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Coronavirus : quels sont les risques du confinement pour notre santé mentale ?

Troubles de l'humeur, pensées suicidaires, symptômes post-traumatiques... Des chercheurs alertent sur les "coûts psychologiques" potentiels des mesures extrêmes prises pour stopper l'épidémie.

Article rédigé par Yann Thompson
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Une femme regarde dehors depuis chez elle, le 16 mars 2020, à Dinan (Côtes-d'Armor). (MARTIN BERTRAND / HANS LUCAS / AFP)

Gare aux dommages collatéraux. En pleine pandémie de Covid-19, une équipe de chercheurs britanniques met en garde les dirigeants de la planète face aux effets potentiellement "dramatiques" des mesures de confinement imposées pour freiner le coronavirus. En France, un tel dispositif est entré en vigueur, mardi 17 mars, à midi, pour une durée minimale de quinze jours – sans que la question de l'impact sur la santé mentale ait été clairement posée.

Dans un article publié le 14 mars dans la revue scientifique The Lancet (en anglais), sept membres du département de psychologie du King's College de Londres préviennent : "Les bénéfices potentiels d'une quarantaine massive et obligatoire doivent être évalués avec précaution au regard des possibles coûts psychologiques." Autrement dit, il ne faudrait pas que la lutte contre l'épidémie donne naissance à une autre épidémie, moins visible, touchant directement les esprits. "Il ne s'agit pas non plus d'exclure tout confinement", précisent-ils.

Les effets psychologiques d'une absence de quarantaine et d'une libre propagation du virus pourraient être pires.

Les auteurs de l'article

dans "The Lancet"

Pour cette analyse, les chercheurs s'appuient sur un corpus de 24 études scientifiques portant sur des confinements lors de précédentes épidémies : le Sras en 2003, la grippe H1N1 en 2009 et 2010 ou encore Ebola depuis 2014. Des petits groupes ou des villes entières avaient alors été mis sous cloche par les autorités, aussi bien en Chine, au Canada qu'en Afrique. "La plupart des études font état de conséquences psychologiques négatives" et certaines "suggèrent des effets à long-terme", concluent les auteurs.

"Une situation forcément désagréable"

La liste des symptômes relevés est longue : stress, fatigue émotionnelle, insomnie, colère, dépression... Les troubles de l'humeur et l'irritabilité sont les difficultés les plus fréquemment observées, souvent du fait de l'ennui, de la frustration et de l'isolement social ressenti par les personnes. 

"Le confinement en France va forcément être une situation désagréable et stressante", explique l'un des auteurs de l'article, le professeur Neil Greenberg, contacté par franceinfo.

Les personnes les plus vulnérables seront celles qui ont déjà des antécédents et cela va peut-être en faire basculer d'autres qui n'étaient pas au mieux – d'où l'importance de veiller les uns sur les autres.

Neil Greenberg

à franceinfo

Le psychiatre britannique évoque un risque accru de comportements agressifs du fait de l'enfermement, particulièrement au sein des ménages fragiles. "Le confinement peut aggraver des situations de violences conjugales ou familiales", estime le chercheur. Il redoute également des suicides.

Pour des gens qui ont une santé mentale fragile et qui dépendent fortement de quelques personnes qu'elles ne peuvent soudainement plus voir, il y a un risque que cela constitue un élément déclencheur. Il faut leur donner une bonne raison de tenir.

Neil Greenberg

à franceinfo

Dans leur article, les chercheurs du King's College de Londres ont identifié plusieurs facteurs pouvant aggraver des fragilités psychologiques. Le manque de règles claires et de pédagogie sur l'objectif du confinement en font partie, tout comme la peur d'être soi-même contaminé ou de contaminer les autres. Le fait de voir prolongée la mesure de confinement au-delà du délai annoncé - comme cela risque d'être le cas en France - peut générer des souffrances supplémentaires.

A Wuhan, des effets psychologiques "importants"

En Chine, des chercheurs du Centre de santé mentale de Shanghai ont interrogé près de 53 000 personnes, via un questionnaire en ligne, entre le 31 janvier et le 10 février, en pleine épidémie de Covid-19. Selon les résultats de première enquête nationale, publiés le 6 mars dans General Psychiatry (en anglais), "près de 35% des répondants ont souffert d'une forme de détresse psychologique". Les niveaux les plus élevés ont été observés dans le centre du pays, notamment dans la région de Hubei, berceau de l'épidémie, où les mesures de confinement ont été les plus importantes.

Dans cette région, "les conséquences psychologiques sont très importantes", confirme à franceinfo Simeng Wang, sociologue au CNRS, spécialiste de la diaspora chinoise et des questions de santé mentale. Cette chercheuse s'intéresse plus particulièrement à la ville de Wuhan, dont elle est originaire. "On a vu des cas de personnes angoissées pour leur santé, qui stressaient en permanence, et d'autres anxieuses de voir la société chinoise ainsi déstabilisée, détaille-t-elle. Il y a aussi des formes de psychoses, avec des discours de fin du monde, et des dépressions. Enfin, beaucoup de gens souffrent de la solitude."

Des distances sociales se créent et les liens se réduisent. Or il est prouvé que ces relations sociales protègent du mal-être et des troubles mentaux.

Simeng Wang

à franceinfo

La presse chinoise s'est déjà fait l'écho d'une hausse des violences conjugales. Dans la province de Hubei, où se situe Wuhan, un commissariat a constaté une multiplication par trois des signalements en février, selon le fondateur d'une association de lutte contre les violences faites aux femmes, cité par le site Sixth Tone (en anglais). Une autre association implantée à Pékin dit avoir reçu trois fois plus d'appels que d'ordinaire, d'après la BBC (en anglais).

Dans les pays confinant leurs habitants, les conséquences les plus saisissantes –sans être les plus répandues – pourraient bien ne survenir qu'après la fin du confinement. Les auteurs de l'article de The Lancet signalent des cas de symptômes post-traumatiques, aussi bien chez les adultes que chez les enfants, surtout après des confinements de plus de 10 jours.

"Le fait d'être tous dans le même bateau va aider"

Dans une des études examinées, plusieurs personnes disent avoir mis des mois avant de reprendre une vie normale. Selon une autre publication, dans les semaines suivant un confinement lié à l'épidémie de Sras, 56% des personnes ayant retrouvé leur liberté évitaient les gens toussant ou éternuant et 21% évitaient les lieux publics. "On peut s'attendre à des effets comparables en France, estime Neil Greenberg. L'avantage du confinement, c'est que les gens vont se sentir à l'abri du virus chez eux, car la menace est plutôt dehors. Cela peut réduire leur angoisse au début."

Quand il faudra sortir de cette zone de sécurité et retrouver une vie normale, il risque d'y avoir un regain d'anxiété chez certains.

Neil Greenberg

à franceinfo

Pour autant, le chercheur britannique tient à nuancer le tableau. "Si le confinement est organisé de manière raisonnable, si les gens ont un bon accès aux biens de première nécessité et s'ils sont tenus informés, il pourrait ne pas y avoir d'effet important à long terme", dit-il.

Si vous vous informez avec des sources fiables, si vous restez actifs socialement, même à distance, et si vous gardez un régime sain, vous maximisez vos chances de bien vous en sortir, voire mieux qu'avant.

Neil Greenberg

à franceinfo

Le fait que l'ensemble du pays vive la même expérience de confinement pourrait aider à surmonter cette épreuve. "Savoir qu'on est tous dans le même bateau aide vraiment dans ces situations, conclut Neil Greenberg. L'être humain a une formidable capacité d'adaptation. Si les choses sont bien faites, les gens feront face, sans crise, sans panique."


Si vous avez besoin d'aide, si vous êtes inquiet ou si vous êtes confronté au suicide d'un membre de votre entourage, il existe des services d'écoute anonymes. La ligne Suicide écoute est joignable 24h/24 et 7j/7 au 01 45 39 40 00. D'autres informations sont également disponibles sur le site du ministère des Solidarités et de la Santé.

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