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Coronavirus : risque-t-on une amende si on ne respecte pas les gestes barrières ?

La loi pose clairement un certain nombre d'interdictions au niveau national mais uniquement sur certains gestes barrières et pas partout. En parallèle, des maires prennent des arrêtés pour sanctionner certains comportements, mais certains ont été annulés.

Article rédigé par franceinfo - Manon Mella
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Des policiers municipaux à Strasbourg le 21 mai 2020.  (FRANCK DELHOMME / MAXPPP)

Peut-on recevoir une amende parce qu’on ne met pas de masque dans la rue, que l’on crache par terre ou que l’on ne se lave pas les mains ? C’est la loi du 11 mai 2020 et un décret publié le lendemain qui encadrent les mesures générales pouvant être prises pour faire face à l’épidémie de Covid-19. Certaines mesures prennent la forme d’une interdiction ou d’une obligation mais la plupart des gestes barrières sont en fait des recommandations… sauf dans certaines communes. La cellule Vrai du Faux vous explique.

Des contraventions pour non-port du masque dans les transports et dans certaines communes

Les "masques doivent être portés systématiquement par tous dès lors que les règles de distanciation physique ne peuvent être garanties", précise en annexe le décret qui encadre les mesures prises durant l’Etat d’urgence sanitaire. Mais, il ne précise pas si on peut recevoir une amende parce qu’on ne porte pas de masque dans la rue ou dans un magasin par exemple.

Par contre, le non-respect du port du masque dans les transports publics est clairement sanctionné au niveau national, d’après l’article 6 du décret : "Toute personne de onze ans ou plus (...) qui accède au transport public collectif porte un masque". En cas de non-respect de cette obligation, la personne pourra recevoir une amende de 135 euros (L. 3131-15 du Code de la santé publique).

Dans certaines communes, des maires ont pris des arrêtés pour rendre le port du masque obligatoire mais certains frôlent avec l'illégalité. C’est le cas à Aubenas (Ardèche), où le maire a pris un arrêté pour obliger à porter un masque sur le marché. Mais il pourrait que ce genre de décision soit suspendue. Plusieurs communes ont en effet vu leurs arrêtés annulés par la justice administrative ces derniers jours.

Le Conseil d’Etat a par exemple annulé l’obligation du port du masque pour les habitants de plus de 10 ans dans la ville de Sceaux, "en l’absence de circonstances locales particulières. L’arrêté du maire nuit également à la cohérence des mesures nationales et des messages de prévention", car "seul l’Etat a la responsabilité de prendre des mesures pour lutter contre le coronavirus". Même chose pour le maire de Strasbourg qui voulait rendre obligatoire le port du masque dans le centre-ville mais qui a aussi vu son arrêté suspendu pour cause d’atteinte à la vie privée.

Cracher sur des gens est interdit mais pas à cause du Covid-19

Si quelqu’un me crache volontairement dessus en pleine épidémie de coronavirus, risque-t-il quelque chose ? Oui, mais cela n’a rien à voir avec les mesures prises pour lutter contre l’épidémie. Même si le virus se transmet essentiellement par postillons, le fait de ne pas cracher sur quelqu’un n’entre pas dans la liste des mesures d’hygiène du décret du 11 mai. Par contre, d’autres qualifications peuvent s’appliquer, nous explique le professeur de droit Jean-Baptiste Perrier.

Si la personne visée par le crachat est un officier ou un agent de police ou une personne dépositaire de l’autorité publique, il s’agit d’un outrage puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. Fin mars, un médecin du centre hospitalier de Tourcoing est interpellé pour des soupçons de violences conjugales et se met à tousser volontairement vers les gendarmes venus l'interpeller. La première garde à vue s’est alors doublée d’une deuxième pour "violences volontaires sur personne dépositaire de l’autorité publique". Le médecin a été condamné à deux ans de prison ferme. Des situations similaires ont eu lieu ces derniers jours à Paris, en Picardie ou dans l'Essonne.

Par ailleurs, le fait de cracher volontairement sur quelqu’un de manière générale est puni par le droit pénal puisqu’il s’agit d’une "violence légère" envers une personne même si cela n’engendre aucune blessure physique. L’auteur s’expose à une amende de 750 euros maximum (article R. 624-1 du Code pénal). Par ailleurs, le fait de cracher dans un moyen de transport public est également interdit et sanctionné d’une amende de 135 euros (article R. 2241-14 du code des transports).

Enfin, là encore, certains maires ont pris des arrêtés comme à Marcq-en-Barœul dans le Nord où un crachat coûte 68 euros d'amende. C'est aussi le cas au Raincy, en Seine-Saint-Denis, avec une amende de 38 euros si l’on est pris en train de cracher dans la rue. Le maire du Raincy explique à franceinfo que "l’arrêté dans ce cas est une arme pédagogique et un rappel aux civilités visant à faire réfléchir les citoyens".

Ne pas se laver les mains n’est pas sanctionné... en théorie

L’article 1 de la loi sur l’état d’urgence sanitaire liste toute une série de mesures préventives comme "se laver régulièrement les mains", "se couvrir systématiquement le nez et la bouche en toussant ou éternuant dans son coude", mais aussi "se moucher dans un mouchoir à usage unique" ou encore "éviter de se toucher le visage". Mais aucune sanction spécifique n’est précisée en cas de non-respect.

Pour l’enseignant en droit public à Sciences Po Nicolas Hervieu, le texte de la loi sous-entend que certaines mesures sont obligatoires et que leur non-respect pourrait être puni d’une amende de 38 euros. En effet, l’article R610-5 du code pénal prévoit que "la violation des interdictions ou le manquement aux obligations édictées par les décrets et arrêtés de police sont punis de l’amende prévue pour les contraventions de la première classe".

De son côté, le professeur de droit à Aix-Marseille Université Jean-Baptiste Perrier reste "réservé" sur le fait que le non-respect de ces mesures soit pénalement sanctionné. Pour lui, il s’agit plutôt de "fortes recommandations" plutôt que d'obligations ou interdictions.

Mais les deux juristes s’accordent à dire que le fait d’insérer des recommandations sur les mesures d’hygiène dans un texte prévoyant des règles juridiques (règles sur les transports publics, sur les rassemblements de personnes etc) peut conduire à de mauvaises interprétations, des décisions arbitraires et ainsi faire courir un risque pénal aux gens.

"À tout mélanger, on fait naître un risque pénal", regrette Jean-Baptiste Perrier. Pour le juriste, le risque "avec un texte si général est cette surinterprétation qui peut conduire à sanctionner des personnes pour un comportement qui ne devrait pas l’être".

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