Coronavirus Covid-19 : la fermeture des frontières est-elle une mesure efficace pour lutter contre l'épidémie ?
Les experts jugent que fermer les frontières dans l'espoir de se prémunir contre l'arrivée d'un virus est inefficace. De même, les contrôles sanitaires à l'entrée sur le territoire ont peu d'effets.
Ils veulent des mesures plus strictes. Face à l'apparition soudaine de centaines de cas de Covid-19, dont plus d'une demi-douzaine mortels, en Italie, des responsables politiques français de droite et d'extrême droite réclament des contrôles aux frontières, voire la fermeture de celles-ci, pour empêcher l'épidémie de coronavirus de contaminer la France.
Le député Les Républicains des Alpes-Maritimes Eric Ciotti a ainsi demandé au gouvernement "des mesures de contrôle renforcé" aux frontières, en appelant sur BFMTV à "décider très vite avant qu'il ne soit trop tard". Le président de Debout la France, Nicolas Dupont-Aignan, a lui aussi exigé des contrôles aux frontières françaises, proposant même la remise "dans les aéroports, les trains", d'"un document de traçabilité" dans lequel les voyageurs détailleraient leurs déplacements "les 14 jours précédents". Quant à la présidente du Rassemblement national, Marine Le Pen, elle a relevé dans un tweet et sur BFMTV que d'autres pays avaient déjà fermé leurs frontières par précaution.
Coronavirus: Marine Le Pen demande "le contrôle de nos frontières" pic.twitter.com/kaRmZtvWqK
— BFMTV (@BFMTV) February 25, 2020
Mais la fermeture des frontières ou l'instauration de contrôles sanitaires drastiques à l'entrée sur le territoire national sont-elles des mesures efficaces pour endiguer une épidémie ?
"Un virus ne s'arrête pas aux frontières"
Cette exigence de reprendre le contrôle des frontières est techniquement réalisable. Le code Schengen sur les frontières autorise les Etats membres de l'espace Schengen à rétablir temporairement les contrôles. Mais "à certaines conditions", a souligné lundi le commissaire européen à la Gestion des crises, le Slovène Janez Lenarcic. Ainsi, une telle décision doit être "basée sur une évaluation des risques crédible et des preuves scientifiques", être "proportionnée" et "prise en coordination avec les autres".
"A l'heure actuelle, notre recommandation aux Etats membres n'inclut pas la réintroduction de contrôles aux frontières internes", a déclaré un porte-parole de la Commission européenne lors d'un point presse. D'ailleurs, aucun pays n'a pour l'instant notifié à la Commission avoir pris une telle décision à cause de l'épidémie, selon la Commission.
Les autorités françaises sont, elles, catégoriques. "Ça n'aurait pas de sens, parce qu'un virus ne s'arrête pas aux frontières", a répondu le ministre de la Santé, Olivier Véran, interrogé dimanche au JT de 20 heures de France 2. Le directeur général de la Santé, Jérôme Salomon, a lui aussi assuré, lundi auprès de franceinfo, que les contrôles aux frontières ne servent à rien pour contrer rapidement l'épidémie, et qu'il vaut mieux "proposer une détection rapide des cas".
"Sur le plan sanitaire, ça ne pourrait avoir un impact que si c'était une mesure parfaitement étanche, or c'est impossible et donc forcément inefficace", tranche Anne-Claude Crémieux, médecin infectiologue à l'hôpital Saint-Louis, à Paris. Une frontière terrestre fermée serait inévitablement contournée, fait-elle valoir.
En revanche, "dans le cas théorique d'une île indemne de contagion, la décision de fermer les frontières au tout début de l'épidémie, avant toute introduction d'un virus, peut tout à fait se discuter, reconnaît la spécialiste. C'était le principe de la quarantaine pour les animaux pour éviter l'introduction de la rage terrestre en Angleterre."
Il n'y a pas de démonstration épidémiologique claire de l'efficacité d'une telle mesure. Dans un monde très interconnecté, c'est illusoire.
Antoine Flahault, directeur de l'Institut de santé globale de l'université de Genèveà franceinfo
"La Chine a fait des cordons sanitaires autour de villes dont les populations ont la taille de celle de l'Italie, observe Antoine Flahault, directeur de l'Institut de santé globale à la faculté de médecine de l'université de Genève, en Suisse. Ça a peut-être un peu ralenti la progression de l'épidémie, mais ça n'a pas eu une efficacité qui a permis de limiter la propagation du virus."
"Toutes les mesures dites de distances sociales – qui vont mettre de la distance entre gens infectés et gens non infectés – peuvent retarder le développement et l'internationalisation de l'épidémie, mais n'ont pas la prétention de la bloquer complètement. Sans vaccin, sans antiviraux efficaces, on ne peut pas prétendre bloquer l'épidémie", juge Antoine Flahault.
Des "conséquences extrêmement lourdes"
Le médecin du service de médecine tropicale et humanitaire des hôpitaux universitaires de Genève met en outre en garde contre les "conséquences extrêmement lourdes de telles quarantaines" à l'échelle d'un pays. Des effets secondaires évidemment économiques, mais pas uniquement. "A Genève, à Zurich, à Bâle, nos hôpitaux ne fonctionnent que grâce aux frontaliers. Ces travailleurs, qui vivent en Italie, en France ou en Allemagne, passent la frontière tous les jours. Si la Suisse se mettait à bloquer ses frontières, le système de santé serait sous une énorme tension et ne pourrait probablement pas fonctionner", illustre-t-il.
La fermeture des frontières ne fait d'ailleurs pas partie des mesures recommandées par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) qui supervise la lutte contre l'épidémie à l'échelle planétaire, souligne Antoine Flahault. Pour autant, quelques pays ont pris cette décision depuis le début de l'apparition du Covid-19. La Corée du Nord, la Mongolie et la Russie ont ainsi fermé leurs portes à leur voisin chinois. Et plus récemment, le Pakistan, l'Afghanistan et l'Arménie ont fait de même avec l'Iran. "Les pays sont prompts à prendre des décisions à haute visibilité politique, analyse Antoine Flahault. Ils veulent montrer à leur population qu'ils essaient de la protéger."
Les contrôles aux frontières "peu efficaces"
Mais si la fermeture des frontières est inefficace, qu'en est-il du contrôle sanitaire des voyageurs entrant sur le territoire national ? Là encore, les experts n'y voient pas le remède miracle. Ce nouveau coronavirus ne facilite pas la tâche. "On a affaire à une maladie qui a beaucoup de formes très faiblement symptomatiques, voire asymptomatiques, pointe Antoine Flahault. Il y a aussi des personnes en état d'incubation, qui n'ont pas encore les symptômes, mais qui vont les avoir quelques jours plus tard."
Et de toute façon, objecte Anne-Claude Crémieux, "les dernières épidémies, en particulier celle du Sras en 2003, ont montré que les contrôles aux frontières, c'est-à-dire la recherche systématique de patients symptomatiques sur la base par exemple de la fièvre, étaient peu efficaces".
Il vaut mieux une information des personnes qui viennent de pays potentiellement plus infectés que le nôtre, où le coronavirus circule, et leur demander de prendre des précautions de bon sens.
Anne-Claude Crémieuxà franceinfo
On peut leur conseiller "de diminuer les contacts pendant quatorze jours, de porter des masques pour protéger leurs proches, et si elles ont des symptômes, de passer par le 15 et de ne pas se rendre aux urgences". "Aujourd'hui c'est l'essentiel de ce qu'on peut faire et c'est ce qu'il y aura de plus efficace", juge Anne-Claude Crémieux.
Se préparer à "la vague"
De même, les vastes mesures de confinement, prises par les autorités chinoises ou italiennes notamment autour des villes où des cas de Covid-19 ont été diagnostiqués, ne sont pas non plus la panacée. Elles permettent tout au plus de freiner la propagation de l'épidémie.
"Toutes ces mesures ne seront pas efficaces au point d'empêcher que le virus se répande ailleurs, prévient Antoine Flahault. Mais elles peuvent malgré tout permettre de ralentir un peu la progression, de raboter un peu le pic épidémique, de diminuer la tension sur les systèmes de santé, de permettre aux Etats de se préparer davantage."
Lors de l'épidémie de grippe H1N1 en 2009, rappelle Antoine Flahault, "l'été avait joué un rôle de frein dans l'hémisphère nord et l'épidémie était revenue à l'hiver". Il n'est pas impossible que l'histoire se répète. Grâce à cela, espère le médecin, "on atténuera peut-être un peu le choc. Deux vagues font moins mal qu'une grosse."
Il faut espérer avoir le plus tard possible une vague la moins haute possible et se préparer à la vague.
Antoine Flahaultà franceinfo
Le partage d'informations entre Etats joue un rôle capital, insiste l'expert. "L'expérience des uns et des autres permet de voir le taux d'attaque, c'est-à-dire la proportion de la population qui va être atteinte, et en fonction de ça, de calibrer la réponse sanitaire. Pour l'heure, on n'a pas ce paramètre. Et comme on dit que ce virus est anodin chez la plupart des gens, il est possible qu'un très grand nombre de la population ait été atteinte à Wuhan". Seule certitude : "Il y aura un coup sur le système de santé qu'il va falloir absorber."
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