Coronavirus : "acte de solidarité" ou "hors sujet" ? Six questions sur le don de congés aux soignants en chèques-vacances
Une centaine de députés de la majorité avaient lancé cette idée au milieu du mois de mai. L'Assemblée nationale a voté mardi soir en faveur de cette proposition de loi.
Un peu de repos après la tempête. Mardi 2 juin, dans la soirée, l'Assemblée nationale a voté une proposition de loi de La République en marche permettant aux salariés de "donner" des congés, sous forme de chèques-vacances, aux soignants. Une centaine de députés LREM, emmenés par Christophe Blanchet, avaient avancé cette idée mi-mai. L'objectif ? Faire preuve de "solidarité" envers "ceux qui luttent directement contre le coronavirus". Mais ce texte est aussi jugé "hors sujet" voire "un peu obscène" par l'opposition de gauche, au vu des difficultés de l'hôpital.
1Comment fonctionne le don de congés ?
Le principe de base est simple : n'importe quel salarié peut faire don des jours de repos qui lui restent. Ceux-ci sont transformés en chèques-vacances, à hauteur de la valeur de ces congés. Ces chèques-vacances sont ensuite distribués aux soignants.
Le premier article de la proposition de loi donne quelques précisions sur le dispositif : ce don peut être fait par n'importe quel salarié, "sur sa demande et en accord avec l'employeur". Le salarié accepte ainsi de "renoncer sans contrepartie, dans une limite déterminée par décret, à des jours de repos acquis et non pris, qu'ils aient été affectés ou non sur un compte épargne temps". Ces congés sont ensuite monétisés "afin de financer des chèques‑vacances".
Ces chèques-vacances seront ensuite distribués "à tous les personnels des hôpitaux ou en Ehpad, aux infirmiers et infirmières libérales ou non, aux accompagnateurs ou agents d'entretien intervenant à l'hôpital, et toutes celles et ceux qui sont aux petits soins des autres", selon l'exposé de la proposition de loi. Pour les détails précis, il faudra être encore un peu patient : ils doivent être précisés par décret.
2Pourquoi un don en chèques-vacances ?
Dès le mois de mai, la centaine de députés LREM qui a proposé ce mécanisme plaidait pour un dispositif qui "ne représente pas une charge pour l'Etat ni pour les entreprises". Et la monétisation en chèques-vacances présentait aussi un autre avantage pour la ministre du Travail : "Cet acte de générosité permettra dans le même temps de contribuer à la relance du secteur du tourisme très fortement affecté" par l'épidémie, selon Muriel Pénicaud.
Pour rappel, les chèques-vacances sont gérés par un établissement public : l'Agence nationale pour les chèques-vacances. Ces chèques peuvent ensuite être utilisés en France, dans des établissements partenaires, privés ou publics, et en lien avec les vacances, comme les transports, l'hôtellerie, la restauration ou les activités culturelles.
3Quand cette mesure va-t-elle entrer en vigueur ?
Pour le moment, cette proposition de loi a seulement été adoptée en première lecture à l'Assemblée nationale. Elle doit ensuite continuer son examen au Sénat. Des amendements peuvent lui être apportés. Une fois qu'elle sera définitivement adoptée, elle devra encore être promulguée par le président de la République dans les 15 jours, et précisée par des décrets.
4Est-ce (vraiment) une nouveauté ?
Le don de congé ou de RTT n'est pas une première. Il existe déjà dans la loi et a même été élargi par décret en 2018. Mais les conditions de ces dons sont encore très strictes. Déjà, il ne peut s'opérer qu'entre collègues d'une même entreprise. Ensuite, ce don ne peut être effectué que dans certaines situations, par exemple pour venir en aide à un salarié parent d'un enfant gravement malade.
Cette proposition d'élargissement du don de congés pour les personnels de santé a aussi fait grincer quelques dents à l'Assemblée nationale. Soutenu par des élus de différents bords politiques, le député LR Maxime Minot a reproché à ses collègues de la majorité un "plagiat malhonnête" et une "pâle copie", soulignant avoir déposé le 22 mars une proposition de loi en ce sens.
Mi-avril, le député PS Christophe Bouillon et ses collègues socialistes avaient eux déposé une proposition de loi afin d'instituer un dispositif exceptionnel de chèques-vacances "pour les personnels ayant assuré la continuité des services vitaux de la nation". "Il ne faudrait pas que 'la méthode du coucou' se généralise", a-t-il ainsi critiqué, en dénonçant la réappropriation de sa proposition par La République en marche.
5Quelles sont les réactions politiques ?
Les députés de La République en marche ont tenté de déjouer la polémique à venir en martelant que ce dispositif ne "se substitue pas aux mesures de grande ampleur nécessaires pour donner davantage de moyens" à l'hôpital, selon Christophe Blanchet. En parallèle, la ministre du Travail a insisté sur le calendrier du "Ségur de la santé", censé concrétiser les hausses de salaires et de moyens promis pour les soignants et dont "les conclusions sont attendues en juillet".
Mais l'opposition n'a pas manqué d'exprimer ses doutes à ce sujet. Du côté du Parti socialiste, le député Boris Vallaud a fait part d'un "malaise" face à cette proposition de loi "inaboutie" et "hors sujet", au regard des difficultés de l'hôpital. Pour la député insoumise Caroline Fiat, ce n'est "pas aux citoyens de remercier les personnels, mais à l'Etat". L'élue a donc proposé aux Français de "poser un jour de RTT" pour "manifester" le 16 juin, jour de mobilisation des syndicats et collectifs hospitaliers.
6Qu'en pensent les principaux intéressés ?
Les réactions sont aussi contrastées du côté des soignants. "Si les Français veulent dire merci, c'est bon à prendre", a réagi Frédéric Valletoux, président de la Fédération hospitalière de France et maire de Fontainebleau, mi-mai, lors de la présentation de cette proposition. "C'est un geste de solidarité et ça pourrait effectivement permettre à des Français qui ne souhaitent pas, ou ne peuvent pas, faire un don numéraire de pouvoir effectivement marquer une forme de solidarité", a-t-il salué.
"Quand j'ai entendu cette annonce, j'ai été choquée", a réagi de son côté Agnès Hartemann, cheffe du service de diabétologie à l'hôpital de la Pitié Salpêtrière et membre du collectif inter-hôpitaux. "Pas mal de personnes vont être à la fois touchées et choquées", estimait-elle mi-mai. "La solidarité, c'est touchant, bien sûr. Mais quelque part, on commence à en avoir un peu assez qu'on nous fasse des cadeaux. (...) On attend toujours désespérément l'annonce de la mise à niveau des salaires."
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