces séquences dramatiques accentuent la pression sur le Premier ministre indien, le nationaliste hindou Narendra Modi, alors que l'épidémie flambe dans ce pays de 1,37 milliard d'habitants qu'il dirige depuis sept ans. Le virus y a déjà contaminé plus de 20 millions de personnes et fait plus de 226 000 morts, selon les chiffres officiels. Cette flambée épidémique s'accélère encore, avec plus de 3 500 décès et plus de 378 000 tests positifs comptabilisés par jour en moyenne.

Voici trois signes qui révèlent combien le chef du gouvernement est affaibli par sa gestion critiquée de la crise sanitaire. 

Un mécontement manifesté (et censuré) sur les réseaux sociaux

Une avalanche de messages critiques à l'égard du pouvoir indien a déferlé sur les réseaux sociaux. Cet internaute indien, qui affiche ses sympathies pour le parti du Congrès, dans l'opposition, résumait mardi 4 mai l'état d'esprit de nombreux habitants. L'homme liste "cinq problèmes" : le manque d'"oxygène", le manque de "lits d'hôpitaux", la "hausse des morts", la "pénurie de médicaments" et le "manque de vaccins". Il en pointait la "seule raison", selon lui : le Premier ministre Narendra "Modi".

De quoi irriter l'exécutif au point que Narendra Modi, pour mettre fin à cet échauffement des esprits, a demandé et obtenu fin avril la suppression de tweets le mettant en cause. Twitter a confirmé avoir supprimé, à la requête des autorités indiennes, des dizaines de tweets critiquant l'incapacité du gouvernement à répondre à l'urgence sanitaire. Pour faire taire les critiques, une plainte a même été déposée contre une personne qui avait tweeté pour demander de l'oxygène pour son grand-père.

La méthode n'est pas nouvelle. Confrontée depuis des mois à une fronde d'agriculteurs mécontents de la libéralisation des prix, le gouvernement de Narendra Modi a déjà demandé à Twitter de bloquer 250 comptes d'abonnés indiens, au motif qu'ils représentaient une "grave menace pour l'ordre public". Parmi ces comptes : ceux de militants et représentants syndicaux d'agriculteurs, des dirigeants de l'opposition, d'un acteur et enfin du magazine The Caravan, dont un journaliste avait été arrêté. Au classement de Reporters sans frontières sur la liberté de la presse, l'Inde est classée 142e pays sur 180, juste devant le Mexique.

Un revers pour le parti au pouvoir aux élections régionales

Autre signe de ce mécontentement : le revers infligé au parti nationaliste hindou du Premier ministre, le Bharatiya Janata Party (BJP), dans le Bengale-Occidental, lors des élections régionales qui se tenaient jusqu'à dimanche dans cinq régions totalisant 175 millions d'habitants. Le BJP n'avait pourtant pas lésiné sur les moyens pour décrocher la victoire dans cet Etat-clé de 90 millions d'habitants. Narendra Modi et son proche collaborateur Amit Shah avaient ainsi fait activement campagne pendant des semaines pour tenter de ravir le pouvoir à Mamata Banerjee, la femme qui dirige l'Etat depuis 2011.

A l'arrivée, c'est un échec. Mamata Banerjee, qui avait fait notamment campagne sur la crise sanitaire, est en route vers un troisième mandat. "Ma première priorité sera de lutter contre la pandémie de Covid-19", a-t-elle proclamé. Comme le montre cette vidéo de France 24, elle a aussi souligné que même si sa victoire était "écrasante, la prestation de serment se fera[it] en petit comité à cause du virus", mettant ainsi l'accent sur les précautions sanitaires.

Car pendant la campagne électorale au Bengale-Occidental, le parti de Narendra Modi a pris le risque, malgré la crise sanitaire, d'organiser des dizaines de rassemblements, qui ont réuni jusqu'à des centaines de milliers de personnes. Des épidémiologistes ont estimé que ces meetings, tout comme l'autorisation donnée au pélerinage hindouiste du Kumbh Mela de se tenir en janvier dans le nord de l'Inde, ont pu jouer un rôle dans la nouvelle vague de l'épidémie qui dévaste le pays.  

Une classe moyenne frappée de plein fouet

Dernier signe de fragilisation du pouvoir nationaliste : la classe moyenne, celle qui a porté au pouvoir Narendra Modi, est ébranlée. Elle est victime, elle aussi, de la vétusté des hôpitaux incapables de répondre à l'ampleur prise par l'épidémie.  

"Pour la première fois, la classe moyenne, l'élite indienne, est touchée de plein fouet."

Christophe Jaffrelot, spécialiste de l'Inde

à franceinfo

"L'Inde n'a jamais consacré plus de 4% de son budget à la santé publique. Les hôpitaux sont depuis très longtemps les parents pauvres de l'Etat indien. Et lorsqu'on a vu se développer des hôpitaux, ça a été pour l'essentiel des hôpitaux privés, qui, et c'est là la nouveauté, sont eux aussi touchés par la crise", analysait Christophe Jaffrelot, spécialiste de l'Inde et directeur de recherches au CNRS et au Centre de recherches internationales de Sciences Po, interrogé par franceinfo fin avril.

"La première vague avait jeté sur les routes des millions de travailleurs migrants. Les victimes de la première vague, c'étaient les pauvres. Cette fois-ci, tout le monde est touché. Les pauvres sont partis avant d'attendre un nouveau confinement. Et dans les villes, reste une classe moyenne qui fait la dure expérience de l'absence d'accès aux soins". 

Narendra Modi a cependant encore du temps devant lui pour tenter de faire oublier la crise sanitaire et sa gestion critiquée. Les prochaines élections législatives ne se dérouleront qu'en 2024.

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