Coronavirus : quels sont les secteurs économiques qui s'en sortent le mieux pendant le confinement ?
Si la pandémie de Covid-19 frappe l'économie de plein fouet, contraignant des millions de salariés au chômage partiel, quelques secteurs parviennent à résister et certains réussissent même à tirer leur épingle du jeu.
"Cette crise n'est pas une affaire de semaines, pas une affaire de mois, mais une affaire d'années." Prévision pessimiste, mais fondée, signée du ministre de l'Economie Bruno Le Maire, mercredi 15 avril. Car le choc consécutif à l'épidémie de coronavirus devrait être "considérable" pour l'économie française, selon une étude de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Et plus de 10 millions de salariés, soit près d'un sur deux, sont désormais en chômage partiel.
>> Coronavirus : suivez toutes les infos liées à la crise sanitaire en direct
Dans cet horizon sombre où les cartes sont rebattues, certains, à commencer par le secteur alimentaire, tirent mieux que d'autres leur épingle du jeu. Du surgelé aux jeux vidéo, du bio aux outils de vidéo-conférence, passage en revue des secteurs à qui profite la crise.
La grande distribution
Dans la morosité ambiante, la grande distribution savoure discrètement ses bons chiffres. Car elle est la première (et une des rares) à tirer les marrons du feu, selon le journaliste Olivier Dauvers, spécialiste de la grande consommation, interrogé par franceinfo :
Avec le confinement, 100 millions de repas par semaine sont désormais pris chez soi et non à l'extérieur. Il faut acheter de quoi les faire. Résultat, la grande distribution est gagnante dans son ensemble.
Olivier Dauversfranceinfo
Les magasins d'alimentation récupèrent donc, mécaniquement, ce qui est perdu par les cantines, les sandwicheries et les restaurants. Et se frottent les mains, en voyant leur chiffre d'affaires "progresser de 7 à 8%", d'après ce connaisseur du secteur. Mais cette croissance n'est pas homogène, exigences sanitaires obligent. "Les petites surfaces sont gagnantes, parce qu'il est recommandé d'aller dans les magasins les plus proches en y passant le moins de temps possible, analyse-t-il. On y va donc deux fois moins en dépensant deux fois plus."
Plus éloignés et plus chronophages, les hypermarchés, eux, sont en difficulté.
Olivier Dauversà franceinfo
Un constat partagé par l'institut Nielsen, spécialisé dans la grande consommation. Celui-ci souligne dans le graphique ci-dessous que "la grande consommation repart en forte hausse en cette 4e semaine de confinement, et se termine sur une progression de 16,9%" avec "une hausse de 20%" pour les supermarchés.
Enfin, le commerce en ligne s'accroît fortement, même s'il ne représente encore qu'un dixième du marché, dominé à 90% par le drive (le reste l'étant par les livraisons à domicile). "Les drives sont en progression de plus de 40% depuis le début du confinement [100% sur le graphique Nielsen, mais les chiffres ne portent que sur une seule semaine], estime Olivier Dauvers, car ils apparaissent comme totalement sûrs."
Une tendance partagée par Auchan selon les informations recueillies par franceinfo. D'après Daniel Ducrocq, directeur du service distribution chez Nielsen interrogé par LSA, "avant le début du confinement, près de 750 drives accolés à des supermarchés ne dépassaient pas la dizaine de commandes par semaine : ils ont en moyenne triplé leur chiffre d'affaires, certains dépassant même les 30 000 euros hebdomadaires".
Les produits de base, le surgelé et le bio
Qu'achètent les Français en cette période de confinement ? Ils se précipitent en priorité sur "les ingrédients de base pour la cuisine. A commencer par la farine et les œufs, qui servent pour les préparations de sauces comme pour les gâteaux", note encore Olivier Dauvers. En effet, surenchérit-on du côté du groupe Casino, les aliments "de première nécessité", comme "la farine, les œufs, le sucre, le beurre, le pain de mie", s'envolent dans toutes les enseignes. Tout comme les produits frais, qu'il s'agisse de viande, de volaille ou de fruits et légumes.
Du moins jusqu'à présent. Car la flambée des prix risque de refroidir le consommateur, malgré le printemps qui incite aux salades estivales. Elle est dûe, selon Olivier Dauvers, à la mise en avant, tôt dans la saison, des produits français, à des tarifs qu'il juge prohibitifs : "J'ai vu des tomates françaises très chères, à 4,99 euros le kg, côtoyer la tomate marocaine à 1,49 euro le kg. Pourquoi ? Parce que la distribution a fait le choix de l'offre française plus tôt que d'habitude.
Après, le client arbitre. La fraise française a ainsi été davantage vendue que de coutume, mais comme elle a un prix élevé, on en consomme moins en quantité.
Olivier Dauversà franceinfo
Le surgelé offre une échappatoire. "Il progresse beaucoup parce qu'il correspond à une offre familiale et à un produit de stockage", précise Olivier Dauvers. Au plus grand bonheur des magasins Picard, qui a vécu "cinq semaines de folie", de l'aveu, tout sourire, du patron de l'enseigne, Philippe Pauze, dans Les Echos. "Nos ventes ont crû de 35%", confesse-t-il. Elles ont dû continuer la semaine suivante, à en croire ce graphique Nielsen portant la semaine du 6 au 12 avril.
Ultime tendance corroborée par cette étude Nielsen datée du 8 avril : le boom du bio "en très forte croissance depuis le début de la séquence Covid-19". Les circuits de distribution en profitent, les producteurs aussi. "Dans ma région, tous les producteurs bio qui font de la vente directe sont dévalisés", affirme ainsi à l'AFP Philippe Henry, président de l'Agence française pour le développement et la promotion de l'agriculture biologique, lui-même agriculteur dans une ferme de Lorraine. "Ça correspond à une part d'inquiétude chez le consommateur, tempère Olivier Dauvers, mais aussi à un problème de pénurie. S'il n'y a plus de pâtes, on va acheter des pâtes bio. Il y a une part de transfert."
La télé, le streaming et les jeux vidéo
Autre bénéficiaire du confinement, la télévision, qui a battu son plus "haut niveau historique" d'audience en mars. En moyenne, les Français l'ont regardée 4h29, soit 44 minutes de plus qu'en mars 2019, d'après Médiamétrie. Des chiffres dopés par la recherche d'information, mais aussi de divertissements. Quoique multidiffusée, La Grande vadrouille a ainsi attiré plus de 5 millions de téléspectateurs le dimanche 22 mars à 14 heures sur France 2. Mais ces bonnes audiences sont peu monétisables : de multiples annonceurs confrontés à la crise du coronavirus ont dû annuler leurs campagnes de pub.
Cette soif de distraction déborde évidemment du cadre de la télé à l'ancienne. Selon une enquête Ifop datée de la fin du mois de mars, 55% des internautes interrogés assuraient avoir augmenté leur consommation habituelle de séries, 53% celle de jeux vidéo et 50% celle de films. D'après cette étude réalisée en vagues successives pour la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi), 30% des sondés se sont tournés vers des offres gratuites, comme celles proposées temporairement par Disney+ ou Canal+ et 21% disent recourir à "des offres illégales". Par ailleurs, précise l'étude, quelque 46% des Français interrogés déclarent avoir souscrit à une offre de vidéo à la demande par abonnement (type Netflix, Disney+, Amazon Prime, OCS...). Un chiffre "en hausse de 10% par rapport à l'année dernière", mais sans que l'on connaisse l'impact précis du confinement.
Les jeux vidéo complètent ce palmarès. "Exacerbée, selon RFI, par la sortie d''Animal Crossing' et 'Doom'", leur croissance a enregistré un bond de 180% sur la période du 16 au 22 mars par rapport à la semaine précédente, selon des chiffres du site spécialisé Gamesindustry. Bulle réconfortante dans un monde hostile, le dernier jeu phare du japonais Nintendo figure fréquemment dans les caddies des consommateurs, remarque-t-on aussi chez Auchan.
Les applications de sport et de visioconférences
Plus de temps passé à la maison égale aussi plus de temps passé sur son mobile. Tous secteurs confondus, le temps passé sur des applications en France a augmenté de 15% en mars par rapport au quatrième trimestre 2019, selon App Annie (en anglais), société spécialisée dans le marché des applications mobile, contre 10% aux Etats-Unis et en Allemagne.
Tenus de rester à la maison, nombre de Français se sont mis, en mars, à télécharger des applis de fitness, sans qu'on sache si cet engouement va durer. Le phénomène est international, observe App Annie. Pendant la semaine du 22 mars 2020, "les applis de santé et de fitness ont enregistré des records mondiaux en termes de téléchargements hebdomadaires et de dépenses consommateurs". Et elles ont généré respectivement "59 millions et 36 millions de dollars" soit "une croissance de 40% et 10% par rapport à la moyenne hebdomadaire de janvier et février 2020".
Sur le podium des utilisateurs, la France occupe la deuxième place avec une croissance de 85% des téléchargements (par rapport à janvier et février 2020), juste derrière l'Italie (+105%). Une autre étude d'App Annie, commandée par francetvsport, va dans le même sens. Elle montre que "les téléchargements d'applications dans la catégorie Santé et fitness ont grimpé de 15% entre la semaine du 2 février et celle du 15 mars, date du début du confinement".
Ultimes gagnants provisoires de la crise, les producteurs des outils les mieux adaptés à la vie de bureau chez soi. Quand les cadres confinés se sont convertis au télétravail, les applis américaines de visioconférence sont devenues indispensables. Quatre d'entre elles ont connu des téléchargements exponentiels en France pendant la semaine du 22 au 28 mars, comparée au dernier trimestre 2019, selon App Annie : Hangouts Meet (28 fois plus téléchargé dans l'Hexagone), Houseparty (64 fois plus), Microsoft teams (12 fois plus) et enfin Zoom (39 fois plus). Le même phénomène s'est répété un peu partout en Europe, de l'Allemagne à l'Italie.
Témoin de ce succès, et même si la firme inquiète un nombre croissant d'utilisateurs dont les réunions ont été piratées, l'action de la société de visioconférence américaine Zoom s'est envolée : de 68 dollars début janvier, elle a grimpé à 150 dollars depuis le 31 mars (c'était encore le cas le 22 avril). A la suite du confinement, l'application a multiplié par 20 son nombre d'utilisateurs, passant de 10 millions d'utilisateurs fin 2019 à 200 millions aujourd'hui – dont la rédaction numérique de franceinfo.fr.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.