: Reportage Les masques tombent et les premiers baisers s'échangent : une nuit dans une discothèque bretonne, où la fête était enfin de retour
Ils ont été nombreux à célébrer, ce week-end en France, la réouverture des boîtes de nuit après des mois de fermeture à cause du Covid-19. Au Malvern, l'occasion était encore plus spéciale puisque la discothèque du Morbihan n'avait pas accueilli de public depuis... 11 ans.
Elle en a fait une histoire personnelle. "Moi qui avais l'habitude de beaucoup sortir, je me suis juré d'être là le soir où les boîtes de nuit rouvriront", confie Lucie, vendredi 9 juillet, devant l'entrée du Malvern, à Arzon (Morbihan). A 23 ans, cette étudiante en communication a passé l'âge d'être recalée pour son jeune âge, mais un frisson la saisit : va-t-elle obtenir un pass sanitaire, le sésame indispensable pour célébrer le réveil des discothèques ?
Il est 21 heures, horaire annoncé du coup d'envoi de la soirée, et le gérant du Malvern demande à ses troupes de retarder l'ouverture. En début d'après-midi, Brice Bonnot a appris que la société qui devait réaliser des tests antigéniques devant l'entrée ne viendrait pas, contrainte d'annuler ses prestations dans tout le pays en raison d'une "difficulté" juridique. En catastrophe, le patron de boîte vient de dévaliser une pharmacie voisine et de recruter une infirmière, assistée de quatre étudiantes. "On ne pourra pas faire la moitié des tests qu'on avait espérés", déplore-t-il en bricolant le dispositif sous un barnum.
Lucie a appris la nouvelle sur les réseaux sociaux. N'ayant reçu sa deuxième dose de vaccin que deux jours plus tôt (et non 14, le délai nécessaire pour le pass sanitaire), il lui faut absolument ce test. Elle est arrivée la première, avec plus d'une heure d'avance. Après avoir goûté les joies des chatouilles de l'écouvillon, elle va découvrir le Malvern. "Cette boîte, mon père et des amis m'en parlent depuis des années."
Le retour de la légende
Dès son inauguration en 1993, le Malvern est devenu un lieu mythique de la presqu'île de Rhuys, ce bras de terre qui sépare le golfe du Morbihan et la baie de Quiberon. "Des gens venaient de Rennes et de Nantes, c'était la grande époque", se souviennent Emmanuel et Solen, en attendant leur test. Ces deux amis de 40 et 41 ans gardent en mémoire des soirées "délirantes" en bottes et maillot de bain. "Il y avait encore des slows, et plein de vacancières", revit avec gourmandise Emmanuel, en mémoire d'un temps où "les applications de rencontre n'existaient pas".
A la fin des années 2000, le Malvern a fait les frais de la désaffection pour les boîtes de nuit, qui ont vu leur nombre plonger de moitié en 30 ans, selon une étude de la Sacem de 2014. Le renforcement des contrôles routiers et l'interdiction de fumer à l'intérieur ont accéléré la chute et l'établissement a fermé ses portes en 2010.
Onze ans plus tard, cette discothèque cathédrale aux murs de pierre brute et aux décors de bois et de fer revient au monde grâce au retour au pays du fils prodigue, Brice Bonnot. Initié aux métiers de la nuit au Malvern, cet enfant d'Arzon est parti faire carrière à Paris, puis au Maroc, où il a été à la tête du Theatro de Marrakech, "la plus grosse discothèque d'Afrique". Secoué par la pandémie, il a décidé de rentrer avec femme et enfant pour "reprendre [son] établissement de cœur". Ce vendredi soir, sa mère, restée à Arzon, est la première à passer les portes.
Des fêtards "remontés comme des pendules"
A l'accueil, Christine tient le vestiaire. Cette coach sportive de 52 ans, devenue caissière au Monoprix d'Auray pendant la crise, a été recrutée pour l'été. "Brice voulait quelqu'un de dynamique et de plus âgé que le reste du personnel", explique cette blonde en minishort, prête à carburer aux fruits secs et à la chicorée toute la nuit.
Tout aussi ravi d'être là, le benjamin de l'équipe de 25 personnes, Augustin, 19 ans, a été affecté au bar de l'étage, où une mezzanine domine les deux salles de danse. Ce jeune diplômé d'un bac professionnel commerce à Paris est fier de prendre part au redémarrage des discothèques.
"La fête permet de briser les barrières entre les gens. Quand on s'amuse et on danse, il n'y a plus de riches ou de pauvres."
Augustin, barman au Malvernà franceinfo
Durant cette année "difficile", Augustin reconnaît avoir bravé le couvre-feu pour aller faire la fête chez des amis ou dans des soirées clandestines. Un besoin pour ce banlieusard, qui dit avoir souffert du jugement de certains de ses camarades de cours des beaux quartiers parisiens sur ses vêtements ou son parler. "En soirée, tout ça sautait", assure-t-il.
Aux platines de la salle underground, le DJ Firze, Firass de son prénom, brûle de voir les premiers danseurs arriver. "C'est un peu ma rentrée, après une période très compliquée et un passage au RSA", décrit cet autre Parisien, habitué des étés sur la côte huppée morbihannaise. "Je me demande à quoi vont ressembler ces soirées de retour en boîte : est-ce que le 'warm-up' initial de mise en route ne va pas vite sauter, pour basculer dans le vif du sujet, tant les gens sont remontés comme des pendules ?"
"Le soir que tout le monde attend"
Sous la tente blanche plantée à l'extérieur, les soignantes en blouse jetable enchaînent les tests de dépistage. "On se croirait dans un camp de réfugiés ou dans un sas après un naufrage, alors que le but n'est que d'entrer en boîte", se pince Emmanuel, avant d'immortaliser en selfie cette virée qui fera date.
Plus tôt dans la journée, l'Elysée a annoncé qu'Emmanuel Macron prononcerait une allocution, lundi soir, où de nouvelles restrictions sanitaires pourraient être officialisées. L'ombre d'une nouvelle fermeture des discothèques plane déjà.
"Profitons de ce week-end, qui ne sera peut-être qu'une petite parenthèse enchantée."
Emmanuel, client du Malvernà franceinfo
Venus de Vannes, à 35 km de là, pour vivre "le soir que tout le monde attend", Benoît et Corentin sont parmi les derniers à profiter du stock de 150 tests proposés à 5 euros par le Malvern. "C'est encore plus compliqué de rentrer en boîte que quand on était mineurs", s'amusent les deux complices de 19 ans.
Une fois la carte Vitale rangée et le pass sanitaire présenté, la vie en boîte de nuit ressemble à une étrange plongée dans le monde d'avant. Le masque des clients tombe, des bises claquent et les premiers baisers s'échangent. "Est-ce qu'on a des amoureux ce soir ?", lance le DJ de la salle généraliste, Nicky Lorenz, sur un extrait de (I've Had) The Time of My Life, du film Dirty Dancing. Des corps se frôlent et des fêtards s'aventurent dans d'étroites cages surélevées au milieu de la piste. "C'est la liberté retrouvée", s'enthousiasme Cécile, 47 ans, redescendue d'une cage, comme dans sa jeunesse au Malvern.
Le sens de la fête
Au fil de la nuit, dans un décor mêlant mythologie celte et labyrinthe à la Fort Boyard, les tubes s'enchaînent. Après Take On Me ou She's a Maniac, les éternels Partenaire particulier et Ça (c'est vraiment toi) sont repris à tue-tête par plusieurs générations, sous une pluie de confettis déclenchée par le "light jockey". "C'est incroyable", s'extasie Antoine, 22 ans, sorti des bras de sa conquête du soir.
"Cette ambiance de communion, tu ne pourras jamais la trouver ailleurs qu'en boîte."
Antoine, client du Malvernà franceinfo
La plupart des jeunes clients disent avoir continué à faire la fête durant l'année. "Notre vie, c'est bosser et faire la fête le week-end, on ne peut pas faire sans", poursuit Antoine, employé d'une maison de fumage de saumon à Arzon. "La fête, c'est se vider la tête, ne penser à rien", savoure Lucie, l'étudiante arrivée de bonne heure. "Dès que je ne fais rien, je pense trop, poursuit-elle. J'ai fait beaucoup de crises d'angoisse pendant le premier confinement. J'en suis sortie avec un psy mais, là, avec la musique à fond, ça va encore mieux."
Cette nuit en discothèque marque "un renouveau", clame même Léa, 21 ans, qui a fait près d'une heure et demie de route depuis Lorient dans un minibus loué avec sa bande. Si "les prix en boîte sont toujours aussi chers", comme s'en étouffe son petit ami Baptiste, "les gens sont beaucoup plus sociables qu'avant", assure la jeune étudiante rennaise en psychologie.
"Le contact avec les gens nous avait tellement manqué. Il y avait quelque chose de spécial, ce soir."
Léa, cliente du Malvernà franceinfo
A 4h45, les lumières blanches s'allument et révèlent l'intemporel teint blafard du fêtard à la fermeture. Environ 400 personnes auront assisté à cette soirée de reprise, soit un taux de remplissage inférieur à 60%. Pas assez pour être rentable mais suffisant pour être "heureux", selon le patron. A la porte, Brice Bonnot endosse sa casquette de grand frère responsable et traque les yeux trop globuleux de ceux qui envisagent de prendre le volant. "T'es bourré comme un coing, va dormir avant", ordonne-t-il à l'un d'eux.
Dans la salle, après Les Lacs du Connemara, résonne un ultime titre, pour d'ultimes étreintes : Ce rêve bleu. Ambiance Disney, avant le retour sur terre et les annonces présidentielles de lundi soir.
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