Coronavirus : pourquoi l'essai européen Discovery, voué à trouver un traitement, patine
Lancé le 22 mars, le projet européen Discovery ambitionnait de tester quatre traitements sur plus de 3 000 patients atteints du Covid-19. Moins de 800 ont été recrutés à ce jour, presque exclusivement en France.
Les premiers enseignements étaient attendus début avril. Un mois plus tard, l'ambitieux essai Discovery, qui vise à comparer l'efficacité de quatre traitements contre le coronavirus sur des milliers de patients en Europe, n'a toujours pas livré le moindre verdict. Et contrairement à ce qu'a annoncé Emmanuel Macron lundi 4 mai, les résultats ne seront sans doute pas disponibles le 14 mai.
>> Coronavirus : suivez l'évolution de la situation dans notre direct
Plusieurs raisons, scientifiques, administratives et financières, expliquent ce retard. Principale difficulté : le recrutement de patients à l'échelle européenne. Lors de son lancement le 22 mars, Discovery ambitionnait d'enrôler 3 200 malades hospitalisés pour Covid-19 (dont au moins 800 en France) dans plusieurs pays dont "la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg, le Royaume-Uni, l'Allemagne, l'Espagne et peut-être d'autres" pays, selon l'Inserm, qui coordonne le projet. Mais au 7 mai, l'essai n'a pu recruter que 742 patients, quasi exclusivement en France. Franceinfo vous explique pourquoi cet essai s'enlise.
Des pays européens pas coordonnés
Si plusieurs pays s'étaient dits intéressés pour participer à cet essai, c'est en France qu'il a été mis en place en premier, sous la responsabilité de la professeure Florence Ader, infectiologue à l'hôpital de la Croix-Rousse à Lyon. La période du 1er au 22 mars a été exclusivement dédiée à la mise en place du projet en France, explique-t-elle dans une vidéo publiée sur le site de l'Inserm, se félicitant d'avoir réussi à mettre sur pied un essai clinique randomisé en seulement 22 jours, dans des délais bien plus courts que ceux habituellement observés.
Ce n'est qu'à ce moment-là que les autres pays ont été invités à participer. "On a essayé de proposer une sorte d'alliance pour unir nos forces", affirme Florence Ader. Trop tard, car entre-temps, certains pays se sont engagés dans d'autres essais parallèles ou concurrents. L'Espagne et l'Italie ont ainsi décidé de suivre le protocole Solidarity, coordonné par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), qui teste les mêmes médicaments mais avec une méthodologie moins contraignante. Le Royaume-Uni a quant à lui décidé de mettre au point son propre protocole, baptisé Recovery.
Avec l'Allemagne, l'Autriche, le Portugal ou la Belgique, les discussions sont toujours en cours. A ce jour, un seul patient européen a été recruté hors de France, au Luxembourg, le 30 avril. "Franchement, Covid et l'Europe, c'est un échec ! Chaque pays a travaillé pour lui, et on a beaucoup de mal à coopérer", regrette dans une interview au Monde le professeur Yazdan Yazdanpanah, chef du service des maladies infectieuses et tropicales de l'hôpital Bichat, membre des deux comités scientifiques nommés pour éclairer le gouvernement et directeur du consortium Reacting, qui coordonne l'essai Discovery.
Le "buzz" contre-productif de l'hydroxychloroquine
Initialement, l'essai Discovery ne devait comporter que quatre "bras", c'est-à-dire quatre groupes de patients, répartis aléatoirement. Le premier groupe, appelé groupe témoin, auquel seuls des soins standards sont prodigués, doit permettre de comparer l'efficacité des trois traitements administrés à chacun des autres groupes :
- le remdesivir, un antiviral initialement conçu pour le virus Ebola
- une combinaison lopinavir et ritonavir, utilisée contre le VIH
- la même combinaison lopinavir et ritonavir, associée à l'interféron bêta, susceptible de bloquer le processus inflammatoire.
Alors qu'elle ne devait pas être testée, l'hydroxychloroquine a finalement été intégrée à l'essai, en pleine polémique sur cette molécule utilisée notamment par le professeur Didier Raoult à l'Institut hospitalo-universitaire de Marseille.
"A cause du buzz, on m'a demandé de rajouter le bras hydroxychloroquine", explique la professeure France Mentré, épidémiologiste à l'hôpital Bichat et responsable méthodologique de l'essai Discovery, dans une interview à "C à Vous", sur France 5. Une demande émanant directement des autorités sanitaires et du Conseil scientifique placé auprès du gouvernement. L'idée était également de s'aligner sur le protocole de l'essai Solidarity supervisé par l'OMS, qui, lui, teste l'hydroxychloroquine.
Résultat, au lieu de comporter quatre bras, Discovery en compte cinq, ce qui réduit mécaniquement les cohortes de patients testés. Lundi 11 mai, un comité de surveillance et de suivi des données (Data safety monitoring board), totalement indépendant des équipes assurant la conduite de l'essai, doit se pencher sur les résultats cliniques des 730 premiers patients de l'étude.
Au vu des données récoltées, ce comité peut signaler qu'une molécule se démarque des autres en raison de son efficacité, ou au contraire suggérer l'abandon d'un traitement en raison de son inefficacité ou d'effets secondaires. Si les résultats ne sont pas suffisamment probants, il invite généralement à poursuivre l'essai en recrutant de nouveaux patients. "Il y a moins de 150 patients par bras, c'est très peu. Il y a donc beaucoup de chances qu'ils nous disent de continuer", explique France Mentré. Voilà pourquoi les résultats promis par Emmanuel Macron ne seront sans doute pas disponibles le 14 mai.
Au-delà de ces difficultés méthodologiques, le débat sur l'hydroxychloroquine qui a fait rage en France a freiné les recrutements de patients. En arrivant à l'hôpital, certains patients avaient déjà été traités avec de l'hydroxychloroquine en médecine de ville et n'ont donc pas pu être intégrés dans l'essai. D'autres, qui n'avaient encore reçu aucun traitement, voulaient absolument faire partie du bras "hydroxychloroquine", explique France Mentré, ce qui ne correspond pas à la méthodologie d'un essai randomisé.
Une épidémie qui ralentit
C'est une bonne nouvelle sur le front de la santé publique, mais une difficulté pour l'essai Discovery. Avec le ralentissement de l'épidémie, le nombre d'hospitalisations diminue chaque semaine. Celui de candidats potentiels à cet essai clinique est donc de moins en moins important.
"Depuis quinze jours, les inclusions plafonnent", observe Florence Ader. Une situation "anticipée du fait du confinement, et cohérente avec la situation épidémiologique", selon elle. A moins d'une reprise de l'épidémie, il sera difficile d'inclure dans les semaines à venir de nombreux nouveaux patients. Les pays européens qui se disent toujours intéressés pour participer à l'essai (Allemagne, Portugal, Autriche, Belgique) sont eux aussi dans une phase descendante de l'épidémie et n'apporteront donc pas de gros bataillons de patients dans l'immédiat. Or, les méthodologistes de l'essai Discovery ont calculé qu'il faudrait au moins 600 patients par bras pour parvenir à des résultats incontestables.
Pas de remède miracle pour l'instant
S'il est trop tôt pour parler d'échec de l'essai Discovery, il semble d'ores et déjà qu'aucun des quatre traitements testés n'offre une efficacité spectaculaire à ce stade. Dans le contexte d'urgence mondiale provoquée par la pandémie, des résultats partiels auraient pu être communiqués si l'une des molécules avait démontré une action significative contre la maladie.
Malgré les espoirs suscités par cet essai clinique, Florence Ader prévient qu'il ne faut pas s'attendre à une "molécule miracle". Sinon, les chercheurs qui ont démarré des essais plus tôt, en Chine et en Italie, "l'auraient déjà trouvée", a-t-elle expliqué lors d'une audition au Sénat. Interrogé par l'AFP, Yazdan Yazdanpanah le confirme : "Si c'était des molécules hyper efficaces, on l'aurait su déjà".
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.