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Comment les rassemblements religieux ont-il pu jouer un rôle dans la propagation du coronavirus ?

A travers le monde, alors que les églises et mosquées ont progressivement cessé les célébrations de masse, d'autres rassemblements religieux sont aujourd'hui soupçonnés d'avoir été des vecteurs majeurs de la contamination au Covid-19.

Article rédigé par Claude Guibal
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Un homme se tient, le 16 mars 2020, devant l'entrée de l’Eglise de Grace River Church de Seongnam, au sud de Séoul, qui a fermé ses portes après qu'un tiers de ses 135 fidèles a été testé positif au Covid-19, notamment le pasteur et son épouse. (YONHAP / EPA/YNA)

2 300 fidèles rassemblés pendant deux jours à Mulhouse entre le 17 et le 24 février dernier... Un rassemblement évangélique soupçonné d'être à l'origine de la contamination massive au coronavirus dans l'Est de la France et qui s'est largement diffusée dans tout le reste du pays, comme l'a révélé une enquête de la cellule investigation de Radio France.

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A travers le monde, alors que les églises et mosquées ont progressivement cessé les célébrations de masse, d'autres rassemblements religieux sont aujourd'hui soupçonnés d'avoir été des vecteurs majeurs de contamination au Covid-19.

Quelques lieux de rassemblements religieux soupçonnés d'avoir été des vecteurs majeurs de la contamination au Covid-19 (STEPHANIE BERLU / RADIO FRANCE)

En Corée du Sud

Traumatisée par le souvenir des précédentes épidémies de SRAS, H1N1 ou MERS-CoV, les pays asiatiques ont déjà eu à gérer des épidémies. S'agissant du Covid-19, la Corée du Sud semblait avoir maîtrisé très vite sa courbe de contamination, jusqu’à l'apparition subite de nouveaux cas à Daegu, la 4e ville du pays. Des cas inexpliqués jusqu’à ce qu’on découvre qu'en dépit des interdictions, l'Eglise Shincheonji de Jésus, une congrégation évangélique accusée par certains d'être une secte, avait maintenu ses rassemblements en cachette. Une de ses adeptes avait assisté à quatre cérémonies religieuses dans la ville de Daegu, devenue l'épicentre de l'épidémie, avant d'être diagnostiquée comme porteuse du virus. Comme beaucoup de groupes évangéliques, ses fidèles pratiquent la prière collective en cas de maladie et voient, selon la presse sud-coréenne, les maladies comme une punition divine qu'il faut accepter.

Les premiers malades infectés auraient donc caché leurs symptômes, voire évité de se soumettre aux tests massivement pratiqués pourtant par les autorités sanitaires. Plus de 60% des quelque 8 200 cas du Covid-19 recensés mi-mars en Corée du Sud seraient liés à cette congrégation. Un nouveau foyer épidémique a été ensuite relié à l’Eglise de Grace River Church de Seongnam, située à une vingtaine de kilomètres au sud de Séoul, qui a fermé ses portes après qu'un tiers de ses 135 fidèles a été testé positif au Covid-19, notamment le pasteur et son épouse. Cette congrégation religieuse a continué à célébrer des messes en dépit des appels du gouvernement à éviter tout rassemblement public et notamment religieux.

En Iran

Les premiers cas de Covid-19 sont apparus mi-février à Qom, en Iran, l'un des pays désormais les plus touchés par cette maladie. Une ville sainte, située à 150 km au sud de Téhéran, où affluent toute l’année des centaines de milliers de pèlerins qui se rendent sur les hauts lieux de l’islam chiite et où se concentre une partie des ayatollahs les plus influents d’Iran, Etat bicéphale où l’autorité théocratique joue un rôle essentiel.

Ce qui explique probablement le silence maintenu par les autorités sur l’ampleur de l’épidémie à Qom et le maintien de prières collectives, malgré les inquiétudes. En février, l’universitaire et théologien Mohsen Alviri expliquait ainsi à l’AFP que "certains donnent la priorité aux rituels religieux, qu'ils placent au-dessus de tout, même de la science médicale quand d'autres pensent qu'on peut abandonner les prières obligatoires pour sauver la vie d'un être humain".

Le 26 février l'ayatollah Mohammad Saïdi, chef du mausolée de Fatima Massoumeh à Qom, réclamait pour sa part, dans une vidéo devenue virale sur les réseaux sociaux iraniens, que son lieu de culte reste ouvert aux fidèles. "Ce sanctuaire sacré [est] une maison de guérison", a-t-il dit, invitant les pèlerins à s'y rendre "pour guérir de leurs maladies de l'âme et du corps".

Des fidèles sont rassemblés devant les portes closes du sanctuaire de Fatima Massoumeh, à Qom, en Iran, le 16 mars 2020. Mi-mars, les autorités iraniennes ont annoncé la fermeture de quatre importants lieux saints, dont le sanctuaire de Machhad, première ville sainte chiite d'Iran, pour lutter contre le coronavirus.  (MEHDI MARIZAD / AFP)

Mi-mars, les autorités iraniennes ont annoncé la fermeture de quatre importants lieux saints, dont le sanctuaire de Machhad, première ville sainte chiite d'Iran, pour lutter contre le coronavirus. En colère contre la fermeture du sanctuaire de Fatima Massoumeh, des manifestants ont défilé à Qom scandant des "slogans religieux" et endommageant la porte d'entrée du site.

En Malaisie

C'est un rassemblement de 20 000 membres du mouvement musulman Tablighi jamaat, fin février à Kuala Lumpur, qui serait à l'origine de deux tiers des cas recensés dans le pays. Plusieurs milliers de fidèles qui y participaient venaient du Bangladesh, de Brunei, des Philippines, de Singapour et de Thaïlande. Aussi bien Brunei que Singapour ont indiqué que la plupart des nouveaux cas enregistrés dans leur pays l'étaient chez des personnes ayant assisté à ce rassemblement.

Au Pakistan

Ce même mouvement Tabligh, basé sur la prédication itinérante, a maintenu son grand rassemblement il y a deux semaines à Lahore, menant à l'explosion de la courbe des contaminations. Par ailleurs, 270 Pakistanais qui revenaient d'un pèlerinage en Iran, et dont une partie avaient été à Qom, ont été placés en quarantaine à Taftan, un poste-frontière du Baloutchistan, une province sous-développée et très instable du sud-ouest pakistanais. Fuyant les mauvaises conditions de cet isolement forcé, certains de ces pèlerins se sont enfuis avant la fin de cette quarantaine, essaimant avec eux le virus. 

En Israël

Malgré la mise en place rapide de mesures très coercitives par les autorités israéliennes, des foyers épidémiques ont été recensés au sein de la communauté ultra-orthodoxe. 50% des malades hospitalisés à travers le pays sont des haredim, une population du coup sur-représentée dans la comptabilité épidémique alors qu’elle ne représente que 10% de la population. Mais les ultra-religieux – qui refusent également d’accomplir leur service militaire, ne veulent pas respecter les règles du confinement, qui émanent de pouvoirs civils, et non dictées par dieu.

Certains pays réagissent très vite, d'autres pas du tout

En Arabie saoudite

Fin février, alors qu’aucun cas n’était encore recensé en Arabie saoudite, Riyadh décidait la suspension de la Omra, le petit pèlerinage à la Mecque, accompli tout au long de l’année par des millions de fidèles, en complément du hadj, le grand pèlerinage qui accueillait l’an dernier plus de deux millions et demi de personnes, dont beaucoup venues d’Asie, notamment d’Indonésie, le plus grand des pays musulmans. Une mesure rarissime, l’Arabie saoudite n’ayant suspendu l’octroi de visa qu’en 2003 en pleine crise du SRAS.

A travers le monde arabo-musulman, de nombreux états ont suspendu la prière du vendredi, afin d’éviter les risques de propagations. Cependant de nombreuses mosquées continuent d’accueillir les fidèles, notamment au Mali ou au Sénégal, alors que l’épidémie commence à se propager.

A Taiwan

Les communautés religieuses ont été extrêmement rapides à adapter leurs pratiques. Prières bouddhistes en ligne, pèlerinages annulés, églises fermées... Une attitude saluée par les autorités. En dépit de sa proximité culturelle et géographique avec la Chine, berceau de la pandémie, l'île n’a que peu subi les effets dévastateurs du coronavirus. Très lourdement touchée lors de l’épidémie de SRAS, Taiwan s’est en effet doté dans la foulée d’un centre de commandement épidémiologique qui a permis de lister une centaine de mesures d’urgence. Parmi elles, la suspension des plus importants rassemblements religieux, comme ceux sur des temples de la déesse Mazu, qui attirent d’ordinaire plus d’un million de personnes.

Au Vatican

Un pape seul, sous la pluie, face à une place Saint-Pierre déserte pour une bénédiction urbi et orbi. Du jamais vu, et une image lourde de symboles : le chef des catholiques - 1,3 milliard de fidèles dans le monde - leur avait demandé de se joindre à lui durant une heure. Le portail internet du Saint-Siège avait mis en place des retransmissions en direct en huit langues, dont le chinois ou l'arabe, y ajoutant un canal avec la langue des signes, une nouveauté.

Ce n’est pourtant que le 10 mars que la basilique et la place Saint-Pierre ont été fermées aux touristes et aux visites guidées "afin d'éviter la diffusion du coronavirus". Une interdiction qui ne s'appliquait cependant pas aux fidèles. Le pape avait par ailleurs célébré pour la dernière fois le 26 février une audience en plein air, lors de laquelle il avait serré des dizaines de mains malgré l'épidémie de coronavirus.

En Afrique

De nombreuses églises ont renoncé aux célébrations publiques, diffusant leurs cérémonies sur internet, mais en Afrique, malgré les appels à la responsabilité, des leaders religieux continuent à refuser d’appliquer les mesures barrières, en voyant dans la maladie une mise à l’épreuve divine, comme dans cette vidéo qui a provoqué la colère d’Ibrahim Thiaw, sous-secrétaire général des Nations-Unies. 

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