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"C'est comme quand on est sur un bateau et qu'on dérive" : après cinq mois sans école, les "décrocheurs" retournent en classe

Que sont devenus les élèves décrocheurs du confinement ? Au moins 500 000 élèves sont passés sous les radars depuis cinq mois. La rentrée s'annonce plus difficile pour eux.

Article rédigé par Alexis Morel - Edité par Pauline Pennanec'h
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5min
Un élève dans une salle de classe du collège de Jastres à Aubenas en Ardèche, le 25 mai 2020. Photo d'illustration. (CLAIRE LEYS / FRANCE-BLEU DRÔME-ARDÈCHE)

"On n'a pas travaillé. Au début, on a fait un tout petit peu mais ensuite..." Eva, Marlo et Seguiss le reconnaissent : depuis mars, l'école n'est plus qu'un lointain souvenir. Que manquait-il ? "Une maîtresse". Les frères et soeurs, respectivement en CE2, CM1 et 6e, ont décroché durant le confinement à cause du Covid-19. Une période qu'ils ont passée à la maison, à Montreuil, en Seine-Saint-Denis. "Pour moi, l'école c'est un petit travail", explique Eva. "C'est comme si le petit travail était fermé, pour toujours. Je devais faire le petit travail mais je ne l'ai pas fait, je préfère l'école plutôt que de travailler à la maison parce qu'il y a du bruit, poursuit la fillette. Quand le maître te donne du travail, tu ne peux pas le faire tout seul. C'est plus compliqué parce que personne ne peut m'aider."

"Je n'ai pas pu cadrer comme le professeur"

Personne pour aider Eva : pendant le confinement, le papa Laurent, gardien d'immeuble, travaillait, et la maman Marie, mère au foyer, est tombée malade. "C'est comme si on est sur un bateau et qu'on dérive, dépassés par tout ça, raconte la maman. Je n'ai pas pu cadrer comme le professeur, c'était fouillis, j'avais déjà trop pris de retard. J'ai laissé tomber."

C'est devenu ingérable, et de voir que je ne peux pas y arriver avec mes enfants, c'est un coup dur.

Marie, mère de famile

à franceinfo

Le numérique a aussi éloigné cette famille de l'école. "On a besoin de matériel, et ça va coûter de l'argent à maman", clame la petite Eva. Marie raconte la panne de son ordinateur, la difficulté pour recevoir les devoirs sur son téléphone portable, seul moyen d'avoir accès aux cours en ligne. Mais c'est bien trop petit pour pouvoir lire. "Je n'ai même pas pu renvoyer un seul devoir, déplore la mère de famille. La maîtresse faisait deux fois par semaine des visio-conférences, j'ai tenté de le faire aussi, mais je n'arrivais pas à me connecter, ça m'a vraiment frustrée."

La peur d'oublier les leçons

Sans équipement numérique, difficile de suivre. Même si l'école a tenté de pallier ce problème en fournissant des devoirs sur papier, l'apprentissage est resté compliqué. Après cinq mois sans école, comment se profile cette rentrée ? "J'ai peur d'avoir oublié le français, parce que je ne me souviens plus du tout des choses de CM2, s'inquiète Seguiss, comme la différence entre le passé simple et le passé composé."

"J'ai très peur, renchérit la maman Marie, surtout pour Marlo, parce que déjà lui, il a de grosses difficultés." Elle a gardé tous les devoirs pour "tenter de reprendre tout ça", et espère que les professeurs reprendront aussi de leur côté. Et si l'école ferme, une nouvelle fois ? "Je ne l'ai même pas envisagé ! Je n'ai pas trop envie d'y penser", avoue Marie.

Je me demande s'ils pourront rattraper tout ça.

Marie, mère de famille

à franceinfo

Combien de décrocheurs compte-t-on pendant le confinement ? Selon le ministre de l'Education nationale Jean-Michel Blanquer, seuls 4% des élèves ont décroché. Un chiffre contesté dans une enquête de son propre ministère, sortie cet été. Les professeurs des écoles interrogés estiment eux avoir perdu le contact avec 6% de leurs élèves. Ceux des collèges et lycées estiment même le taux d'élèves à 10% en moyenne.

Des moyens supplémentaires suffisants ?

Jean-Michel Blanquer assure avoir pris les devants, organisant des évaluations nationales mi-septembre pour effectuer l'état des lieux. Il accorde des moyens supplémentaires : 1 600 postes d'enseignants en plus en l'école primaire, mais aussi 1,5 million d'heures supplémentaires d'enseignement pour le second degré, afin de permettre aux professeurs de faire de l'accompagnement personnalisé.

Mais cela suffira-t-il ? "La catastrophe est là, et elle sera là, assure Bernard Lahire, sociologue de l'éducation. Pour ce spécialiste de l'échec scolaire, il faut un investissement massif pour réduire les inégalités qui se sont creusées.

Ce que vont voir les enseignants, ce sont des enfants qui ne sont pas du tout en état de se remettre immédiatement au travail.

Bernard Lahire

à franceinfo

"Ils auraient besoin d'être pris en charge de manière beaucoup plus resserrée que dans des groupes qui vont jusqu'à plus de 30 élèves dans certains cas, selon le sociologue. Si on ne prend pas des mesures de limitation des effectifs pour arriver à prendre des enfants dans des plus petits groupes, de quatre, cinq élèves, on aura beaucoup de difficultés à les faire rentrer dans des logiques scolaires." Il faudra même trois à cinq ans, selon le sociologue, pour se rendre vraiment compte du retard pris par certains élèves.

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