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Dîners clandestins ou soirées privées entre amis ? On vous explique comment la loi les distingue

L'ouverture d'une enquête pénale après la diffusion d'un reportage de M6 sur de possibles luxueux dîners clandestins organisés à Paris pose la question de la limite juridique entre les soirées privées entre amis et les dîners clandestins.

Article rédigé par franceinfo - Paolo Philippe
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
La table d'un restaurant à Paris, le 24 novembre 2020 pendant le deuxième confinement. (QUENTIN DE GROEVE / HANS LUCAS / AFP)

"Un énorme poisson d'avril." Voilà comment Pierre-Jean Chalençon a qualifié, mardi 6 avril sur BFMTV, l'affaire dans laquelle son nom est apparu. Ce collectionneur d'art est mis en cause depuis vendredi par un reportage de M6 pour l'organisation supposée de dîners clandestins, en pleine pandémie de Covid-19 et alors que tous les restaurants sont fermés. La présence de membres du gouvernement à ce type de soirées a été évoquée (et démentie) dans un premier temps, avant que l'intéressé ne se rétracte.

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Propriétaire du palais Vivienne, à Paris, Pierre-Jean Chalençon est présenté comme l'organisateur d'un repas, avec le restaurateur Christophe Leroy, le 1er avril, dans cet ancien hôtel particulier aujourd'hui dédié à l'événementiel, et que franceinfo a pu identifier. Le reportage de M6 décrit "une quarantaine de convives, sans masque" et des dîners dont les menus affichent une addition à plusieurs centaines d'euros. Le procureur de Paris Rémy Heitz a ouvert une enquête pénale, dimanche, pour "mise en danger d'autrui" et "travail dissimulé".

La jauge de six personnes en question

Si Pierre-Jean Chalençon est poursuivi, la question du cadre légal dans lequel s'inscrivent ces dîners se pose. Interrogé par M6, le collectionneur a invoqué le droit de chacun à recevoir qui il veut chez lui. Il clame ainsi "qu'on est encore en démocratie et qu'on peut faire ce qu'on veut". Sauf qu'en cette période d'état d'urgence sanitaire, certaines mesures ont été prises.

Ainsi, dans un cadre privé, le gouvernement recommande de ne pas se rassembler à plus de six personnes, mais il n'a aucun moyen juridique d'interdire ces rassemblements comme il peut le faire à l'extérieur. Un domicile privé est protégé par la loi : la police ne peut verbaliser quelqu'un chez lui qu'en cas de délit, de crime ou sur demande d'un juge. Le dîner entre amis peut cependant devenir un "dîner clandestin" s'il est question d'une activité commerciale, avec des entrées ou repas payants pour les convives et un travail dissimulé pour le personnel.

Ainsi, Pierre-Jean Chalençon "fait ce qu'il veut dans le cadre de sa vie privée, mais pas dans le cadre d'une opération commerciale", résume Pierre Ballochi, avocat exerçant en droit des sociétés au barreau de Strasbourg. Celui-ci souligne toutefois que "la vocation de son partenariat avec Christophe Leroy, ce n'est pas une soirée entre amis". Si l'on en croit le reportage de M6, "il y a une vocation commerciale, avec des menus, des tarifs. En ce sens, l'activité qu'il réalise s'apparente à un établissement qui reçoit du public."

L'argent, élément déterminant

Or, la plupart des établissements recevant du public (ERP), en particulier les restaurants, sont visés par des mesures de fermetures en raison de l'épidémie de Covid-19. L'enquête aura donc à déterminer si le palais Vivienne est considéré comme un ERP, ou comme un domicile privé. Cette nuance sera en effet déterminante.

"Moralement, c'est tout aussi condamnable. D'un point de vue sanitaire, c'est tout aussi dangereux. Mais juridiquement, il y a une vraie différence."

Nicolas Hervieu, juriste en droit public

à franceinfo

Pour Nicolas Hervieu, "dès lors qu'il y a de l'argent, on n'est plus dans la soirée privée relevant de la protection du domicile et de la vie privée, contre laquelle l'état d'urgence ne peut rien."

La frontière juridique entre soirée entre amis et restaurant clandestin s'établit sur deux autres critères : la prestation et le travail exercé. "La vraie distinction juridique, c'est de savoir si vous avez invité quelqu'un à régler pour la prestation. Vous êtes dans un restaurant clandestin si vous sollicitez quelqu'un à payer et dans une soirée privée si vous ne demandez pas de prestation", détaille Nicolas Hervieu, juriste en droit public et enseignant à Sciences Po et à l'université d'Evry.

La notion de "travail dissimulé", retenue dans l'enquête ouverte par le procureur, permet aussi d'établir une limite entre soirées privées et dîners clandestins. Selon Nicolas Hervieu, l'organisation de dîners tarifés représente une "activité en dehors des règles, une activité économique occulte". "Pour pouvoir servir des convives contre rémunération, vous faites appel à des serveurs", dont l'activité s'apparente à une "activité non déclarée", puisqu'en dehors du cadre légal, ajoute Nicolas Hervieu.

Des sanctions pénales encourues

Les sanctions aussi diffèrent. Dans la sphère privée, "aucun texte ne permet de sanctionner quelqu'un pour ne pas avoir respecté les gestes barrières ou avoir accueilli plus de six personnes chez lui", souligne le juriste. Seule une amende de 68 euros pour tapage (nocturne ou diurne) peut être infligée par la police, alors que les sanctions pour non-respect du couvre-feu ne peuvent s'appliquer qu'en dehors du domicile privé.

Les dîners clandestins et autres activités commerciales organisées au mépris des règles instaurées dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire peuvent, en revanche, donner lieu à d'autres sanctions. Les participants risquent deux amendes de 135 euros si le couvre-feu n'est pas respecté ou qu'ils ne portent pas de masque. Les organisateurs encourent des sanctions pénales et administratives.

Dans l'affaire révélée par M6, le caractère de "mise en danger d'autrui" reste toutefois entouré d'un certain flou, selon Nicolas Hervieu. "La mise en danger d'autrui, c'est très fragile, car le non-respect des gestes barrières n'entraîne pas directement et immédiatement un risque de mort au sens où l'entend le code pénal."

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