Coronavirus : comment expliquer le classement surprenant de certains départements sur la carte provisoire du déconfinement ?
Des figures politiques du Lot, du Cher ou encore de la Haute-Corse se sont émues de découvrir que leurs départements, pourtant pas les plus touchés, étaient classés en rouge. Localement, des irrégularités statistiques peuvent l'expliquer.
Elle était attendue depuis le discours d'Edouard Philippe devant l'Assemblée. Le ministre de la Santé, Olivier Véran, a dévoilé, jeudi 30 avril, une carte classant les départements de France en trois catégories − rouge, orange ou vert −, selon la circulation du coronavirus sur leur territoire. Cette carte, qui sera mise à jour quotidiennement, "guidera chaque département dans la préparation du 11 mai", date de la sortie progressive du confinement, avait expliqué le Premier ministre. Le classement en orange doit disparaître d'ici là.
On ne sait pas encore avec certitude ce que le classement changera aux modalités du déconfinement. Mais cela n'a pas empêché certains départements de s'étonner, et s'inquiéter, de se découvrir en rouge sur la carte. Le classement en vert d'autres départements pourtant très éprouvés par l'épidémie sur une des deux cartes complémentaires dévoilées jeudi soir a aussi pu surprendre.
Franceinfo vous explique comment est effectué ce classement, mais aussi pourquoi des erreurs ont pu fausser les résultats présentés jeudi.
Il reflète les données publiques sur l'épidémie
Savoir sur quelle base ont été attribuées les couleurs est finalement assez simple : le mode d'emploi a été expliqué jeudi soir par Olivier Véran, et les chiffres utilisés sont accessibles publiquement en ligne. Trois cartes ont été présentées. La première classe les départements en vert, orange ou rouge selon la part des passages aux urgences qui concernaient des suspicions de Covid-19 (qu'elles aient été confirmées ou non) sur les sept derniers jours. Au-dessus de 10%, un département est rouge.
#Coronavirus | Indicateurs de l’activité épidémique
— Ministère des Solidarités et de la Santé (@MinSoliSante) April 30, 2020
Carte de la circulation active du #COVID19 :
+ de 10%
6 - 10%
0- 6%
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Suivre les indicateurs de l’activité épidémique : https://t.co/AgaEUYBU4c pic.twitter.com/fQRtppY75k
La deuxième carte classe les régions (et donc les départements qui les composent) en fonction de la part des lits en réanimation habituellement ouverts qui sont aujourd'hui occupés par des malades du Covid-19 (un taux qui peut dépasser 100%, car des lits supplémentaires ont été créés pour faire face à l'épidémie).
#Coronavirus #COVID19 | Carte de la tension hospitalière.
— Ministère des Solidarités et de la Santé (@MinSoliSante) April 30, 2020
Capacités en réanimation au 30 avril :
+ de 80% de la capacité initiale
60 - 80 % de la capacité initiale
0 - 60% de la capacité initiale
Indicateurs de l’activité épidémique : https://t.co/AgaEUYkjcE pic.twitter.com/t3SneCMaK6
La troisième carte, celle qui pourra influer sur les conditions du déconfinement, combine ces deux critères : il suffit d'être en rouge sur une des deux premières cartes pour être classé rouge, et en orange sur au moins une des deux premières cartes pour être classé orange.
#Coronavirus #COVID19 | Carte
— Ministère des Solidarités et de la Santé (@MinSoliSante) April 30, 2020
Synthèse de la situation au 30 avril 2020 pic.twitter.com/SbWqr2i3Iu
En pratique, les trois départements dont le classement en rouge a le plus surpris − le Cher, la Haute-Corse et le Lot − le sont tous sur la base de la première carte. Et les données mises en ligne par le gouvernement montrent en effet qu'entre le 23 et le 29 avril, plus de 10% des passages aux urgences dans ces trois départements concernaient des suspicions de Covid-19 : 11,3% dans le Lot, 26,9% en Haute-Corse et 31,6% dans le Cher.
Le fait qu'ils apparaissent en rouge sur la carte diffusée jeudi soir semble donc bien refléter les données dont dispose le gouvernement. Avec un bémol cependant : Olivier Véran a expliqué se baser sur les données du 24 au 30 avril. Mais celles du 30 avril n'avaient pas encore été mises en ligne à l'heure de publication de cet article, ce qui empêche de vérifier complètement le calcul.
Il prend en compte des chiffres très récents
Si le classement a surpris, c'est notamment parce qu'il ne semble pas toujours représentatif de la sévérité avec laquelle les départements ont été touchés depuis février. Ainsi, en Corse, Gilles Siméoni, président de l'exécutif de l'île, s'est étonné que la Corse-du-Sud, en vert, soit mieux classée que la Haute-Corse alors qu'elle est "beaucoup plus impactée". Elle compte notamment cinq fois plus de décès du Covid-19 à l'hôpital depuis le début de la pandémie, là encore selon les données publiques.
Mais c'est oublier que ces cartes ne sont pas censées représenter la situation des départements depuis le début de l'épidémie, mais au jour où elles sont diffusées. Le nombre de malades en réanimation dépend de contaminations survenues plusieurs semaines plus tôt, et reflète donc une tendance à long terme. Mais le taux de passages aux urgences qui concernent le Covid-19 − la première carte − ne dépend que de la situation lors des sept derniers jours. Avec pour objectif, explique Olivier Véran, de représenter "la circulation active du virus", qui peut différer de sa circulation passée.
Sur cette première carte, le Bas-Rhin et le Haut-Rhin, submergés par le virus au début de l'épidémie en France, apparaissent ainsi en vert. "Vous pouvez être surpris", a reconnu le ministre de la Santé jeudi soir. Ce classement ne veut pas dire "que la pression hospitalière y serait faible" − ils sont d'ailleurs classés en rouge sur les deux autres cartes − mais "qu'actuellement, parmi les passages aux urgences, un nombre limité est lié à l'infection au coronavirus. Ce qui veut dire que sur les sept derniers jours, l'activité épidémique du Covid y est considérée comme maîtrisée." Au contraire, les données du Lot montrent actuellement un taux important de passages aux urgences liés au virus, ce qui justifie son classement en rouge, même si le Covid-19 n'y a fait pour l'instant "que" 16 morts.
Ce choix de données implique aussi que le classement peut rapidement changer. "Ce n'est pas parce que le Lot apparaît rouge aujourd'hui qu'il sera forcément rouge au 11 mai, et ce n'est pas parce que le Bas-Rhin apparaît vert aujourd'hui qu'il sera nécessairement vert pour ce critère au 11 mai", a résumé Olivier Véran.
Il y a eu des couacs dans la collecte des données
Le classement a beau être clairement expliqué, encore faut-il disposer de statistiques fiables. Le taux de passages aux urgences liés au Covid-19 est un indicateur "bien connu, maîtrisé, fiable, robuste, extrêmement sensible" de la circulation du virus, assurait Olivier Véran jeudi soir. Mais dans les cas du Cher, de la Haute-Corse et du Lot, c'est en réalité ce qui semble avoir péché. Si les données remontées aux autorités montraient bien un taux important, celui-ci reflétait moins un pic de circulation du virus que le fait que tous les hôpitaux ne calculent pas ces données de la même façon.
Ainsi, dans un communiqué publié jeudi soir, l'ARS de Corse a expliqué le classement rouge de la Haute-Corse par "les modalités du codage par le centre hospitalier de Bastia". Celles-ci ont entraîné "une surestimation du nombre de passages aux urgences pour Covid", affirme l'agence, qui assure que ce nombre est "en décalage" avec le nombre réel de cas positifs au virus dans le département. Elle promet "une fiabilisation et une correction" des données.
Même son de cloche en Occitanie, où l'ARS dit avoir conclu que plusieurs services d'urgences dans le Lot avaient "surévalué le pourcentage de passages aux urgences pour suspicion de coronavirus par rapport à la réalité". Ce qui conduit à un classement rouge "vraisemblablement faussé" du département. Là encore, elle promet que les données seront rectifiées.
En Centre-Val de Loire, enfin, l'ARS explique également le classement en rouge du Cher par des données "partiellement erronées conduisant à surestimer la part des passages aux urgences pour coronavirus" au centre hospitalier de Bourges, qui doivent être corrigées "dès aujourd'hui". Dans ces trois cas, on ignore si ces corrections s'appliqueront également aux données des jours passés, et donc si elles se refléteront dans la carte qui sera révélée vendredi soir, puisqu'elle prendra toujours en compte les données des sept jours précédents.
Ces erreurs de calcul soulignent cependant la difficulté d'établir un indicateur précis, notamment dans des départements où il y a peu de passages aux urgences. Dans le Lot, par exemple, on en compte 522 entre le 23 et le 29 avril, dont 59 pour suspicion de Covid-19, selon les données officielles − désavouées depuis. Il aurait suffi que 8 de ces passages ne soient pas comptabilisés comme liés au virus pour que le département passe en orange. Autre limite : Olivier Véran a expliqué jeudi que ces chiffres comptabilisaient plus de 90% des passages aux urgences en France, ce qui veut dire que près de 10% échappent aux statistiques.
En revanche, rien ne dit que ces indicateurs n'évolueront pas pour plus de précision d'ici au 11 mai. Avant d'avoir connaissance des erreurs, le ministre de la Santé promettait déjà que les chiffres sur la circulation du virus seraient affinés avec d'autres indicateurs, comme les "tests positifs", des "remontées d'information de la part des généralistes" et des "données prédictives" sur l'épidémie qui doivent être dévoilées jeudi 7 mai. Autant d'éléments qui auraient peut-être permis d'éviter des classements rouges erronés.
Il est en partie fondé sur des données régionales
Si leur situation a provoqué moins de réactions, d'autres départements se sont étonnés d'être classés en orange, parfois uniquement sur la base de la deuxième carte, celle de l'occupation des services de réanimation par des malades du Covid-19. C'est le cas de l'Allier, où le maire de Montluçon, sous-préfecture du département, confiait sa surprise à franceinfo vendredi : le service de réanimation de sa ville est "particulièrement occupé en ce moment, mais plutôt par des patients qui ne sont pas Covid-19", et l'Allier ne compte "pas énormément" de morts du virus (26 à l'hôpital).
Mais pour l'occupation des services de réanimation, ce sont les données régionales qui sont prises en compte, a expliqué Olivier Véran jeudi. "Raisonner à l'échelle des départements ne ferait pas grand sens", a justifié le ministre de la Santé. "Lorsque l'épidémie frappe un territoire, on fait appel à tous les établissements de santé publics et privés de la région". En l'occurrence, comme d'autres départements peu peuplés, l'Allier fait les frais de son appartenance à la région Auvergne-Rhône-Alpes, qui comptait 371 malades du Covid-19 en réanimation au 30 avril, dont seulement 14 dans l'Allier, mais beaucoup plus dans les bassins de population que sont la Loire et l'agglomération lyonnaise.
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