Cet article date de plus de quatre ans.

Covid-19 : coups de fil manqués, recommandations floues... Les faiblesses du traçage des chaînes de contamination

Face à la recrudescence de l'épidémie de coronavirus, le dispositif chargé d'identifier les cas contacts des personnes infectées est sous tension. Plus de 2 000 personnes doivent être recrutées pour renforcer les équipes.

Article rédigé par franceinfo - Alice Galopin
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 14min
Chaque jour, 9 000 enquêteurs passent des dizaines de milliers d'appels à des personnes positives au Covid-19 et à leurs cas contacts. (JESSICA KOMGUEN / FRANCEINFO)

"C’était lunaire comme coup de fil". Lily*, testée positive au coronavirus en août, se souvient avec amertume de son entretien avec une enquêtrice d'une brigade de l'Assurance-maladie, chargée d'appeler les cas de Covid-19 pour remonter le fil de leurs cas contacts. "J'avais le sentiment de déranger, se souvient la Francilienne. La personne au bout du téléphone ne s'est pas présentée et m'a laissé patauger".

Lily a décrit brièvement à son interlocutrice son état de santé, lui indiquant avoir déjà prévenu les membres de son entourage pour les inviter à se faire dépister. La téléconseillère, censée recueillir l’identité des cas contacts, n'a pourtant relevé aucun nom, assure la jeune femme.

J’ai eu le sentiment que cet entretien n’avait servi à rien, à part clore un dossier.

Lily*

à franceinfo

Conversations succinctes, consignes peu claires... Comme Lily, de nombreuses personnes se sont inquiétées, via l'appel à témoignages lancé par franceinfo, des conditions des entretiens réalisés dans le cadre de la stratégie de traçage des cas contacts ("contact tracing"), mise en place depuis le déconfinement pour casser les chaînes de transmission du virus. Certains, testés positifs au coronavirus, déplorent même n'avoir jamais été mis en relation avec ces "brigades d’anges gardiens", comme les avait présentées le ministre de la Santé, Olivier Véran, en mai dernier.

"De nombreuses chaînes de transmission non identifiées"

Pourtant, chaque jour, 9 000 enquêteurs passent des dizaines de milliers d'appels à des personnes positives et à leurs cas contacts, assure la Caisse nationale de l'Assurance-maladie (Cnam) à franceinfo. Ils complètent ainsi le premier travail d'identification des personnes contacts qui peut être initié en amont par les médecins. Pour leur prêter main forte, Jean Castex a annoncé vendredi 11 septembre, le recrutement de 2 000 personnes supplémentaires au sein de l'Assurance-maladie et des agences régionales de santé (ARS), chargées du traçage des situations plus complexes (clusters, cas survenant dans un hébergement collectif...).

Ces embauches vont "permettre de renforcer toutes les étapes du 'contact tracing'", se réjouit l'ARS Ile-de-France auprès de franceinfo. Car, face à la recrudescence de l'épidémie, le dispositif a affiché ses faiblesses. Au cours de la deuxième semaine de septembre, 80% des nouveaux cas n'avaient pas été précédemment recensés comme cas contacts, suggérant "l’existence de nombreuses chaînes de transmission non identifiées", observe Santé publique France, dans son point épidémiologique du 17 septembre.

"L'intensité à laquelle sont soumises ces équipes ne fait que croître", constate la direction générale de la santé. Au cours de l'été, le directeur de la Caisse primaire d'Assurance-maladie (CPAM) de Paris, Pierre Albertini, a vu l'activité de traçage s'emballer dans le département. Début juillet, la plateforme parisienne appelait chaque jour une quinzaine de cas positifs et une quarantaine de cas contacts. A la mi-septembre, elle traitait quotidiennement les dossiers de plus de 650 personnes contaminées et de 1 300 cas contacts.

Nous avons dû courir très vite derrière un train qui s’est mis à accélérer.

Pierre Albertini, directeur de la CPAM de Paris

à franceinfo

La CPAM de Paris a donc recruté 90 enquêteurs supplémentaires en septembre, en complément des 160 membres du personnel de la caisse déjà déployés. Cette hausse exponentielle des cas pèse-t-elle sur la qualité du traçage ? Non, assure Pierre Albertini, selon qui les téléconseillers peuvent passer de cinq à trente minutes avec un cas positif, selon les situations.

L’entretien répond à un cahier des charges très précis. En théorie, l'enquêteur rappelle d'abord la durée et les conditions d'isolement à respecter. Son interlocuteur est ensuite invité à dresser "la liste la plus exhaustive possible" de ses cas contacts, selon le guide méthodologique d’investigation des cas, mis en ligne par Santé publique France. Pour cela, le téléconseiller l'aiguille en évoquant des circonstances (voyage entre amis, réunion familiale...) qui ont pu l'amener à côtoyer d'autres personnes. Pour chaque cas contact, l'enquêteur doit recueillir méticuleusement une liste d'informations (nom, adresse mail, numéro de téléphone, date du contact...). 

Des appels téléphoniques "sommaires"

Pourtant, dans les faits, les appels passés par les téléconseillers ne sont pas toujours aussi détaillés, selon ce que rapportent certains malades. "Le coup de fil a dû durer une ou deux minutes", se souvient Auguste*, testé positif au Covid-19 le 4 septembre, et contacté par la CPAM de Paris le lendemain. "On m’a demandé si j’avais des symptômes, si je respectais l’isolement, sans m'en préciser la durée, et si j’avais eu des contacts récemment. J’ai répondu que j’avais déjà prévenu ces personnes, et la téléconseillère n’a pas du tout insisté pour relever leurs noms. Et ça s’est arrêté là. C’était très sommaire."

J’avais l’impression d’être au téléphone avec une hotline d'opérateur téléphonique.

Auguste*, cas positif

à franceinfo

Interrogé sur cet appel, Pierre Albertini suggère en creux une erreur de la part de l'enquêtrice. "Normalement, le téléconseiller a la mission d’essayer de convaincre la personne [de lui communiquer les cas contacts], quand bien même elle les a déjà prévenus avant". Mais la réalité s'avère parfois plus compliquée, reconnaît le directeur de la CPAM de Paris. "Je ne peux pas vous dire qu’on est à 100% tous les jours, à toutes les heures, ça n'existe pas."

"Dans certaines situations", c'est la personne contactée qui refuse de communiquer l'identité de ses contacts. "Dès lors, on ne peut pas aller au-delà de l’incitatif, et il faut savoir s’arrêter quand une personne nous dit 'non'", tranche Pierre Albertini. 

Des cas positifs passent entre les mailles du filet

Par ailleurs, la proportion de cas positifs mis en relation avec les services de l'Assurance-maladie a globalement diminué au cours des dernières semaines, selon les données de Santé publique France. Sur l'ensemble du territoire, 94% des cas positifs identifiés la première semaine d'août avaient pu être joints au cours de cette période, contre 89% durant la deuxième semaine de septembre. Ce dernier chiffre est toutefois en légère augmentation par rapport aux sept premiers jours de septembre (86% des cas positifs contactés). A noter qu'un "rattrapage d'une semaine sur l'autre" peut s'opérer note l'agence, en particulier pour les cas identifiés en fin de semaine.

Santé publique France relève également "des disparités régionales" avec des territoires où la proportion de cas investigués est plus faible. L'Ile-de-France et les Hauts-de-France enregistrent ainsi les plus faibles taux en France métropolitaine, avec respectivement 83% et 85% des cas positifs identifiés entre le 7 et le 13 septembre effectivement joints au cours de cette période. A l'inverse, cette proportion passe à 98% dans les régions Auvergne-Rhône-Alpes et Centre-Val de Loire. Des différences qui "peuvent être expliquées par de faibles effectifs dans certains territoires", "des difficultés à recueillir les coordonnées", ou encore "des mobilités durant les périodes de vacances", avançait l’agence sanitaire début septembre.

Interrogé sur des cas positifs qui ne seraient pas contactés par les brigades de traçage, le directeur de la CPAM de Paris fait valoir que "malgré la croissance forte de l’activité", toutes les personnes répertoriées dans leur base ont été appelées au moins une fois. Si l'intéressé ne décroche pas, un SMS lui est envoyé, l'invitant à reprendre contact rapidement avec les services de l'Assurance-maladie. "Il y a des personnes que nous n’avons jamais pu contacter après avoir passé deux ou trois appels, concède Pierre Albertini, mais c’est extrêmement rare". "Toute personne qui a été testée positive est contactée par les équipes de tracing", insiste auprès de franceinfo l'ARS Ile-de-France, responsable de la coordination générale du dispositif dans la région.

Néanmoins, certains semblent bel et bien passer entre les mailles du filet. En juin, Sophie, qui vit et travaille à Paris, a réalisé un test de dépistage PCR dans un hôpital belge où elle devait être opérée quelques jours plus tard. Malgré son résultat d'analyse positif, que franceinfo a pu consulter, elle assure n'avoir jamais été contactée par les équipes de traçage. Explications de la CPAM de Paris : les résultats des tests effectués à l'étranger ne figurent pas dans la plateforme SI-DEP, l'un des outils du contact tracing, où sont enregistrés les résultats des dépistages des laboratoires français.

"Le médecin traitant [de Sophie] aurait pu toutefois entrer son test positif sur la plateforme Contact Covid [qui sert à vérifier la prise en charge de chaque cas positif et cas contact]", ajoute le directeur de la CPAM de Paris, ce qui aurait alors alerté les brigades de traçage. Après son résultat positif, Sophie indique de son côté avoir réalisé une téléconsultation avec un médecin français, qui lui a prescrit un nouveau test PCR à effectuer en France. "Le résultat ayant été négatif en France, on en est resté là", raconte-t-elle. Après ce second dépistage, Sophie a pourtant développé des symptômes ressemblant à ceux du Covid-19. Elle s'est alors isolée, et a décidé de prévenir elle-même les personnes qu'elle avait récemment fréquentées. 

Des téléconseillers formés en deux jours

Outre les appels aux personnes positives, les entretiens avec les cas contacts paraissent aussi poser parfois problème. Là encore, un déroulé précis est prévu, ainsi que le détaille la doctrine de mise en œuvre du contact tracing (PDF), publiée sur le site de l'Assurance-maladie. "Il y a des scripts, des scénarios élaborés", confirme Pierre Albertini. Mais ils ne sont pas toujours suivis à la lettre, comme le montre le témoignage de Catherine. Identifiée comme cas contact de sa fille, elle évoque un entretien avec un téléconseiller "totalement inexpérimenté". 

On a dit à mon mari comme à moi de 'rester isolés', mais sans nous préciser durant combien de temps.

Catherine, cas contact

à franceinfo

En outre, cette habitante d'Indre-et-Loire certifie ne pas avoir été informée, lors de l'entretien, de la possibilité de retirer gratuitement des masques en pharmacie. "On avait l’impression que la personne ne savait pas ce qu’elle devait demander, se remémore CatherineHeureusement, on avait déjà fait des recherches de notre côté". Si Pierre Albertini reconnaît que la formation en deux jours des téléconseillers de sa plateforme "est courte", il garantit que ces derniers en sortent "opérationnels". "S’ils suivent parfaitement les guides qui leur sont fournis, ils ne doivent rater aucune question importante, ajoute le directeur de la CPAM de Paris.

Un système tributaire des délais de dépistage

Enfin, il demeure un problème sur lequel les équipes de traçage n'ont aucune prise : les délais de dépistage. Alors que l'accès aux tests est ouvert à tous, même sans prescription médicale, les files d'attente devant les laboratoires s'allongent de façon problématique, sous l'effet de la forte demande. Or, "toute la construction de [la stratégie tester-tracer-isoler] repose sur une gestion pointue des délais" entre le moment où une personne envisage d'être dépistée et l’obtention du résultat, avance Pierre Albertini.

Avec "des temps d'attente trop importants", comme l'a récemment reconnu Jean Castex, les équipes de traçage "arrivent en retard", regrette le directeur de la CPAM de Paris. Pour dégripper la machine, le gouvernement mise désormais sur le développement de nouveaux tests, salivaires et antigéniques, plus rapides à analyser que les PCR, et sur une "doctrine de priorisation" des dépistages, notamment pour les personnes symptomatiques et les cas contacts. En Ile-de-France, 20 centres de prélèvement pour les publics dits prioritaires doivent être déployés.

*Les prénoms ont été modifiés à la demande des intéressés.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.