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Covid-19 : pourquoi le pic de contamination de la septième vague est si difficile à prévoir

Les freins sont multiples. Surtout, selon un épidémiologiste, aucun scénario n'aurait encore été établi à ce jour en France pour la nouvelle montée épidémique liée aux nouveaux variants BA.4 et BA.5.

Article rédigé par Mathieu Lehot-Couette, Louis San
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Une femme fait un test PCR sous une tente déployée devant une pharmacie parisienne, le 28 juin 2022. (MYRIAM TIRLER / HANS LUCAS / AFP)

Elle était attendue. Une septième vague de Covid-19 frappe la France.
Le président du Conseil scientifique, Jean-François Delfraissy, a estimé, jeudi 30 juin, que le pic épidémique lié à cette nouvelle vague arriverait à la fin juillet. Une estimation sensiblement différente de celle qu'il avait avancée douze jours auparavant, lorsqu'il la prévoyait pour "fin juin ou début juillet". Alors que les inquiétudes croissent sur un été perturbé par ce reflux pandémique, franceinfo explique pourquoi il est si difficile de prévoir le pic de cette vague.

Parce qu'il n'existe pas de projections pour cette vague

Samuel Alizon, directeur de recherche au CNRS, rappelle à franceinfo que "personne ne peut prévoir le futur" et que les spécialistes ne peuvent qu'élaborer "des scénarios pour capturer le champ des possibles". Il souligne que cela a été fait avec succès, en France, pour la vague liée au sous-variant BA.2, qui a sévi en mars. Mais en réalité, aucun scénario n'aurait encore été établi à ce jour pour la nouvelle montée épidémique liée aux nouveaux variants BA.4 et BA.5, explique à franceinfo l'épidémiologiste Mircea Sofonea, qui travaille avec Samuel Alizon au sein de l'équipe ETE, à Montpellier. 

"Il s'agit de la première vague en France pour laquelle nous n'avons pas de projection."

Mircea Sofonea, épidémiologiste

à franceinfo

Cette équipe est l'un des centres de recherche français les plus en pointe depuis le début de la pandémie. Jusqu'à encore récemment, ETE publiait régulièrement des modélisations à partir des données hospitalières afin d'anticiper la date et la hauteur des pics épidémiques de Sars-CoV-2 en France. Mais ce travail n'a pas été effectué pour cette septième vague. Les chercheurs regrettent un manque de moyens. "Je passe une partie importante de mon temps à répondre à des appels à projets pour obtenir simplement les moyens de faire de la recherche", regrette Mircea Sofonea, qui affirme avoir essuyé plusieurs refus ces derniers mois auprès d'organismes comme l'Agence nationale de la recherche, qui finance les recherches publiques en France.

Samuel Alizon juge lui aussi que "la principale difficulté actuelle" concernant les projections de la septième vague réside dans "le manque de soutien matériel pour nos équipes et le désintérêt des autorités". "Seule la Région Occitanie et l'université de Montpellier ont soutenu notre travail constant de projection des besoins hospitaliers", précise Mircea Sofonea.

L'absence de données fiables, locales et actualisées est également mise en cause. “La dernière étude que nous avons en France sur les lieux et les circonstances de contamination, menée par l'équipe d'Arnaud Fontanet à l'Institut Pasteur, date d'août 2021. Or depuis, le contexte sanitaire – variants, mesures et comportements – a changé", s'alarme Mircea Sofonea.

De son côté, l'Ecole des hautes études en santé publique (EHESP) explique à franceinfo "qu'aucune projection ayant vocation à être rendue publique n'est réalisée pour le moment" par ses épidémiologistes. A l'Inserm, "on continue à y travailler mais à ce stade la situation ne nous permet pas d'avoir des projections", reconnaît la directrice de recherche Vittoria Colliza auprès de franceinfo. Enfin, à l'institut Pasteur, "des analyses sont en cours" mais "elles ne sont pas encore publiées".

Parce qu'il faut désormais considérer de très nombreux paramètres

La modélisation en épidémiologie n'a jamais été facile. Elle l'a été encore moins pour le Covid-19, maladie pour laquelle les chercheurs ne disposaient ni de données précédentes ni de recul, étant donné son émergence récente, comme l'expliquait à franceinfo Simon Cauchemez, épidémiologiste à l'Institut Pasteur, en décembre 2020.

A l'été 2022, la situation s'est encore complexifiée. Même si des projections avaient été réalisées, elles auraient été plus délicates que pour les précédentes vagues. Prenons la couverture vaccinale, qui est globalement élevée en France (78%). Elle protège les Français, a assuré Jean-François Delfraissy, déclarant : "La vague ne va pas gâcher l'été parce que nous sommes vaccinés". Toutefois, dans le détail, le taux de vaccination diffère selon les classes d'âge ou encore selon les régions. Sans compter que les vaccinés n'ont pas reçu leurs injections au même moment, en raison des différentes campagnes, et que la protection conférée par la vaccination s'amenuise au fil des mois. C'est d'ailleurs pour cette raison que le professeur Alain Fischer invite les plus de 60 ans à se faire administrer un deuxième rappel de vaccination (une troisième ou une quatrième dose selon les cas).

"La modélisation épidémiologique repose généralement sur la compartimentation. Au début de la pandémie, la population était essentiellement compartimentée par âge, explique Mircea Sofonea. Mais avec la vaccination et les infections successives, on augmente grandement le nombre de compartiments, et par la même occasion les trous paramétriques dans nos modélisations."

"La situation épidémique est devenue extrêmement complexe à ce stade à cause du niveau d'immunité qui est très compliqué à estimer", abonde Vittoria Colizza, épidémiologiste et directrice de recherche à l'Inserm, à cause des différents variants, des différents vaccins, ou encore des interactions entre les infections et la vaccination. "La succession très rapide des variants nous empêche d'avoir des bonnes estimations pour ces facteurs en temps réel pour avoir des projections robustes et fiables", conclut-elle.

Parce que les sous-variants BA.4 et BA.5 passent entre les mailles du filet

Si les vaccins sont toujours notre meilleure arme face à la pandémie, leur efficacité contre les nouveaux sous-variants (BA.4, et surtout BA.5) est fragilisée. "Il semble que ces variants se diffusent plus rapidement (…) car ils échappent davantage à l'immunité acquise par la vaccination comme par l'infection", a relevé auprès de franceinfo Samuel Alizon. "Les personnes qui ont un schéma complet sont très bien protégées contre les formes sévères, a tempéré sur franceinfo l'épidémiologiste Antoine Flahault. Elles ne sont pas protégées contre le fait d'avoir le Covid, malheureusement, parce que ce n'est plus exactement la même souche."

>> Covid-19 : ce que l'on sait du sous-variant BA.5, plus contagieux et qui va devenir majoritaire en France

Santé publique France souligne dans une analyse du 15 juin (PDF) que le sous-variant BA.5 n'est pas le seul facteur à avoir un "impact majeur" dans la reprise épidémique en cours. L'agence sanitaire pointe aussi "la diminution de l'adhésion aux mesures barrières" et "l'augmentation du nombre de contacts".

Parce qu'il est difficile de comparer avec d'autres pays

Pour tenter d'anticiper les événements malgré tout, les spécialistes scrutent la situation ailleurs, notamment au Portugal. Lors de précédents rebonds, il avait été touché quelques semaines avant la France. C'est une nouvelle fois le cas pour cette septième vague. Le rebond épidémique, causé par les nouveaux variants BA.4 et BA.5, a démarré début mai à Lisbonne et le pic de contaminations a été atteint début juin. En considérant que la France a six semaines d'écart, avec une montée des cas entamée mi-juin, certains épidémiologistes, interrogés notamment par Le Figaro, font le pari d'un pic atteint à la fin du mois de juillet.

D'autres chercheurs nuancent cette comparaison. Arnaud Fontanet, de l'Institut Pasteur, a déclaré au quotidien régional Ouest-France que la situation était "un peu différente", entre la France et le Portugal. L'épidémiologiste a notamment relevé le fait que la vague BA.2 qui a frappé la France au printemps a été moins forte au Portugal. La population portugaise pourrait par conséquent avoir été moins protégée contre le BA.5 qui est assez proche du BA.2.

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