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On vous résume les accusations qui visent Didier Raoult et l'IHU de Marseille

L'établissement de santé marseillais doit répondre d'accusations d'expérimentations non-autorisées, de facturations très élevées et de manipulations scientifiques. Son directeur, Didier Raoult, dément formellement.

Article rédigé par franceinfo
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Didier Raoult à Marseille (Bouches-du-Rhône), le 27 août 2020. (CHRISTOPHE SIMON / AFP)

La liste s'allonge. Le médiatique professeur Didier Raoult et son Institut hospitalo-universitaire (IHU) en maladies infectieuses de Marseille (Bouches-du-Rhône) sont au cœur de plusieurs affaires qui agitent la communauté scientifique et médicale. Des accusations suffisamment sérieuses pour que plusieurs organismes de santé déclenchent des enquêtes, afin de lever le voile sur les méthodes de Didier Raoult à l'IHU. Soupçons de falsification, de facturations abusives, d'expérimentations sauvages... Franceinfo retrace les dernières accusations contre Didier Raoult, professeur à la retraite depuis le mois d'août, et contre l'IHU, dont il reste le directeur jusqu'en juin 2022.

Des résultats scientifiques falsifiés

Des tests PCR ont-ils été biaisés dans le cadre d'une étude de l'IHU ? Selon les informations de Mediapart (article payant)"plusieurs membres" de l'établissement dirigé par Didier Raoult ont "dénoncé les pressions exercées" par celui-ci, ainsi que "la falsification de résultats scientifiques", afin de "démontrer l'efficacité de l'hydroxychloroquine" contre le Covid-19. Les membres cités sont "plus d'une dizaine", précise le site, et il s'agit de "biologistes, médecins, internes ou assistants".

Concrètement, ces chercheurs et soignants dénoncent "la falsification de résultats biologiques permettant de conclure à l'effet bénéfique de l'hydroxychloroquine en biaisant les résultats des tests PCR dans une étude comparant des patients de l'IHU prenant le traitement et des patients du CHU de Nice ne le prenant pas". Dans le détail, Didier Raoult et son équipe sont accusés d'avoir pris des valeurs seuil différentes entre Nice et Marseille, ce qui rend normalement les résultats des tests incomparables. 

En réaction à ces accusations, l'Assistance publique-Hôpitaux de Marseille (APHM) a demandé une enquête interne vendredi 19 novembre "pour confirmer la véracité des faits rapportés". Ni l'IHU ni Didier Raoult n'ont pour l'instant souhaité commenter cette affaire.

Des entorses au Code de déontologie

Le 5 novembre, Didier Raoult a été convoqué par la chambre disciplinaire du conseil régional de l'Ordre des médecins de Nouvelle-Aquitaine, à Bordeaux, pour examiner plusieurs plaintes déposées contre lui. Une audience délocalisée pour éviter tout conflit d'intérêts. Pas moins de sept articles du Code de déontologie médicale ont été enfreints par l'infectiologue marseillais en 2020, selon la Spilf (Société de pathologie infectieuse de langue française), dont la plainte a été consultée par 20 Minutes.

Usage de médicaments non-recommandés, rejet d'autres études, promotion personnelle, mais aussi "le risque injustifié" lié à l'hydroxychloroquine... La plainte de la Spilf est étoffée d'autant qu'elle accuse le professeur marseillais de "charlatanisme", soit le fait de "proposer aux malades ou à leur entourage comme salutaire ou sans danger un remède ou un procédé illusoire ou insuffisamment éprouvé", selon le Code de déontologie médicale.

"Il a fait la promotion dans le grand public d'un produit à l'efficacité douteuse, et même plus que ça. On sait que ça ne marche pas."

Pierre Tattevin, président de la Spilf

sur franceinfo

La chambre disciplinaire, composée d'un magistrat et de huit médecins élus, n'a pas encore rendu son verdict. Les sanctions peuvent aller du simple avertissement à la radiation de l'Ordre des médecins, qui empêcherait Didier Raoult d'exercer. La décision a été mise en délibéré au 3 décembre.

Des expérimentations non-autorisées

Le 22 octobre, l'APHM avait déjà demandé une enquête interne au sein de l'IHU, après un autre article, toujours de Mediapart, sur de supposés "essais cliniques" illégaux contre la tuberculose menés depuis 2017. En cause notamment : de graves complications chez plusieurs patients ayant pris part à ces expérimentations utilisant des médicaments non-recommandés par l'Organisation mondiale de la santé. 

Mediapart fait état de patients précaires, souvent étrangers, qui ont pris part à l'expérimentation. L'Agence nationale de la sécurité du médicament (ANSM), qui n'a jamais donné son accord et a même émis "des réserves" sur ce protocole de recherche en 2019, a saisi le parquet de Marseille, mardi 26 octobre.

Didier Raoult nie pour l'instant en bloc. "Que cela soit clair : il n'y a pas de recherche sur le traitement de la tuberculose au sein du pôle maladies infectieuses et tropicales de l'APHM hébergé par l'IHU de Marseille", a-t-il écrit sur Twitter le 28 octobre. Le parquet de Marseille doit décider prochainement d'ouvrir ou non une enquête préliminaire. Si l'infraction est confirmée, celle-ci est passible d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende.

Des arrangements avec l'éthique

Les publications de Didier Raoult et de son équipe font l'objet d'intenses débats au sein de la communauté scientifique. En juillet 2020, L'Express révélait que certains travaux de l'IHU ont enfreint la loi qui encadre les expérimentations sur des êtres humains, y compris lors d'études sur des enfants et des personnes précaires, comme des sans-abris et des étudiants. Des expérimentations qui ont parfois été réalisées sans autorisation de l'ANSM, et validées par un comité éthique interne, ce qui n'a aucune valeur officielle.

De plus, certains articles signés ou co-signés par Didier Raoult comporteraient des images manipulées, d'après Elisabeth Bik, une chercheuse spécialisée dans l'enquête sur les erreurs scientifiques, citée par Libération. En réaction à ces commentaires de pair à pair, une plainte a été déposée contre l'enquêtrice au nom de Didier Raoult, d'Eric Chabrière (son bras droit) et de l'IHU pour "harcèlement moral aggravé", "tentative de chantage" et "tentative d'extorsion". 

Des montants exagérés facturés

Plusieurs milliers d'euros pour une poignée de tests et la prescription d'un traitement. C'est la désagréable surprise qu'on eue de nombreux patients en recevant leur facture, après des consultations à l'IHU au printemps 2020. "3 800 euros pour trois consultations, deux électrocardiogrammes, trois tests PCR et une prise de sang... Ce n'est pas possible !" a raconté l'un d'eux sur France 2 dans "L'Œil du 20 heures", un an plus tard. Des montants très élevés, justifiés par la mise en place d'un forfait d'hospitalisation facturé 1 254 euros par jour, soit quatre à six fois plus que la normale, selon un ancien contrôleur de la Sécurité sociale interrogé par France 2.

Ces consultations ont rapporté 6 millions d'euros en 2020 aux hôpitaux de Marseille, selon les calculs de "L'Œil du 20 heures". Mais elles ont surtout permis à l'IHU de tester l'hydroxychloroquine à grande échelle, chose impossible si les patients ne sont pas considérés comme hospitalisés. Fait troublant : en 2020, plus de la moitié des hospitalisations de jour pour inflammations respiratoires ont eu lieu à Marseille, une "anomalie statistique totale", selon le docteur Christian Lehmann, qui a révélé l’affaire dans Libération.

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